Depuis quatre ans, Lionel Messi conservait jalousement le Ballon d'or. Lundi 13 janvier, l'Argentin du Barça devrait le prêter à un rival. La faute à une saison marquée par les blessures et les affaires. Depuis 2009, Lionel Messi a pris l'habitude de prolonger les plaisirs de Noël jusqu'en janvier. Des étrennes qui n'ont rien à voir avec la fête des rois mages, très populaire en Espagne. L'attaquant du FC Barcelone reçoit, chaque début d'année, une sphère dorée d'une trentaine de centimètres de haut. Mais cette fois-ci, le Ballon d'or, qu'il monopolisait depuis quatre éditions, un record, devrait lui échapper. Même s'il fait partie des trois nominés, aux côtés du Portugais Cristiano Ronaldo et du Français Franck Ribéry, le petit Argentin de 26 ans, handicapé par des blessures, ne devrait pas recevoir, lundi 13 janvier, le trophée récompensant le meilleur joueur. Si 2013 apparaît comme l'année la plus difficile de Messi depuis ses débuts professionnels, en 2004, le tableau, vu des stades, n'est pas si noir. Il ressemble plutôt à l'histoire de l'élève surdoué habitué aux félicitations du jury et dont on s'inquiète parce qu'il n'a obtenu qu'une mention « bien ». « Messi nous a habitués à s'améliorer de saison en saison. Comme Cristiano Ronaldo, si une année, au lieu de mettre 70 buts, il n'en met que 55, on parle d'une baisse de niveau », relativise David Ruiz Marull, journaliste à La Vanguardia, le principal quotidien catalan. Sur le plan statistique, l'année civile de l'Argentin n'a rien d'infamant : en 46 matchs, il a inscrit 45 buts. Un ratio auquel peu d'attaquants peuvent prétendre. Au printemps, il a remporté la Liga – pour la sixième fois de sa carrière – et, quelques semaines plus tard, la Supercoupe d'Espagne. Affaibli par des blessures à répétition aux deux cuisses, il a réussi à éliminer le Paris-Saint-Germain quasiment à lui tout seul, lors du quart de finale retour de la Ligue des champions, le 10 avril, au Parc des Princes. Mais en dehors des terrains, il a passé beaucoup de temps à l'infirmerie : d'abord pour soigner une élongation récurrente au biceps fémoral de la cuisse droite, en avril et en mai, puis pour s'occuper du même muscle de la cuisse gauche, à la suite d'une déchirure contractée à la mi-novembre. Les explications et les supputations se sont multipliées ces derniers mois pour tenter de comprendre les nombreuses rechutes du prodige argentin. La presse espagnole a évoqué la prise de distance avec son physiothérapeute, Juanjo Brau. Appelé à de plus hautes responsabilités avec le Barça, Juanjo Brau ne s'occupera plus autant de Lionel Messi, qu'il avait pris l'habitude de suivre dans quasiment tous ses déplacements depuis quelques années. La piste d'une mauvaise alimentation a aussi été avancée. Mais Lionel Messi a balayé ces théories : « Les gens disent des choses sans savoir de quoi ils parlent... C'est faux. Mon alimentation est toujours la même. Ils invoquent des montagnes de raisons... » Toujours est-il qu'une gloutonnerie d'un autre genre ne peut être écartée au rang des causes plausibles de ses ennuis physiques : en cinq saisons, de 2008 à 2013, l'attaquant a disputé 326 matchs. Soit, en moyenne, plus de 65 rencontres par saison. « MESSI N'A PAS DÛ FAIRE UN CHÈQUE AUX IMPÔTS DE SA VIE » En dehors du terrain, l'image jusque-là immaculée de l'ambassadeur de l'Unicef – il l'est depuis 2010 – a été sérieusement entachée par deux affaires extra-sportives. La première, concernant un scandale de fraude fiscale, a éclaté en juin. Les enquêteurs soupçonnent une évasion fiscale de 4,16 millions d'euros, à travers des sociétés écrans au Belize et en Uruguay, portant sur les droits à l'image du joueur, entre 2006 et 2009. Le 27 septembre, Lionel Messi et son père, Jorge Horacio, ont été entendus par un juge du tribunal de Gava, la commune de la banlieue de Barcelone où la star argentine réside. Mis en cause, Lionel Messi et son père rejettent la responsabilité sur un ancien agent, Rodolfo Schinocca, qui de son côté affirme ne plus travailler pour les Messi depuis 2006. Le père a payé 5 millions d'euros, le 14 août, « au titre de paiement et intérêts dans le cadre de la procédure en cours », selon le tribunal. Une somme à relativiser, comparée aux 41 millions de dollars annuels (30 millions d'euros), salaires et revenus commerciaux confondus, qui en font de Lionel Messi le dixième sportif le mieux payé du monde, selon un classement établi par le magazine Forbes, en juin 2013. Fin décembre, ce sont des soupçons de blanchiment autour de l'organisation de matchs amicaux relayés par le journal espagnol de centre droit El Mundo que la famille Messi a dû écarter, assurant qu'il s'agissait de « matchs de bienfaisance à 100 % ». Au-delà du joueur, c'est aussi et surtout son entourage qui a