Le cinéma est-il ségrégationniste? Oui si l'on juge le système de production dans les pays cinématographiquement développés en particulier les Etats-Unis. Ce pays qui compte depuis des siècles une forte population de gens de couleur n'a pas permis l'accès au cinéma à tout le monde. Il a fallu des décennies pour que les premiers cinéastes noirs réalisent leurs premiers films et cela s'est passé dans la douleur. Les Majors étant détenus par des Américains blancs depuis l'instauration de Hollywood dans les années dix, le cinéma fut pendant longtemps un spectacle monté par des Blancs pour les Blancs. Pire encore: avant d'établir l'égalité entre les races blanches et noires, le cinéma renforçait toutes les formes de ségrégation non seulement envers les races de couleur noire, mais également envers les habitants d'origine. Que l'on se rappelle les milliers de films westerns et la place «privilégiée» réservée aux Amérindiens conçus par des cinéastes racistes jusqu'à l'os qui ont fait l'admiration des cinéphiles franchement naïfs. L'image de l'Indien sauvage et arriéré a marqué à jamais les esprits à force de la forger par le cinéma, l'outil médiatique le plus efficace durant ce dernier siècle. La place réservée aux Noirs et Indiens est devant la caméra dans des rôles méprisables, détestables, humiliés à outrance devant un très large public. Si cette image a concrètement changé depuis quelque temps, c'est que la société américaine s'est nettement améliorée et les esprits ont radicalement évolué surtout après l'abolition de la ségrégation sous la république des Kennedy. Peu de temps après, des cinéastes noirs ont fini par investir Hollywood précédés par des acteurs imposants mais également conciliants. Des cinéastes tels que Gordon Parks, Melvin Van Peebles, Spike Lee, John Singleton, Lee Daniels, ont contribué efficacement au développement d'un cinéma noir, renversant parfois même l'image établie, en vue de corriger l'Histoire et ramener les personnages, Noirs et Blancs confondus, à leur véritable dimension. Ils arrivent à trouver des producteurs, toujours blancs, pour financer leurs projets tant qu'ils sont rentables grâce à un public potentiel à la quête d'identité. Les projets hollywoodiens trouvent aujourd'hui un appui public à grande échelle grâce également à des acteurs de couleur de forte personnalité, fiers de leur origine afro-américaine, populaires et exigeants que le public admire partout. Morgan Freeman, tout comme Denzel Washington, Samuel Jackson, Eddy Murphy, Will Smith, Wesley Snipes, sont hissés au rang de stars hollywoodiennes à part entière grâce au box-office. En fin de compte, va-t-on continuer à soupçonner un lien dialectique entre la ségrégation et le pouvoir de l'argent?