Les acrobates héritiers de Sidi Ahmed Ou Moussa, originaires des rives sud-ouest de la vallée du Souss, étaient des merveilleux saltimbanques itinérants devenus ambassadeurs d'une culture marocaine dont les racines remontent au XVIème siècle. Leur présence dans des cirques est attestée en Europe, sur le pourtour de la Méditerranée et même en Amérique au XIXème siècle. L'occasion de les évoquer ici à travers le parcours atypique du Groupe acrobatique de Tanger raconté dans un ouvrage d'art qui vient de paraître. Il s'agit de « Taoub, le groupe acrobatique de Tanger » livre qui relate l'expérience très particulière d'un groupe d'artistes constitués d'acrobates marocains issus de la tradition amazighe de Sidi Ahmed Ou Moussa et des créateurs metteurs en scènes européens. Une expérience qui semble sous-tendue par deux soucis : sauvegarder une tradition d'acrobatie spécifiquement marocaine ou du moins en dessiner quelque part une continuité et parallèlement créer des spectacles qui s'en inspirent en inventant du nouveau, du sans précédent. Edité avec le soutien de la Fondation BMCI qui poursuit depuis 2000 une politique de parrainage des ouvrages d'art visant la promotion du patrimoine marocain, il vient d'être présenté à Casablanca en présence de Mourad Cherif président de la Fondation BMCI et Martine Tridde-Mazloum déléguée générale de la Fondation BNP Paribas qui avait parrainé les spectacles du Groupe acrobatique de Tanger depuis sa création en 2004 et des artistes dont Sanae El Kamouni, Aurélien Bory, Martin Zimmermann, Dimitri de Perrot ainsi que Younes Hammich étoile et chef du groupe, héritier et continuateur d'une tradition familiale d'acrobates originaires de Tazerwalt. L'ouvrage est réalisé par les éditeurs Senso Unico et Sirocco. Histoire L'histoire du Groupe acrobatique de Tanger est en relation avec le parcours de Sanae El Kamouni, fondatrice de l'association « Scènes du Maroc », qui fut la première à reconnaître les capacités des acrobates à Tanger. Découvrant l'existence de la famille d'acrobates Hammich vivant dans la médina de Tanger, elle suggère l'idée d'une mise en scène d'un spectacle avec ces acrobates à Aurélien Bory, metteur en scène, acteur et scénographe co-fondateur et directeur artistique de « la Compagnie 111 » installée à Toulouse. L'idée ne tombe dans une oreille de sourd, loin s'en faut. La fascination pour la spécificité de l'acrobatie marocaine « en cercle » dite communément « la roue arabe » ou tinzga une « roue tordue » avec la pyramide humaine (Un chapitre du livre dénombre une quarantaine de figures acrobatiques traditionnelles avec des croquis), donne ses fruits. C'est ainsi que le spectacle « Taoub » est né en 2004, spectacle hybride où parallèlement à l'acrobatie il y a la danse, la musique, la photo, la vidéo. La présence de deux filles, acrobates accomplies, Jamila et Amal, permet de développer le thème de la femme. Taoub est le mot qui veut dire tissu en arabe, symbole du groupe auquel on fait partie, comme le souligne Aurélien Bory. « Ici, si on fait partie d'un groupe...on survit grâce à lui. Si, en revanche on est seul, notre vie est en danger. On ne peut pas survivre en tant qu'individu, on survit en tant que membre d'un groupe. C'est un tissage, ce groupe-là est un tissage ! C'est de là que l'idée est née : le tissu comme métaphore du tissu familial, du tissu social. » Il n'est pas douteux que ces indications développées par l'artiste proviennent notamment de l'observation de la notion de solidarité encore bien ancrée dans la société marocaine, ce qui parait dans la pyramide humaine avec « un qui en porte cinq, un seul qui soutient tous. ». Le spectacle est lancé grâce au soutien de la Fondation BNP Paribas. Il va constituer un succès international avec, en six ans, pas moins de 360 représentations à travers le monde en 