Kidal, située à 1.500 km au nord de Bamako et dernière ville au nord du Mali qui était encore aux mains des Jihadistes, a été reprise avant-hier soir par les troupes françaises et maliennes. Après la reconquête de l'arc du fleuve Niger, de Gao à Tombouctou, c'est maintenant la fin de la guerre conventionnelle. Mais la partie est loin d'être terminée. L'on pourrait même dire qu'elle n'a même pas encore commencé, vu l'absence d'une véritable résistance jihadiste à la progression des forces franco-maliennes jusqu'à présent. Les commandants militaires jihadistes, après la bêtise stratégique de l'attaque contre le sud du Mali, semblent avoir pris la juste mesure de la situation, leurs katibas n'étant pas, de toute évidence, aptes à stopper et repousser les forces d'intervention françaises. Leur retrait des villes du nord du Mali, pour s'évaporer ensuite dans le désert du Sahara central, confirme toutes les prévisions des experts militaires. Appliquant à la lettre les principes de la guerre révolutionnaire, tels que conçus par Mao Dze-Dong, les Jihadistes s'effacent devant la puissance de feu des troupes françaises et se planquent éparpillés à travers les vastes contrées désertiques du nord du Mali, un territoire encore plus grand que la France. En attendant leur heure... Même si confortés par leurs prompts succès militaires sur le terrain, dans un étalage de force digne de la belle époque de la Françafrique, avec la première grande opération aéroportée menée par les parachutistes de la légion étrangère du 2éme REP sur Tombouctou depuis celle de Kolwezi en 1978, les dirigeants politiques français ont exactement la réaction qu'attendaient d'eux les Jihadistes. Le ministre français des Affaires étrangères, M. Laurent Fabius, a déclaré récemment que «le dispositif (militaire) français n'a pas vocation à être maintenu. Nous partirons rapidement». «Maintenant, c'est aux pays africains de prendre le relais», a-t-il précisé. Or, rien n'est encore joué, loin de là. La stratégie de la guerre révolutionnaire comporte trois étapes, la subversion, la guérilla et enfin la guerre classique. Le déploiement des combattants révolutionnaires s'effectue en conséquence, d'abord des cellules infiltrées dans les agglomérations urbaines pour mener des actions terroristes, ensuite des unités réduites de combattants pour harceler les troupes régulières, et enfin le regroupement de toutes les unités en bataillons pour mener l'assaut final. Et en cas de difficultés à affronter les troupes régulières dans un choc conventionnel, les bataillons se divisent à nouveau en unités autonomes qui s'évaporent dans la nature. C'est exactement la stratégie qui a été mise en œuvre jusqu'à présent par l'AQMI et ses rejetons du MUJAO et d'Ansar Dine. De toute évidence, les combattants jihadistes vont attendre patiemment la réduction des troupes françaises sur le théâtre des opérations pour manifester à nouveau leur puissance face à des troupes africaines qui sont loin de disposer de suffisamment de compétences et de moyens pour venir à bout des combattants aguerris de l'AQMI et consort. Bien qu'il soit fort probable également que les Jihadistes ne restent pas les bras croisés en attendant cette perspective plus que probable. Les lignes d'approvisionnement des troupes françaises sont maintenant étirées sur des centaines de kilomètres sur lesquelles les convois d'appui logistiques seront faciles à attaquer. Et la saison des pluies au Mali, qui rend toute manœuvre militaire d'envergure malaisée, ne va pas tarder à survenir. Parallèlement, des opérations de nature terroristes peuvent être aisément exécutées dans les villes maliennes, où les Jihadistes disposent de pas mal d'agents infiltrés et de sympathisants. Elargissement de la fracture ethnique Les dirigeants politiques français ne semblent pas prendre conscience du risque d'affrontements à caractère ethnique qui peuvent se produire au nord du Mali si la France devait laisser tête-à-tête les troupes africaines et les populations touaregs et arabes du nord du Mali. Ce qui ferait le jeu des Jihadistes, dont les rangs sont essentiellement composés justement de touaregs et d'arabes. Si l'arrivée des troupes françaises de l'opération Serval a été applaudie par les populations maliennes de toutes les villes libérées, leur départ, par contre, ne sera apprécié que par les combattants jihadistes. Déjà