Entretien avec Mme Anke Strauss, Représentante de l'Organisation Internationale pour les Migrations (IOM) au Maroc : Nécessité d'une stratégie cohérente et d'une bonne coordination des pays transfrontaliers Après le rapport du CNDH sur les droits des migrants et le tournant décisif qu'a pris ce volet après l'approbation Royale, la politique migratoire devrait, dans les prochains mois, se doter d'un plan d'action global et d'un arsenal juridique espéré solide qui prenne forme en même temps que cette réforme en cours de la justice. Pour un pourtour de la question migratoire dans ce nouveau contexte, nous avons recueilli les appréciations de Mme Anke Strauss, Représentante de l'Organisation Internationale pour les Migrations (IOM) au Maroc. Entretien. Un premier rapport lors de la visite officielle (juin 2013) de la rapporteuse spéciale de l'ONU sur la traite humaine au Maroc, puis un autre élaboré par le Conseil National des Droits de l'Homme sur les droits des migrants, comment avez-vous accueilli la dernière nouvelle ? Il est à souligner tout d'abord que le premier rapport sur la traite humaine, dont la rapporteuse spéciale de l'ONU a déterminé les besoins au Maroc, constitue le 3ème volet des quatre axes développés dans le rapport du CNDH. Le Conseil National pour les Droits de l'Homme y a intégré les propositions et recommandations de Mme l'inspecteur rapporteuse. D'ailleurs, les deux conclusions coïncident avec le plaidoyer de l'OIM des années passées. Au sein de l'OIM, nous en sommes très contents, et c'est louable, qu'un tel rapport soit sorti. Si l'on a reçu les conclusions et les recommandations, on est dans l'attente du rapport entier, pour en étudier les détails et les arguments, lequel, serait disponible, comme on nous l'a confirmé, faute de traduction, dans les semaines prochaines. Ayant ratifié en 2012 le protocole de Palerme, et d'autres conventions en rapport avec la migration, ce dossier, après le rapport du CNDH, est mis sous l'égide de Sa Majesté Mohammed VI, dans un nouveau contexte et selon une nouvelle politique migratoire, qui prend en compte l'insertion économique et sociale, sans discrimination, c'est une bonne initiative... Nous sommes heureux que Sa Majesté Mohammed VI ait confirmé son soutien politique, ce qui est très important. La prochaine étape, c'est la mise en œuvre de ce projet, une tâche assez difficile qui demande, a priori, l'élaboration d'une stratégie spécifique et d'un plan d'action national, selon une politique cohérente. Le Maroc devrait prendre le temps nécessaire de réfléchir à une solution adéquate et solide, en examinant toutes les problématiques et les challenges, pour le bénéfice aussi bien du Maroc que des migrants et ce, en concertation avec les différents partenaires. La migration est une question difficile et complexe, en rapport avec des questions légales, humaines et opérationnelles. L'OIM est-il impliqué dans la mise en œuvre des recommandations du CNDH avec le gouvernement ? Pas encore. Nous sommes disposés à donner une assistance technique au gouvernement pour cette mise en œuvre. Avez-vous des statistiques sur le nombre d'immigrés en situation irrégulière ou autres ? Sur certains oui. Selon le Haut Commissariat aux Réfugiés (UNHCR), les réfugiés sont au nombre de 850 au Maroc. Et d'après le ministère de l'intérieur, les personnes en situation irrégulière ont atteint 20 000, ce qui n'est pas beaucoup comparé aux 30 millions de marocains. Et vu que la traite est une question clandestine, on ne connait jamais le nombre exact de ses victimes. Ce que l'on peut souligner, c'est que, le nombre de victimes de traite reçues par l'OIM, jusqu'au mois de septembre 2013, a triplé par rapport à 2012. 30 victimes sont venues nous voir pour assistance cette année contre 12 durant toute l'année 2012 dont la majorité est d'origine subsaharienne. En 2013, il y a un petit changement, plus de 80% sont des subsahariens, suivi de victimes femmes d'origine asiatique : Philippines, Indonésie... Actuellement, les femmes ne sont plus les seules victimes de la traite, les hommes aussi et pour la plupart des mineurs(es) de moins de 18 ans. L'Etat optimise, en premier lieu, de régulariser la situation des migrants, quelles sont à votre avis les priorités ? Le plus important, c'est de déterminer et de distinguer les quatre différents groupes de migrants. Ce sont tout d'abord les réfugiés et les demandeurs d'asile, les victimes de traite, les migrants en statut régulier et les migrants en situation irrégulière. Le gouvernement va se concentrer dans un premier temps, ce qui est parfait, sur les réfugiés, autrement dit, les gens pour lesquels le Haut Commissariat aux Réfugiés (UNHCR) a déjà préétabli qu'ils ont un statut, conformément aux conventions internationales des réfugiés. C'est d'ailleurs le groupe le plus important à régulariser, faute de travail. La même problématique touche les migrants en