Nature du système international La puissance est une constante dans les relations internationales. Les rapports entre les Etats ne peuvent se passer de son utilisation, même si ces rapports sont régis par le droit. La puissance est un élément de la définition de l'Etat, à côté du territoire, de la population et de l'organisation politique. Elle renvoie à la capacité d'action relative de l'Etat sur la scène internationale. La puissance fait partie de l'essence des Etats, au même titre que leur instinct de conservation. Ils sont constamment à sa recherche car elle leur permet, au demeurant, de modifier leur rang dans la hiérarchie des Etats. Le jeu international ne peut se départir de l'exercice de la puissance. Le système international post-bipolaire, système sorti de la logique conflictuelle, à savoir l'antagonisme Est-Ouest, et du jeu à somme nulle, présente quelques nouveautés quant aux critères et spécificités de la puissance. Changements qui prouvent, d'ailleurs, le caractère non statique du concept de puissance. Critères de puissance dans le système international actuel La puissance est un ensemble de critères mis ensemble, avec la particularité d'être aussi variés les uns que les autres. Ces critères n'ont pas tous la même importance dans le temps. A chaque système international, ses facteurs de puissance qui sont érigés en critères essentiels. Le critère technologique Comme élément de la puissance, la technologie n'est pas statique, elle est évolutive. Evolutive, dans le sens de la création, et aussi dans celui de son double déplacement, entre les Etats, d'une part, et, d'autre part, en dehors de ceux-ci pour être du ressort d'acteurs privés. Par ailleurs, le critère technologique est un facteur relatif de la puissance, car cet élément ne s'apprécie que par l'avance que peut avoir, momentanément, un Etat sur un autre. L'avance technologique est un avantage éphémère car il est soumis à la loi du rattrapage et du dépassement. L'importance de l'élément technologique dans le phénomène de puissance a pris de l'ampleur à partir de 1945, avec l'inauguration de l'ère nucléaire. Cette révolution a eu pour effet de métamorphoser l'armement traditionnel. La technologie est un multiplicateur de puissance et permet à tout Etat qui la maîtrise d'en tirer profit, richesse et ascendant. Le progrès technologique a, sans aucun doute, transformé les relations internationales dans leurs dimensions diplomatiques, politiques, stratégiques, géographiques, communicationnelles Les critères immatériels Il sera essentiellement question de deux critères qui, d'ailleurs, ne sont pas nés avec le système international actuel mais ont rebondi sur celui-ci et font partie de la soft power. Il s'agit en effet de la culture et de l'influence, ou de la persuasion sans hostilité, ni coercition. Ces deux critères sont, en vérité, difficiles à dissocier, lorsqu'ils sont mis en jeu ensemble. La culture, en tant qu'élément de la puissance, joue un rôle d'attraction et d'émerveillement. L'élément culturel a été toujours présent dans toute aventure de puissance. Son originalité et sa force dans le système actuel sont à imputer, en partie, à l'écroulement de l'Etat dans le tiers monde en général. Initialement, l'Etat avait pour mission le développement, il était pourvoyeur de légitimité, de culture, de cohésion et de bien-être sociaux. Il arrivait, tant bien que mal, à intéresser ses citoyens à un idéal légitime autour duquel a été forgé un consensus. Mais la faillite de l'Etat a brisé cet équilibre et ce processus. Les citoyens, en l'absence d'une culture nationale, modèle collectif, par laquelle ils peuvent s'opposer à toute influence extérieure et s'affirmer en tant que nation, et en tant qu'entité enrichissant les relations internationales, ont adopté le modèle comparatif, autrement dit, le modèle culturel occidental. Ce dernier est en passe de devenir le modèle, la référence ; en fait, la culture par excellence. La culture a toujours été présente dans la constellation de la puissance. Toute puissance véhicule volontairement ou involontairement une façon, une manière d'être. Cependant, ce qui amplifie le critère culturel par rapport à hier, c'est le mariage, la jonction de ce dernier avec les moyens de communication actuels. La planète est submergée par le flot d'images incessant. En effet, il y a une demande réelle, et l'offre s'inscrit dans un processus mondial d'uniformisation. Deuxième élément immatériel, l'influence ou la persuasion. Elle s'est imposée comme critère de puissance dans le système actuel. La persuasion introduit l'idée que la puissance est l'aptitude de diriger les instances internationales et d'en fixer l'ordre du jour, de pouvoir aisément attirer et s'entourer de coalitions, solidarités et alliances. De plus, il s'agit du passage de la puissance telle qu'elle était dans le système