Abdel Fattah al-Sissi, archi-favori de la présidentielle égyptienne, compte sur l'armée et sur un rôle renforcé de l'Etat dans l'économie pour lutter contre la pauvreté, qu'il place, avec la sécurité, en tête de ses priorité. Plus de trois ans après une révolte qui réclamait "pain, liberté et justice sociale", celui qui mis brutalement fin à une année de présidence de l'islamiste Mohamed Morsi l'été dernier a promis de travailler à encadrer les prix dans un pays où 40% de la population --quelque 34 millions de personnes-- vivent autour du seuil de pauvreté (2 dollars), selon le gouvernement. Les attentes sont grandes en Egypte où des millions de manifestants avaient réclamé fin juin 2013 le départ de M. Morsi, accusé d'avoir échoué à redresser l'économie après la révolte de 2011 qui avait clos trois décennies de pouvoir absolu de Hosni Moubarak, marquées par la corruption et l'accroissement des inégalités sociales. M. Sissi, qui devrait largement l'emporter les 26 et 27 mai face à son unique rival, le leader de gauche Hamdeen Sabbahi, héritera d'une économie exsangue. Les chiffres officiels indiquent que l'inflation atteint 11,9% et le chômage 13%, dont un quart de jeunes. Selon la banque africaine de développement, 39 % des 20-24 ans sont sans emploi. L'ex-militaire Sissi, qui se présente en nouveau Gamal Abdel Nasser, le charismatique président socialiste égyptien, a appelé à "renforcer le rôle de l'Etat" qui "doit contrôler et s'engager dans la planification, l'organisation et la réalisation" des projets. Pour le politologue Mustapha Kamel al-Sayyed, "il a clairement évoqué le rôle de l'armée et des institutions étatiques dans l'économie, ce qu'une partie des hommes d'affaires voit comme une concurrence". "M. Sissi voit dans la lutte contre la pauvreté le principal moyen de priver les Frères musulmans (la confrérie de M. Morsi) de leur soutien populaire et de l'influence (...) de leurs services sociaux", poursuit l'expert. L'homme fort du pays a récemment prévenu le secteur privé qu'il souhaitait créer un mécanisme de contrôle des prix l'obligeant à "réduire sa marge de profit" et de nouveaux marchés de produits à bas coût, laissant entendre que l'armée pourrait en être un des acteurs. Dans un entretien à un quotidien gouvernemental, M. Sissi a appelé les hommes d'affaires à "mettre en place un compte pour financer des projets", martelant que "tout le monde doit payer". Un fond qui s'élèverait, selon la presse privée, à 10 milliards d'euros. La dette intérieure est estimée à 172 milliards d'euros, soit 87,5% du produit intérieur brut, grévant un peu plus le déficit qui culmine à 13% du PIB. A cela s'ajoutent les coûteuses subventions: l'Etat consacre près de 30% de son budget à garantir les bas prix du pain et de l'énergie. "Le seul moyen de réduire l'énorme déficit budgétaire est de mettre fin aux subventions gouvernementales de l'énergie fournie au secteur privé, un coût qui incombera de fait aux industriels", propose M. Sayyed. Autre motif d'inquiétude pour les Egyptiens, les coupures d'électricité, devenues quotidiennes du fait de l'incapacité du gouvernement à dégager les devises --les réserves ont diminué de moitié à 12,5 milliards d'euros malgré une aide du Golfe de 9,5 milliards d'euros-- pour acheter du carburant, et en raison du manque de centrales face à la croissance démographique. Le Premier ministre Ibrahim Mahlab a récemment déclaré que les subventions sur les hydrocarbures coûtaient à l'Etat 16 milliards d'euros par an, contre 6,5 milliards d'euros pour le budget de l'Education. La dette extérieure culmine désormais à 33,5 milliards d'euros, tandis que les revenus du tourisme, un secteur vital qui employait plus de quatre millions d'Egyptiens, ont été divisés par deux: 4,2 milliards d'euros en 2013, contre plus de neuf en 2010. Et la source, précieuse, des investissements venus de l'étranger s'est tarie depuis la "révolution": de près de 9 milliards d'euros avant 2011, ils ont été divisés par six aujourd'hui. Toutefois, interrogé sur le financement de son programme, M. Sissi a redit sa "confiance dans la poursuite" des investissements locaux ou étrangers et de l'aide de pays arabes. Le gouvernement intérimaire actuel prépare par ailleurs une nouvelle taxe de 5%, sur trois ans, sur les revenus de plus d'un million de livres annuel (plus de 102.000 euros), selon les Finances, qui prévoient aussi un élargissement de l'assiette fiscale.