été remis en cause. « C'est un secret de Polichinelle, Lionel Messi n'a pas dû faire un chèque aux impôts de sa vie, il ne s'occupe pas de toutes ces questions, estime Alexandre Juillard, coauteur d'une autobiographie non autorisée, Le Mystère Messi (éd. Jean-Claude Gawsewitch, 2012). Mais quand on est le plus grand joueurde foot du monde, qu'on est le mieux payé, c'est bien d'être entouré de vrais professionnels. C'est un système beaucoup trop clanique, qui a très peur des gens venus de l'extérieur pour gérer leurs intérêts. Ce système-là peut marcher pour un joueur avec des revenus moindres, mais dans le cas de Messi, c'est trop compliqué à gérer. » Au final, il n'est même pas sûr que ces affaires ternissent réellement l'image de Messi. A Barcelone, club qu'il a rejoint à la fin de l'année 2000, le petit joueur est, à l'instar de la Sagrada Familia d'Antoni Gaudi, un monument indéboulonnable. Privé de son traditionnel cadeau de début d'année, Lionel Messi a toutefois sacrifié, lors des fêtes, à une tradition toute catalane, le « Cagatio », un tronc de Noël qu'il faut frapper à coups de bâton pour qu'il donne des cadeaux. Dans le rôle du « tronc » prêt à se faire battre, Javier Faus. Peu connu du grand public, le vice-président et trésorier du Barça a eu le tort d'estimer sur la radio catalane RAC 1, le 10 décembre, qu'il ne voyait pas de raison de revoir à la hausse « le contrat de quelqu'un que nous avons déjà augmenté il y a six mois ». L'attaquant, en rééducation en Argentine, a peu apprécié, même si le président du Barça, Sandro Rosell, a juste après publiquement estimé que « le meilleur joueur du monde mérite le meilleur contrat ». « MONSIEUR FAUS EST UNE PERSONNE QUI NE CONNAÎT RIEN AU FOOTBALL » Pas vraiment adepte des déclarations fracassantes, Lionel Messi, dont le contrat a été prolongé, le 7 février 2013, jusqu'en 2018, a répondu, sur les mêmes ondes : « Monsieur Faus est une personne qui ne connaît rien au football. Il veut diriger le Barça comme si c'était une entreprise, mais ça ne l'est pas. Barcelone est l'une des plus grandes équipes du monde et mérite d'être représentée par les meilleurs dirigeants. Je lui rappelle que ni moi ni personne de mon entourage n'a demandé une quelconque augmentation, ni renouvellement [du contrat]. Et il le sait très bien. » Même si le club se refuse à communiquer plus amplement sur le sujet, la revalorisation du contrat du joueur serait pour bientôt. La violence de l'attaque, pas vraiment appréciée dans les médias catalans, apparaît inhabituelle chez un joueur plus réputé pour son mutisme que pour ses frasques verbales. « Déjà à l'époque d'Ibrahimovic [joueur du Barça de 2009 à 2011], Lionel Messi envoyait des SMS à Guardiola [alors entraîneur du Barça] pour lui dire qu'il était mal à l'aise, précise Alexandre Juillard. Il a toujours su dire les choses quand ça n'allait pas. Mais, en général, c'était avec son téléphone et à qui de droit. » Cette sortie publique résume finalement une année 2013 délicate pour le joueur du Barça : pour la première fois de sa carrière, il aura plus fait parler de lui en dehors des terrains que sur les pelouses. A Barcelone, l'attente autour de son retour est forte. Fin décembre, le quotidien Mundo Deportivo se moquait des rumeurs de transferts du Polonais Lewandowski au Bayern, et estimait que le Barça, en revalorisant Messi, se renforcerait avec « le meilleur joueur du monde ». Vendredi 3 janvier, 13 000 personnes étaient présentes pour assister à un match d'entraînement exceptionnellement ouvert au public dans le stade annexe du Camp Nou. Une opposition durant laquelle l'Argentin, revenu en Catalogne quelques jours auparavant, a inscrit un triplé. « Il était visible qu'il avait mis à profit les semaines passées en Argentine pour s'affûter. S'il recommence à marquer et qu'il met des paires de buts, tout le monde oubliera ses déclarations sur Javier Faus », prédit le journaliste David Ruiz Marull. Et mercredi 8 janvier, pour son retour après deux mois d'absence, en Coupe du roi, face à Getafe, il ne lui a suffi que d'une demi-heure de jeu pour en inscrire deux. Pour soigner sa dernière blessure, Lionel Messi est resté plus d'un mois en Argentine. Alexandre Juillard y voit le signe que le joueur « a grandi ». « C'est la première fois qu'il dit : "Je vais attendre le temps qu'il faudra pour bien récupérer." Alors qu'avant, il voulait toujours reprendre le plus vite possible. Il est plus mature et a un objectif clair pour 2014 ; pour un Argentin, gagner une Coupe du monde au Brésil, ça n'a pas de prix. » Si Lionel Messi réussit son pari estival, nul doute qu'il devra à nouveau, dès janvier 2015, refaire de la place sur son étagère à trophées pour recevoir ses étrennes particulières. Le Monde week-end (Samedi 11 Janvier 2014)