diplomatico-stratégique à plus d'influence et de persuasion dans un système de relations et d'interdépendance, dépourvu de conflit majeurs. Il s'avère qu'aujourd'hui le mode de commandement et/ou de la contrainte ne valorise plus la puissance. Elle devient de moins en moins brutale et physique, mais de plus en plus «fluide». Ce n'est plus la capacité de briser les volontés, mais désormais de les faire adhérer. Il est vrai que cette vision des choses ne date pas d'aujourd'hui, le courant interdépendantiste, des années soixante dix, considère que la puissance réside aussi bien, sinon plus, dans son potentiel attractif que dans celui de la contrainte. Il s'agit actuellement pour toute puissance d'arriver à rallier à elle tous les acteurs et non pas seulement les Etats, de convaincre de la justesse de ses visions. En se basant sur une seule raison, à savoir que tous les acteurs se trouvent dans un système de relations, les intérêts sont collectifs et donc les gains ne sont ni absolus ni relatifs, ils sont eux aussi collectifs, en un sens la richesse profite à tous les acteurs. Dorénavant, la puissance est à apprécier à travers la capacité à orienter le comportement des Etats partenaires, à réaliser autour de soi une coalition multinationale et de la commander, de pouvoir modeler, en fonction de ses propres convictions, la norme juridique internationale. On n'invente pas de nouveaux éléments de la puissance, on les améliore. Ce qui change c'est l'importance d'un critère, ou plutôt c'est la combinaison des divers critères qui se réalise en fonction du système international et de la nature propre à chaque puissance. Caractéristiques de la puissance dans le système international post-bipolaire En comparaison avec le système international bipolaire, la puissance est actuellement et à la fois moins fongible, moins tangible, moins concentrée et « moins coercitive ». Le système international post-bipolaire accentue les traits de ces spécificités, tout en leur adjoignant les caractéristiques déjà analysées. La puissance est moins «fongible» Les ressources de puissance deviennent de moins en moins «interchangeables» et «transférables». En d'autres termes, un avantage acquis dans un domaine particulier n'est plus transférable à un autre domaine. Il en est ainsi de la puissance militaire de certains pays et spécialement des Etats-Unis, qui ne peut plus être mise en œuvre pour satisfaire leurs intérêts commerciaux, économiques et financiers. En effet, la diminution de la fongibilité touche essentiellement et plus qu'aucun autre critère, la puissance militaire. On ne peut plus utiliser et recourir à l'usage direct de la force pour acquérir un avantage sur la scène internationale. La puissance est moins tangible En effet, la puissance est valorisée par des critères autres que matériels et statiques. L'accent est mis sur les industries de haute technologie qui mobilisent le potentiel créatif, toutes ces technologies qui préparent la vie de demain. Vue sous cet angle, les puissances occidentales ne souffrent d'aucun handicap car, non seulement dans le monde de l'immatériel ils sont leaders, mais ils sont hautement performants en matière de recherche scientifique et de recherche/développement. La puissance est moins coercitive Ce caractère signifie qu'on s'éloigne de plus en plus de l'utilisation immodérée de la force militaire. Le coût exorbitant, l'hostilité farouche de l'opinion publique, et un avantage dérisoire (faute de jeu à somme nulle), ont eu pour effet de privilégier des formes de puissance moins brutes et moins menaçantes. Dans un système d'interdépendance et de mondialisation, l'usage de la coercition devient très délicat, anachronique et inadapté. La puissance est moins concentrée et de plus en plus diffuse. Depuis la fin du système bipolaire et après la déliquescence de l'URSS en tant que superpuissance, on assiste à la fin de la concentration de la puissance. Même si les Etats-Unis ont survécu à l'Union soviétique, ils ne peuvent prétendre être la seule superpuissance et concentrer tous les attributs et les critères de puissance. En outre, on assiste sur la scène internationale à un déplacement de pouvoir du monde des Etats vers celui d'autres acteurs. Ainsi, certaines prérogatives telle la capacité de contrôle et de prise de décision dans le domaine économique, financier et médiatique échoient à d'autres acteurs que les Etats. En général, dans un système d'interdépendance des économies, de rapports non conflictuels, la pratique des Etats «s'adoucit» et s'éloigne du schéma aronien. Cependant, il ne faut pas croire que les rapports interétatiques sont pour autant devenus idylliques ; l'interdépendance et la mondialisation introduisent des pratiques insidieuses, aussi ravageuses que les anciennes. Les Etats n'ont pas changé de nature, ils demeurent toujours des «monstres froids». *Chercheur