Le discours que Sa Majesté le Roi Mohammed VI a adressé à la 69e session de l'Assemblée générale de l'ONU a été révolutionnaire à plus d'un titre. Ainsi, en appelant à la révision des relations entre l'Occident et les pays du Sud, ont été illustrés les changements des équilibres mondiaux. Le Maroc, de par sa position géostratégique, et de son ambition continentale, est au cœur de ces changements et acteur sur toute la région à travers la création d'un nouveau modèle économique et social dont le centre est l'élément humain, fondé sur une relation gagnant/gagnant, et non sur de la prédation économique qui a pillé les pays du tiers monde depuis des siècles. La question de la politique d'influence pour un État ayant une ambition internationale, à la fois un prolongement, substitut ou limite de la politique de puissance, se pose de façon inévitable. L'influence, en théorie, ne présente que des avantages, dont le plus important est la garantie que des gouvernements étrangers ou leur population pensent ou se conduisent comme on le souhaite. C'est dans cet esprit que le Maroc se doit de développer une réelle stratégie de montée en puissance, et ce, grâce à une mise en œuvre efficace de ce que l'on appel le «Soft Power». Le concept du Soft Power est une notion utilisée en relations internationales et en diplomatie. Elle a été développée et expliquée pour la première fois par l'un des conseillers du président Clinton, le professeur Joseph Nye, et a été reprise depuis une décennie par de nombreux dirigeants politiques à travers le monde. Le Soft Power est ce qui permet de décrire la capacité d'un acteur politique tel un Etat, une firme multinationale, une institution internationale (comme l'ONU ou la Banque Mondiale) voire un réseau de citoyens- d'influencer indirectement le comportement d'un autre acteur ou la définition par cet autre acteur de ses propres intérêts à travers des moyens non contraignants. Bien que le concept ait été développé aux États-Unis au début des années 90, la notion existait déjà au Royaume-Uni, et cela depuis le XIXème siècle. C'est, en partie, à travers la culture britannique, sa littérature ou, par l'adoption par de nombreux pays, de normes britanniques pour des questions d'ordre politique ou économique, que le Royaume-Uni a pu exercer une forte influence durant cette période, et jusqu'au début du siècle dernier. Le Soft Power n'est pas intrinsèquement lié au pouvoir exercé sur l'échiquier de l'économie mondiale, mais il décrit un type de ressources particulières parmi d'autres, mais dont l'impact est devenu crucial. Ce que le Royaume ambitionne de créer à travers une zone d'influence et de partenariat à long terme, et bénéficiant à tous, grâce à une montée en puissance du modèle que notre pays est entrain de mettre en place. L'influence en devient donc une sorte de Graal stratégique qui fait que le comportement des autres acteurs devient prévisible et limite la confrontation inutile ainsi que les couts qui lui sont liés, tout en permettant in fine, d'agir sur leur volonté. En cela, le Soft Power rend plus facile la conclusion d'un accord, commerce ou alliance géostratégique. Dans le monde de l'intelligence économique, l'influence est un outil qui intervient comme une forme de relation psychologique ou culturelle : elle est censée à la fois garantir contre l'hostilité, aider à trouver des partenaires et rendre des consommateurs plus réceptifs. Si les pratiques anglo-saxonnes se considèrent comme les pionnières en la matière, la pratique de l'influence peut se réclamer comme un «art» beaucoup plus ancien. Sans s'épancher sur l'incontournable Sun-tzu et sa méthode pour exploiter les prédispositions psychologiques des acteurs afin de préparer manœuvres et stratagèmes développée dans «L'art de la guerre», on peut au moins remonter à Alexandre le grand. En adoptant les dieux locaux, en ordonnant à ses lieutenants et soldats de prendre ses épouses du pays et d'en suivre les coutumes. Dans ce sens, la notion de diffusion des idées des Lumières autour de la Révolution Française ou du marxisme-léninisme par les Internationales, un pouvoir de la contagion idéologique ne date pas de l'histoire post moderne. Ainsi, les premières agences de relations publiques qui font du lobbying pour un pays et défendent son image auprès des médias, des décideurs ou des populations étrangères datent au moins de 1928 avec les travaux d'Edward Bernays. C'est surtout pendant la Guerre Froide que les Etats Unis développent le plus l'idée de ces grands projets planétaires d'influence dont ils ont le secret, les moyens et surtout le vocabulaire : «Manufacturing consent», «Winning their hearts and minds», «Making The Rest Of the World a safer place for USA «. C'est également la période pendant laquelle les grandes fondations (think tank, lobby , ONG) répandent une culture «démocratique» au nom de la trilogie Paix, Liberté (surtout économique) et Démocratie. Les services de renseignements, notamment la CIA, se lancent dans la guerre culturelle, en encourageant les intellectuels anti-marxistes, les productions culturelles, dont l'art abstrait, qui doivent produire un effet subversif sur les populations de l'Est soumises à la langue de bois. De cette période, restera l'idée de la nécessité d'une diplomatie culturelle. Dès le début des années 2000, et grâce à la prise de conscience de l'importance de disposer de moyens d'influence et pour faire face à la domination occidentale, nombre de pays émergents ont mobilisé des moyens importants pour s'imposer sur la scène internationale et établir des rapports de force équilibrés. En effet, les puissances émergentes (notamment les pays des BRICS et dans un autre registre le Qatar) s'intéressent, et investissent de plus en plus dans leur Soft Power à travers la culture, le sport, la science, le business, etc. La différence entre la diplomatie classique et une stratégie d'influence réside dans le fait qu'elle ne se suffit pas à mobiliser ses propres agents, mais fait appel à toutes les forces vive de la nation, au delà du rôle des entreprises, ONG, Think tanks, toute la société civile peut et doit s'approprier le concept à travers une stratégie de diffusion culturelle à l'internationale et surtout au sein de la zone visée à l'image de ce que fait actuellement la Turquie et sa déferlante de production artistique sur les pays arabes. Dans un tel contexte, notre pays a tout intérêt à adopter une politique d'ouverture et de partage culturel, notamment avec ses partenaires africains, pour défendre sa position et ses valeurs. Au niveau diplomatique, intégrer l'idée selon laquelle l'influence se joue sur le terrain et non plus exclusivement dans les réceptions officielles, est primordiale dans un soucis de synchronisation des efforts des différentes parties prenantes. Pour réaliser cet objectif, une importance accrue doit être accordée à la production de la connaissance et sa diffusion à travers la culture, l'art et surtout les capacités cognitives. Au final, il faut pouvoir garder en tête que le Soft Power marocain est au service d'une diplomatie économique efficace, vecteur de création de richesse pour tous les partenaires impliqués. Selon Amine Laghidi, expert en stratégie de développement, «nombreux sont les pays avec lesquels le Maroc entretien d'excellentes relations stratégiques et politiques, mais avec qui les échanges économiques ne sont pas à la hauteur des aspirations, de même... nombreux seront les pays que l'ont pourrait aligner du coté de nos amis, grâce à une diplomatie économique efficace, ambitieuse et créative! Qui obéit à la loi N°1 du Marché : La création de la Richesse et sa pérennisation ! ». La balle est dans notre camp à tous, pour faire de notre pays une puissance capable de créer et de pérenniser la richesse, pour tous !