que les soldats maliens, dans une réaction de vengeance des plus stupides, n'ont pas manqué de se livrer à des exactions sur les personnes soupçonnées d'avoir «collaboré» avec les Jihadistes et qui se trouvent être toutes touaregs et arabes. Exécutions sommaires et pillages des magasins des personnes désignées à la vindicte populaire se déroulent sous le nez et la barbe des forces françaises pourtant présentes en force et creusant encore plus la fracture ethnique dans les villes du nord du Mali. Qu'adviendra-t-il après le départ, ou du moins une réduction significative des soldats français ? Les troupes africaines de la CEDAO sont commandées par le général nigérian Shehu Abdulkadir. Pas la peine de rappeler la lutte féroce que mènent chez eux les forces de sécurité nigériane contre les terroristes islamistes de Boko Haram, qui se trouvent être des alliés d'AQMI et consort. Les soldats nigérians ont donc bien des comptes à régler avec les Jihadistes et leurs supposés sympathisants et ne sont pas particulièrement réputés pour leur respect des Droits humains. De même des troupes tchadiennes, aguerries dans les combats contre les rebelles venant du Darfour et non moins remontés conte les Jihadistes. La grande faille dans le dispositif africain, c'est donc cette présence exclusive de troupes de pays d'Afrique noire et l'absence notable de forces provenant de pays arabo-africains. Internationalistes par conviction, les Jihadistes peuvent opportunément revêtir le treillis des défenseurs des Touaregs et des Arabes du nord du Mali et exploiter au maximum les sentiments racistes largement partagés des uns envers les autres au nord du Mali. Au tout début de la deuxième guerre mondiale, pendant que les divisions d'Hitler s'enfonçaient en Pologne, les troupes françaises avaient mené l'offensive de la Sarre qui leur avait permis de pénétrer en territoire allemand sans rencontrer de grande résistance et qui aurait pu empêcher l'Allemagne nazie d'appliquer ses plans de guerre si elle avait été poursuivie. Sauf que le commandant des armées françaises à l'époque, le Général Gamelin, avait inopportunément stoppé cette attaque et ordonné le retrait des troupes. Les Français n'ont eu par la suite que leurs yeux pour pleurer cette décision lourde de conséquences. Toute proportion gardée bien sûr, un retrait précoce des troupes françaises du nord du Mali risque fort de gâcher tous les efforts militaires entrepris jusqu'à présent, voir même provoquer l'effet inverse du résultat initialement recherché, la stabilisation du Mali et du Sahel. Vu la versatilité de l'opinion publique française, qui a soutenu son gouvernement au début de l'opération Serval mais qui a eu une réaction franchement puérile face à la photo largement diffusée sur le Net d'un légionnaire le visage masqué d'un foulard imprimé d'une tête de mort -il n'aurait manqué que de lui reprocher d'être armé et d'aller se battre-, il est fort probable que la France, esseulée dans cette guerre, finisse par rappeler ses troupes, au motif que l'essentiel a déjà été fait. Dire que Serval désigne un animal qui peut uriner jusqu'à trente fois par heure pour marquer son territoire... A moins qu'un pays de la région disposant des compétences et moyens militaires nécessaires, arabe de préférence pour rééquilibrer la composition ethnique des forces africaines engagées au Mali, n'envoie ses troupes pour quadriller le terrain et continuer à faire la chasse aux Jihadistes dans le désert, avec l'appui logistique et en renseignement des Américains, comme ils le font déjà avec les Français. L'objectif serait d'empêcher les Jihadistes de reprendre du poil de la bête et de repasser à l'attaque une fois les troupes françaises parties, ainsi que de créer leur Sahelistan et d'y former des terroristes qui iront semer le chaos dans tous les pays de la région et jusqu'en Europe. Et vu la gestion désastreuse de la prise massive d'otages à Aïn Amenas, ce n'est sûrement pas l'Algérie voisine du Mali, qui n'arrive même pas à assurer la sécurité de l'un de ses plus importants sites d'extraction de gaz, qui pourrait se faire. De toute manière, les Algériens ont déjà essayé, avec leur état-major de lutte anti-terroriste au Sahel basé à Tamanrasset, avec les résultats que l'on connaît. Le 3 mars de l'année dernière, c'est à Tamanrasset même que les terroristes du MIJAO avaient frappés...