Les grandes manoeuvres d'entraînement militaire menées chaque année par la Corée du Sud et son allié américain débutent lundi malgré les protestations habituelles de la Corée du Nord qui pourraient saper la récente embellie diplomatique sur la péninsule. Ces manoeuvres coïncident avec les premières réunions de familles séparées par la guerre (1950-53) organisées depuis 2010. Ces rassemblements rarissimes mais à forte portée symbolique ravivent à chaque fois l'espoir d'un rapprochement intercoréen durable. En échange de la garantie que ces réunions auraient bien lieu, la Corée du Nord avait mis dans la balance le report des exercices américano-sud-coréens mais Séoul et Washington lui ont opposé une fin de non-recevoir et Pyongyang n'a pas insisté. Les exercices militaires annuels américano-sud-coréens «Key Resolve» et «Foal Eagle» doivent durer jusqu'au 18 avril. Quelque 12.700 soldats américains - soit un peu moins de la moitié du contingent stationné de façon permanente en Corée du Sud - y prendront part. «Key Resolve» ne dure qu'une semaine et consiste essentiellement en des simulations informatiques tandis que «Foal Eagle» s'étend sur huit semaines et mobilise les armées de l'Air et de Terre ainsi que la Marine. Le régime nord-coréen y voit un entraînement à l'invasion de son territoire et promet régulièrement de précipiter la Corée du Sud dans une «mer de feu» en cas d'incident à sa frontière. Les manoeuvres réalisées en 2013 avaient entraîné un vif regain des tensions militaires sur la péninsule. La Corée du Nord avait menacé d'effectuer des frappes nucléaires préventives après l'engagement par l'armée américaine de bombardiers furtifs à capacité nucléaire. La Corée du Sud et les Etats-Unis ont fait savoir - dans un effort apparent d'apaisement - que les exercices 2014 seraient de moindre envergure en l'absence de porte-avions et de bombardiers stratégiques. Un modus vivendi fragile Le porte-parole du ministère sud-coréen de la Défense, Kim Min-Seok, a cependant prévenu lundi qu'il n'y aurait pas d'»ajustement» supplémentaire de l'échelle de ces exercices. Dans son édition de samedi, le quotidien officiel du parti unique nord-coréen, le Rodong Sinmun, a dénoncé dans ces exercices une «tentative vicieuse» de nuire à l'esprit né de l'accord sur la réunion des familles coréennes. Le modus vivendi des dernières semaines - voire des derniers mois si l'on tient compte de la réouverture négociée de la zone industrielle intercoréenne de Kaesong en septembre - reste fragile, mais les experts estiment que la Corée du Nord a cette fois plus à perdre en jouant la surenchère plutôt que la conciliation. «La stratégie du Nord est clairement d'obtenir des bénéfices économiques après (avoir permis) la réunion des familles», souligne Ahn Chan-Il, directeur du World Institute for North Korea Studies à Séoul. Pauvre en devises étrangère, le Nord souhaite en particulier que les Sud-Coréens reviennent dans la station de ski du mont Kumgang - là même où se tiennent les réunions de familles séparées.La Corée du Sud a suspendu les séjours dans la station après la mort d'une touriste sud-coréenne abattue par des agents de sécurité nord-coréens en 2008. La présidente sud-coréenne Park Geun-Hye a salué dans l'accord sur la réunion des familles «un premier pas» ouvrant la voie à la réciprocité. Séoul a d'ailleurs autorisé récemment l'envoi de médicaments antituberculose et de lait en poudre au Nord où sévissent des pénuries chroniques. «Les choses pourraient rapidement bouger si (le dirigeant nord-coréen) Kim (Jong-Un) accepte de prendre la balle au bond», estime John Delury, professeur à l'université Yonsei de Séoul. De l'avis des analystes, l'objectif de Pyongyang et de son allié chinois est de reprendre les négociations à Six (États-Unis, deux Corées, Russie, Chine et Japon), interrompues depuis fin 2008, qui visent à convaincre la Corée du Nord d'abandonner son programme nucléaire en échange d'une aide, notamment énergétique.