Le phénomène du mariage des mineures sévit de manière inquiétante au Maroc en dépit des restrictions imposées par le Code de la famille, poussant la société civile à sonner la mobilisation pour tenter d'inverser la tendance. Un débat organisé mercredi à Fès par le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) et le Centre des droits des gens sur la thématique : «La mère-enfant: face aux défis de la grossesse chez l'adolescente», a permis de faire le point sur l'ampleur de ce phénomène et sur son coût élevé pour la communauté. Selon le ministère de la Justice, le nombre de filles mariées à moins de 18 ans au Maroc est passé de 33.253 en 2009 à 39.031 en 2011, soit 12 % de l'ensemble des mariages, et celui des naissances chez les filles âgées de 15 à 19 ans est estimé à 50.000 cas, soit 7 % du total des naissances. Ces chiffres, ajoutés à ceux du Haut commissariat au plan (HCP) selon lesquels 62,8% des femmes au Maroc ont été victimes de violences, ne laissent personne de marbre. Pour les juristes et militants des droits de l'Homme qui ont animé ce débat, les grossesses précoces sont la conséquence de mariages d'enfants, de violences sexuelles ou de l'insuffisance de l'éducation à la santé sexuelle et reproductive. Au Maroc en effet, un jeune sur 5 ne connaît pas le SIDA, seulement un jeune sur 10 a eu une idée sur les autres maladies sexuellement transmissibles, alors que 15% des jeunes ne connaissent aucun moyen de contraception. Les grossesses des adolescentes restent aussi étroitement liées à la pauvreté, à la faiblesse du statut des femmes, au manque d'éducation et à l'abandon scolaire, ainsi qu'à l'échec des systèmes et institutions qui devraient protéger les droits de cette catégorie. Ainsi, pour la représentante du FNUAP à Rabat, Mme Mieko Yabuta, qui ouvrait le débat, le mariage des mineures «demeure un challenge pour le Maroc» en dépit des progrès «remarquables» accomplis en matière d'égalité entre les sexes et de promotion des droits des femmes, comme la levée des réserves sur la Convention sur l'élimination des discriminations à l'égard des femmes, l'adoption d'une nouvelle Constitution, le Code de la famille, qui instaure l'égalité dans la capacité de contracter le mariage à 18 ans, ainsi que la récente révision du Code pénal concernant le mariage des jeunes filles mineures victimes de viol. Avec une proportion de 12 % de mariages contractés au Maroc en 2011, le phénomène du mariage des mineures «est non seulement élevé, mais il progresse d'une année sur l'autre», a-t-elle asséné. Il faut dire que les grossesses des adolescentes s'accompagnent de conséquences négatives pour leur santé, réduisant leur chance de bénéficier de leur droit à l'éducation et de faire des choix dans leur vie tels que l'emploi, la formation et la participation à la prise de décisions, contribuant ainsi à perpétuer le cycle de la pauvreté, de l'inégalité et de l'exclusion. Si les jeunes filles ont moins d'intérêt pour le suivi de la grossesse et sont plus exposées aux avortements à risques, les mères les plus jeunes, enceintes pour la première fois, encourent en outre un risque significativement élevé de décès ou d'invalidité maternelle, selon le FNUAP. Ce qui fait dire à la représentante de cet organisme onusien au Maroc que le mariage des enfants «est une violation des droits de l'Homme». Le phénomène du mariage des filles «est le résultat d'une vue très étroite des potentiels des filles, les privant de leurs droits fondamentaux à l'éducation et la formation et les enfermant dans un rôle reproductif», ajoute-t-elle. Très sensible au fait que le taux de fécondité chez les adolescentes âgées de 15 à 19 ans est de 32 pc au Maroc, contre seulement 6 pc en Tunisie par exemple, l'ambassadeur du Canada à Rabat, Mme Sandra McCardell, n'y va pas par quatre chemins. «C'est une injustice flagrante et insupportable envers les jeunes filles. C'est un phénomène qui ôte à ces enfants le droit de choix à l'éducation, à la santé et à l'emploi, et réduit leur potentiel d'épanouissement», dénonce-t-elle avant de plaider pour une interdiction «formelle» du mariage des jeunes filles. Les participants à cette journée de plaidoyer ont proposé plusieurs pistes pour juguler le phénomène. Si certains ont réclamé l'»abolition» pure et simple du mariage des mineures par une révision des articles 20 et 21 du code de la famille qui accordent au juge de la famille la possibilité d'autoriser, exceptionnellement, le mariage avant l'âge de capacité matrimoniale fixé à 18 ans, à l'image de la démarche entreprise par certains groupes parlementaires à la Chambre des représentants, ou pour l'adoption d'une loi «complète» sur la violence, d'autres ont relevé que le travail législatif ne suffit pas à lui seul pour inverser la tendance et qu'il faut en conséquence étendre l'offre et l'accès à l'information et aux services de la santé sexuelle et reproductive pour les adolescentes et les jeunes, qui représentent à eux seuls 28,2 pc de la population au Maroc. Mais pour la majorité des intervenants, il faut surtout investir dans l'éducation, puisque des filles éduquées et en bonne santé ont une meilleure chance de se marier plus tard, de différer le moment de leur première grossesse, d'avoir des enfants en meilleure santé et de gagner un revenu plus élevé.