situation régulière, des étrangers mariés à des marocains, non encore intégrés dans la société marocaine, faute de lois adéquates. Il y a beaucoup d'enfants de père syrien décédé et de mère marocaine qui ont encore des difficultés à obtenir la nationalité marocaine et donc peinent à s'inscrire dans une école. Le troisième groupe est constitué de victimes de traite qui ont, selon la loi 02-03, le statut de migrants irréguliers et sans papiers, bien sûr. Sachant qu'ils n'ont pas demandé à venir au Maroc de leur propre volonté et de manière illégale. Il est donc impératif d'élaborer un cadre juridique qui les protège, leur confère les droits universels mais surtout de réfléchir sur les mesures à prendre pour échapper à la traite. Et finalement, le plus difficile, serait de traiter la situation des migrants irréguliers. Pour ce dernier volet, il serait utile pour le Maroc de s'intéresser aux bonnes pratiques d'autres pays. A titre d'exemple l'Italie qui vient de faire une amnistie pour les migrants irréguliers, ceux qui ont vécu et travaillé dans le pays pendant dix ans. D'ailleurs, beaucoup de Marocains en ont bénéficié. En matière de régularisation, les ressortissants parlent de lenteur et de complexité des procédés administratifs pour l'obtention de la carte de séjour, qu'en dites-vous ? J'ai entendu dire la même chose. On nous parle de complexité dans la régularisation du statut et l'autorisation de travail, mais ce n'est pas un domaine qui nous incombe. Ce qui est primordial, c'est de tenir compte, dans la réforme en cours de la justice, du cadre juridique des migrants et de la nationalité des enfants issus d'une mère marocaine et d'un père étranger. Autrement dit, que cette politique migratoire prenne forme en même temps que la réforme judiciaire. A ce propos, Mme Ezeilo, la rapporteuse spéciale de l'ONU sur la traite humaine avait dans son rapport, souligné plusieurs points dont le cadre normatif et législatif pour la traite, à renforcer dans le code pénal. Est-il en cours d'élaboration ? On nous a dit que le Maroc est en train de développer ce cadre sous la coordination de la délégation interministérielle des droits humains. Qui dit régularisation administrative des travailleurs immigrés dit regroupement familial, droit au vote..., le Maroc est-il, à votre avis, pour le moment, en mesure d'accorder toutes ces prérogatives, surtout que la majorité ne compte pas revenir dans son pays d'origine ? Ce sont des mesures à prendre en considération au fur et à mesure, après l'élaboration de la stratégie, du plan d'action et la mise en œuvre de la politique migratoire. Pour l'instant, ce n'est pas encore le cas, il faudrait prendre son temps pour développer une politique cohérente et pérenne et traiter les cas de migration régulière et irrégulière de subsahariens, d'européens ou autres sans discrimination. Il est clair que toutes les catégories contribuent à l'économie du Maroc. Les pays de l'Afrique de l'ouest comme la côte d'Ivoire et le Sénégal sont des partenaires très importants pour le Maroc, comme d'ailleurs l'Espagne et la France. Il faut trouver une réponse cohérente qui corresponde à toutes les deux. A ce propos, comment intégrer la migration dans la planification du développement ? A ce sujet, autant dire que l'OIM travaille sur deux projets avec le Gouvernement Marocain et des ONGs au niveau local et régional et les réseaux de marocains résidents à l'étranger qui s'impliquent dans le développement de leur pays d'origine. A notre avis, les communes régionales doivent prendre en considération, dans les plans de développement, la question de la migration, bien sûr, si c'est une question qui les touche de près, tel l'oriental, Béni Mellal ou Khouribga. Faire une recherche sur mesure et trouver comment la migration peut aider au développement de la localité. L'objectif des deux projets, c'est de voir comment on peut impliquer les communes de régions comme l'oriental ou Souss Massa Deraa, où la migration a une forte concentration et un fort impact sur le développement. Pays de transit, sujet à la migration clandestine, la faute et les mesures à prendre pour y pallier ne devraient pas incomber uniquement au Maroc mais aussi aux pays transfrontaliers ? On incrimine toujours le Maroc dans les violations des droits de l'Homme... Tous les pays se trouvent dans la même situation. L'Espagne a des problèmes similaires en matière d'immigration irrégulière et de droits humains des migrants que le Maroc. Certes, ils ont leur rôle à jouer, et c'est pour cela qu'il est important qu'il y ait une bonne coordination entre eux. La migration est difficile à gérer entre le Maroc et l'Algérie, une longue frontière de plus que 1500 kilomètres et sans coordination politique de la situation sur le terrain. Avec l'Espagne, la coordination est beaucoup plus avancée. Il serait souhaitable que la gestion puisse être traitée communément entre les trois pays.