Le dernier film de Spike Lee est son meilleur (en attendant le prochain). Après “la 25ème heure”, il nous semblait difficile de faire mieux, pourtant le petit black de New York livre un film de braquage à la fois haletant et très profond. Servi par de très grands acteurs, “The Inside Man” est une leçon de cinéma. Remettons d'abord les choses dans un contexte précis. Spike Lee commence sa carrière par une comédie, aujourd'hui cultussime, «Nola Darling n'en fait qu'à sa tête ». C'était il y a vingt ans. On découvre alors un cinéaste rebelle, indépendant, révolté et crâneur. Suivent des coups de force de « Do The Right Thing» à «La 25ème heure» en passant par «Jungle Fever» (Palme d'or à Cannes en 91), «Mo Better Blues», «Malcolm X», «Summer of Sam», «He got Game» et j'en oublie au moins un. Ce rappel sert à démontrer que nous sommes là face à des chef-d'œuvres du 7ème art. Chaque film est un événement pour l'un des auteurs les plus marginaux du cinéma mondial. Racisme, guerres ethniques, marginalisation, compartimentation du tissu social américain, discriminations de tous genres, violence urbaine, mythes et légendes, vraies -fausses vérités sur la politique, bref, Spike Lee n'a jamais fait un seul film politiquement correct. Il dénonce dans chaque opus le milieu où il vit et tire la quintessence de son cinéma de scènes réelles. L'imaginaire n'est là que pour donner plus de corps à une cinématographie très pointue. Dans «The Inside Man», son film le plus typé (dans le genre film de casse), au-delà de l'intrigue sous-tendue par un jeu d'échecs entre des caractères ciselés (servis par Denzel Washington, Clive Owen et Jodie Foster, avec en arrière-plan Willem Dafoe et Christopher Plummer), le propos est ancré dans la vision multidimensionnelles de Spike Lee : pas de cinéma sans thèmes majeurs. Le 11 septembre est là, présent à la fois dans les dialogues (la scène de l'interrogatoire du vigil pakistanais révèle plus sur l'état de l'après chute du World Trade Center que beaucoup de discours grandiloquents). L'auteur le souligne bien quand il revendique son cinéma dénonciateur et anti-raciste : “Oui, beaucoup d'Américains ne font pas la différence entre un Sikh ou un Arabe. Toute personne qui porte un turban est un terroriste potentiel”. Celui qui est considéré selon ses propres dires «Comme le rebelle d'Hollywood! Le fauteur de trouble… » réalise un film déconcertant où le notion du pouvoir prend tout son sens. Plus une réflexion sur l'ambiguïté des rapports entre Bien et Mal qu'un constat social, c'est une œuvre sur les grandes préoccupations du monde actuel, sur fond d'identités floues, de contours indéterminés et de recherches de repères fiables dans une société disloquée. Spike Lee résume bien son film et sa portée en soulignant que :« Selon moi, les films politiquement corrects ne font pas la différence entre des Russes et des Albanais, ne dénoncent pas le racisme de cette façon. J'ai d'ailleurs ajouté la scène entre le Sikh et les policiers.» Autant d'indices qui tout en respectant le film du genre n'échappe pas à la manière Spike Lee toute en finesse. Assurément le film parfait entre spectacle et dimension humaine très profonde, sans aucune fioriture ni un seul plan gratuit.