19 pays avec représentations à New York et dans des villes européennes Anvers, festival d'Avignon, Barcelone, Paris. A chaque fois il s'agit de la création d'un spectacle avec l'empreinte d'une tradition d'acrobatie marocaine spécifique qui est soulignée dans la presse internationale. Après ce succès surprenant, un autre spectacle suivra : « Chouf Ouchouf », issu de la rencontre avec Martin Zimmermann et Dimitri de Perrot, un « duo de metteurs en scène suisses renommés dans l'univers du cirque contemporain ». Le spectacle est couronné au Festival de Brighton du Prix de l'Excellence Artistique. Actuellement, un nouveau spectacle est en préparation, « Azimut », mot d'origine arabe signifiant chemin ou direction, dont la première représentation est prévue dans le cadre de « Marseille-Provence 2013, capitale européenne de la culture ». Le livre est constitué d'un ensemble de témoignages en commençant par celui de Mohammed Hammich, le père de Younes originaire du Souss, héritier d'une famille d'acrobate de Sidi Ahmed Ou Moussa dont le père a fui l'oppression du colonialisme français pour venir chercher refuge à Tanger, ville internationale. Agé aujourd'hui de 57 ans, dans sa jeunesse Mohammed avait travaillé dans des cirques les plus mondialement renommés en tant qu'acrobate grâce aux enseignements d'un Moqaddem, le grand maître Ali Hassani qui l'avait initié et il avait fait le tour du monde à ce titre en Europe et en Amérique. Après de longues pérégrinations, il est revenu au pays. Il a transmis son art à ses enfants dont Younes, star du groupe acrobatique de Tanger, qui l'avait accompagné dans ses voyages. Mohammed tient actuellement une école pour la formation d'acrobates dans la médina de Tanger avec une soixantaine d'élèves. Un local à Bab Marsa est accordé à l'association pour servir d'aire d'entrainement. Le souci est d'assurer une relève et de préserver un esprit de la Baraka de Sidi Ahmed Ou Moussa. C'est du moins l'idée de Younes Hammich, qui initie ses propres enfants assurant la transmission du legs ancestral. Dans un témoignage émouvant, Younes retrace la rencontre avec Aurélien Bory et toute l'équipe. Ce fut une découverte mutuelle humainement enrichissante, dit-il. Il ne manque pas par ailleurs de relever quelques frustrations en notant que, malgré le succès international du Groupe des acrobates de Tanger, il n'y a pas eu de « soutien ou de reconnaissance au Maroc », bien qu'ils soient devenus des « ambassadeurs de la culture marocaine, la presse parle de nous à l'étranger. Mais quand nous revenons ici, c'est comme avoir versé de l'eau dans le sable : tu as l'impression que tu n'es rien ». A propos de la dimension spirituelle de la pratique de l'acrobatie, il ajoute : « Mon père me parle de la tradition et j'ai compris que les choses ont changé : dans le passé, faire de l'acrobatie c'était presque faire quelque chose de sacré, les acrobates étaient respectés, ils faisaient partie de la confrérie Sidi Ahmed Ou Moussa, il y avait des règles de vie à suivre »... « La confrérie de Sidi Ahmed Ou Moussa s'est arrêtée depuis un bon moment. D'abord du point de vue technique, parce que pour être un fils de Sidi Ahmed Ou Moussa il faut être capable d'exécuter l'ensemble des ce que nous appelons le « jeu arabe », c'est-à-dire toutes les figures acrobatiques traditionnelles... » Ce qui compte pour Younes et ses co-équipiers acrobates Najib El Maimouni Idrissi, Amal Hammich, Jamila Abdellaoui, Mustapha Ait Ouarkamane, Samir Lâaroussi, Yassine Srasi, Achraf Mohamed Châabane, Adel Châabane, Abdelaziz El Haddad et Younes Yemlahi, c'est non seulement de devenir des artistes accomplis, reconnus et de vivre de leur art, mais aussi de pouvoir militer pour sauvegarder une culture et une tradition d'acrobatie d'une importance historique, culturelle et spirituelle considérable.