C'est désormais la ville qui devient source de tous les dangers. Cette ville qui est en train de perdre ses valeurs, ses réflexes, ses belles manières, ses charmes, et jusqu'à sa raison d'être ! Cette ville méconnaissable dans laquelle l'être humain est en train de se banaliser; au point de perdre sa valeur et sa dignité d'homme. D'habitude, tous les reproches vont en direction des responsables (lesquels ?) à la source de ce malaise; bien qu'on ait toujours failli à les identifier; ou - à la rigueur- à déterminer les responsabilités. Alors que le bon sens nous interpelle en ces termes: les responsables ce sont nous et nous seulement et personne d'autre, mais nous tous sans la moindre exception... Que faisons-nous pour notre espace urbanisé afin qu'il soit vivable pour nous et pour notre progéniture ? Pas grand-chose en effet. Que faisons-nous de notre espace pour en arriver là; à ce stade avancé de la méconnaissance et de l'égarement ? Là, la réponse est au bout des lèvres : beaucoup de choses en effet; mais pas dans le bon sens, ni dans la bonne manière, ni dans la règle d'art. Les dangers sont nombreux mais y en a dangers qui se détachent par leur ampleur, par leur gravité, par leur chaos; et qui nécessitent le cas échéant une intervention rapide et musclée. Sans plus tarder commençons par les casseurs de la ville (un autre métier à but non lucratif); qui sapent tout sur leur passage comme un ouragan ou un cyclone. Qui gâchent tous les efforts des aménagistes en s'attaquant aux infrastructures d'agrémentation de la ville; faites d'équipements publics, de mobiliers urbains, d'accessoires sécuritaires, de jardins, d'objets décoratifs et d'outils utilitaires. Rien n'échappe à leurs mains destructrices; exactement comme les champs agricoles qui s'étalent à perte de vue n'échappent point aux criquets pèlerins. Même le béton armé et les équipements faits de charpenterie et d'acier courbent l'échine face à ces sapeurs professionnels dotés d'une force surhumaine pour casser, cabrioler, détruire et saccager. Même les animaux féroces ne sont pas dotés d'une telle force de sape et de démolition. Comment peut-on développer les villes en présence de ces exterminateurs que même Hollywood n'a pas pu inventer pour ses films d'apocalypse ? Le résultat est chaotique: les aménagistes ne peuvent plus meubler les espaces publics avec des mobiliers dédiés au repos de l'âme; à la récréation enfantine; à la détente des vieux et aux loisirs des jeunes. A quoi bon ? disent-ils amèrement !!! Le second danger qui menace la ville c'est la criminalité. D'ailleurs, ce second fléau est intimement lié au premier puisque souvent ce sont les mêmes personnes qui font ça et ça. Aujourd'hui, ce phénomène urbain est banalisé au point de ne plus intéresser personne. Mutiler son prochain; l'amputer d'une main ou d'une jambe; le décapiter ou le tailler en morceaux est devenu un acte banal qui se contente de mobiliser la voie de recours pénale rien d'autre; mais ne mobilise pas la société. Le nombre de crimes est de plus en plus spectaculaire. Les crimes enregistrés perpétrés ces dernières années ont battu tous les records. Les crimes se font avec une telle férocité qui n'existe même pas chez le règne bestial. Les scènes journalières de délinquants armés de poignards et d'épées n'évoquent plus la curiosité des usagers de la voie publique. Même les agents de la sécurité ne sont plus impressionnés par de telles scènes qui -pourtant- relèvent du sacrilège et constituent une grave atteinte à la salubrité publique. Le troisième danger est celui de la circulation dans la ville. Là, le fiasco est presque total. La faute n'incombe pas aux pouvoirs publics; mais incombe-t-elle aux usagers de la voie publique qui ont tout le mal du monde à se conformer aux indications du code de la route. Le quotidien «L'Opinion» a consacré une longue série d'articles dédiés à la circulation piétonne et motorisée, dans le but de sensibiliser les citadins aux bonnes manières de se déplacer en ville. Mais une vérité s'impose: le code de la route ne s'adapte plus à la ville et c'est pourquoi il faudra absolument donner corps et âme au code de la rue qui a donné de très bons résultats dans les villes européennes. En attendant, les motorisés et les piétons vont continuer à emprunter la voie de fait; à défaut d'emprunter la voie publique; dans le chaos général et l'anarchie particulière. Le quatrième danger est celui de la propreté. Tous les quartiers populaires de la capitale n'ont rien à envier à une décharge. Des quartiers populaires comme Youssoufia, Yacoub El Mansour et Laâkkari sont très sales, non pas parce que les services d'hygiène ne font pas leur travail; mais parce que les citoyens de ces quartiers ne font aucun effort civique pour leur faciliter la tâche. Une chose est sûre: ce ne sont pas les services de collecte et d'hygiène qui rendent une ville propre ; ce sont plutôt les habitants de cette ville. Le meilleur exemple est donné par la ville de Chafchaouen qui -grâce à ses habitants- est tenue propre parce que l'espace public est intériorisé dans la mémoire collective des gens. Marrakech l'est aussi dans une certaine mesure vu le brassage quotidien avec les visiteurs étrangers. Un autre danger vient du nouveau fléau d'occupation de l'espace public. Pendant quatre ans «L'Opinion» s'est penché sur cette affaire mais sans succès ; non pas par manque de lucidité ; mais parce que l'approche n'a pas pu toucher les esprits dans la mesure où il s'agit de très mauvaises habitudes enracinées dans les mœurs de beaucoup de Marocains qui sont incapables de se conformer à des codes imaginaires intangibles. Les occupants des espaces publics sont très nombreux. Citons les restaurateurs ; les magasins de vente, les automobilistes en stationnement interdit, les résidents occupant les devants des façades sans permission et enfin les marchands ambulants. Ces derniers ont fait preuve d'une telle avidité qu'ils se sont emparés de tous les trottoirs et de bonnes parties des chaussées. Dans certains endroits, les automobilistes comme les marcheurs souffrent le martyre pour se frayer un chemin. L'été dernier des chariots exposant à la vente des figues de barbarie se sont installés à même le Boulevard Mohammed V. Le fait que ce Boulevard, très chargé, d'Histoire et de symboles en arrive là est la preuve d'un laisser et un aller laisser faire révoltant et inacceptable. N'était-il pas un haut lieu de déambulation et de convivialité ? Cet incident est à lui seul révélateur de l'anarchie qui sévie; qui signe et qui persiste !