Nous vous avions déjà parlé de la campagne lancée par le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF). De grandes affiches pour faire passer un message simple : les musulmans français sont... français : « Nous sommes (aussi) la nation ». La régie chargée de la publicité dans le métro, Media Transports (ex-Métrobus), a décidé de refuser cette campagne d'affiches. Pour se justifier, son PDG Gérard Unger a adressé au CCIF une lettre de trois pages [ci-contre] extrêmement circonstanciée. Il y voit une campagne « politique » et « confessionnelle », qui entrerait donc en contradiction avec la neutralité du service public : « L'identité de l'annonceur et l'examen de ces trois visuels nous ont conduit à considérer qu'ils revêtaient un caractère politique et confessionnel, contraire aux dispositions du contrat par lequel la RATP nous a confié l'exploitation publicitaire de ses espaces. » Que la RATP veille à rester un service public et à faire respecter les principes de neutralité et de laïcité n'est pas choquant en soi. C'est même le signe que le métro n'est pas encore une entreprise commerciale à 100%, et reste un service public. Mais les arguments avancés par Gérard Unger sont discutables. La campagne ne me semble pas faire la promotion d'une religion ou d'idées politiques : elle se contente de lutter contre une forme d'exclusion à caractère raciste. Ses images ne montrent pas des hommes ou des femmes sandwiches cherchant à « vendre » l'islam : ce sont des Français comme d'autres – c'est le sens du message –, des citoyens de confession musulmane. L'image du Jeu de paume [ci-dessous] est provocatrice, mais elle prend soin de ne pas montrer une « communauté musulmane ». A l'époque du Jeu de paume, on refusait justement l'idée de communauté. Au moment du débat sur la place des juifs, Stanislas de Clermont-Tonnerre déclarait ainsi : « Il faut tout accorder aux juifs comme individus et rien comme nation » (ici, le mot nation correspond à « communauté »). Mais le CCIF n'est pas tombé dans le piège, puisqu'on peut repérer sur l'affiche un homme revêtu d'une soutane et portant une croix chrétienne, un autre homme portant un turban blanc, un troisième portant un chapeau et des « peot » évoquant la religion juive... Même idée de diversité dans une autre des trois affiches de la campagne [ci-contre]. Le PDG de Media Transports poursuit : « Le caractère confessionnel des visuels ne peut être contesté en ce que les trois visuels utilisent des signes religieux tels que le voile, et pour ce qui concerne le second, également les “peot", la soutane, et la croix chrétienne. » Hum... La présence d'une soutane ou d'un voile serait gênante ? Mais les couloirs du métro étaient la semaine dernière pleins d'affiches montrant une femme voilée, celle qui ornait la couverture du Point fustigeant sans grande « neutralité » l'islam « sans gêne »... Selon le PDG de Médias Transports, « Dans le contexte actuel que nous sommes tenus de prendre en considération, le slogan “Nous sommes la nation" et l'utilisation d'un emblème de la nation française qu'est le drapeau français relèvent du politique et d'une revendication politique. » Là, on se pince un peu. Revendiquer le drapeau français, ce serait exprimer une revendication politique ? Ce serait menacer la neutralité du service public ? L'auteur de la lettre précise toutefois que c'est l'association drapeaux ET signes religieux qui pose problème : « Nous avons ainsi estimé que la conjugaison de signes religieux et politiques relatifs à la nation accentués par un slogan de nature politique, “Nous sommes la nation", contrevenait non seulement aux dispositions de nos conditions générales de vente reprenant l'interdiction de publicité à caractère politique et confessionnel, mais en particulier au principe de neutralité du service public. » Si l'on résume sa pensée, ce qui contreviendrait au principe de laïcité et de neutralité, c'est le fait de claironner qu'on peut appartenir à une religion (ici l'islam) et être français. Je pensais pour ma part que la laïcité, c'était l'inverse. Que c'était le principe selon lequel tout le monde est éligible à la citoyenneté, qu'on soit athée, agnostique ou d'une quelconque confession, sans discrimination aucune. C'est en tout cas le message que le CCIF a cherché à envoyer à travers ces affiches. Mais visiblement, elles ont mal été comprises.