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Hay Mohammadi story
RENCONTRE AVEC L'AUTEUR ET CINEASTE FOUAD SOUIBA
Publié dans L'opinion le 14 - 09 - 2012

On se l'arrache dans les salons feutrés et dans les chancelleries à Rabat. On le cherche partout à Casablanca. On parle beaucoup du phénomène de la rentrée littéraire au quartier Hay Mohammadi et partout ailleurs. En fait, Fouad Souiba à bluffé tout son monde en troquant sa caméra contre une plume d'une extrême sensibilité. Son premier roman « L'Incompris du Hay Mohammadi », paru récemment aux éditions SMEIN, est tout simplement passionnant de vérité et de quolibets sur le Maroc d'aujourd'hui. A peine sorti des presses qu'il est déjà nominé au prestigieux prix La Mamounia dont le lauréat sera connu le 29 septembre prochain dans la cité ocre. Interview.
L'Opinion : Votre roman «L'Incompris du Hay Mohammadi» (éditions SMEIN, Rabat) vient de paraitre. Il s'agit d'une «saga familiale d'un siècle», ce qui signifie un projet d'écriture colossal. Comment avez-vous procédé: recherche historique, sur le terrain, fictionnelle?
Fouad Souiba : Eh bien ! c'est une longue histoire puisque l'on peut imaginer aisément toutes les formes d'investigation possibles et imaginables auxquelles est confronté le chercheur dès lors qu'il s'agit de produire un roman de cette facture. N'oublions pas au départ d'évoquer le travail de mémoire essentiel à toute œuvre qui se veut être très proche de la réalité. Car il est parfaitement nécessaire pour moi de partir de personnages et d'événements réels et d'autres irréels, en les fendant les uns dans les autres et en imbriquant les filaments du récit jusqu'à en perdre les frontières et ne plus pouvoir dresser de limites entre le réel et le fictionnel. Au-delà de ce qui peut être le fruit de l'imaginaire, la réalité dans toute sa sacralité prend une importance majeure dans l'univers créé, puisqu'elle est à la base de la réflexion qui sous-tend l'histoire centrale ainsi que les historiettes secondaires de structuration du récit. A ce niveau-là il faut être à proximité de la société dont découlent les éléments de la narration. Etant personnellement journaliste, il me semble inconcevable d'aborder tout œuvre de création sans l'associer aux composantes de la société. Lorsque ce paramètre est largement observé il devient légitime de gravir les échelons et d'interpeler la puissance créative de l'auteur pour faire baigner l'histoire dans l'environnement qu'elle revendique.
Etant également une œuvre à dimension historique qui implique l'évocation d'une cascade de personnages réels de l'histoire contemporaine du Maroc, il est du devoir de l'auteur d'engager, pour les raisons d'honnêteté et de précision que l'on peut supposer, un travail d'investissement singulier dans la recherche pour aller piocher les éléments de l'histoire dans leur véracité. Ceci étant il y a une large liberté accordée aux personnages pour se mouvoir indépendamment des contraintes de l'Histoire avec un grand H mais au gré de l'évolution du récit. En tant qu'auteur, j'ai été obligé d'évoluer sur plusieurs tableaux et d'aller affronter les contraintes liées à l'interpellation de certains événements névralgiques et très sensibles avec tous les risques probables de réveiller certains démons par rapport à quelques personnages clefs de l'histoire.
Maintenant, le tout étant de réussir à présenter au lecteur une histoire romanesque sans le contraindre à prendre conscience de cette charge sous-jacente qui n'est pas de son ressort. A charge au lecteur averti en contrepartie d'en palper l'envergure et l'ampleur.
L'Opinion : On vous connait cinéaste et féru du 7ème Art. L'art de la pellicule a-t-il réussi à influer sur votre écriture?
Fouad Souiba : Sans nul doute, le cinéma doit légitimement avoir sa part de contribution à cette pratique romanesque. D'abord, par son aspect thématique, « L'Incompris du Hay Mohammadi » est un plongeon dans l'exercice artistique lié à la scène au Maroc. J'ai toujours été passionné par le cinéma : parler de ses hommes et de ses femmes, partager l'amour des films avec le public. J'en ai débattu des films dans les festivals, dans la presse, à la radio, à la télévision. Le métier du journaliste de cinéma a constitué pour moi une occupation majeure. Je l'ai exercé pendant au moins un quart de siècle de ma vie. C'est en voulant rendre hommage à cet aspect particulier de la vie culturelle au Maroc que je me suis penché sur la lecture de l'évolution des métiers en liaison avec le théâtre, la télévision et le cinéma dans une toile de fond largement dominée par l'évolution du mouvement social et subséquemment les séquelles politiques qui se sont systématiquement imposé d'elles-mêmes. Souvent on m'a demandé si ce roman ne prélude pas à un projet de film cinématographique surtout qu'il est parfaitement adapté aux mécanismes de l'écriture cinématographique. Personnellement, j'ai souvent répondu que je me devais de raconter cette histoire dans un mode littéraire purement romanesque. Maintenant, si des auteurs sont amusés par son adaptation au cinéma, je n'y vois pas d'inconvénient. Le livre appartient aujourd'hui au lecteur et à lui d'en disposer.
L'Opinion : On retrouve dans «L'Incompris du Hay Mohammadi» une série de portraits de personnalités marocaines ayant marqué la culture et la politique. Ces personnalités vous ont-elles marqué vous-même, les avez-vous décrites avec fidélité ou au gré de votre propre perception?
Fouad Souiba : Il convient de noter que le roman aborde deux genres de personnages ayant tous les deux fait ou continuent à faire le Maroc. Ceux qui sont évoqués nominativement et ceux qui ont hérité de noms de personnages de fiction. Pour les premiers, il faut avouer que les événements qui leur sont attribués sont souvent le fruit d'un argumentaire historique avéré et vérifié bien souvent après le recoupement de plusieurs sources d'information. Pour les seconds il faut admettre que leurs grands traits de caractère connus et reconnus dans le milieu sont repris avec une grande liberté d'analyse et de ton. Même si l'on peut en reconnaître certains les événements qui leur sont dédiés ne sont pas forcément captés dans la réalité mais bien souvent le résultat d'un travail d'adaptation romanesque qui prête souvent à la fiction une marge importante d'imagination et de rêve. Une troisième catégorie de personnages est totalement fictive, mais sont un appui de base pour créer cet univers du Hay Mohammadi.
Maintenant, si je dois évoquer ma relation avec ces personnalités, je dirai qu'elle tiendrait son importance de sa dimension professionnelle liée à ma propre carrière de journaliste et de cinéaste, car il m'arrive de les pratiquer directement sur le tas d'une part, et de la profonde amitié qui s'est créée entre nous après plusieurs décennies durant de bons et loyaux services rendus d'autre part. Voilà ce qui cimente cette relation et lui confère toutes les garanties du bon usage de l'information glanée çà et là et suffisamment bien ingurgitée et bien digérée pour donner lieu à cette espèce de grottes d'Ali Baba qui débordent d'anecdotes, de tours de passepasses, de fantasmes, de plongées oniriques et d'histoires abracadabrantes puisque fabriquées de toutes pièces pour les besoins de l'histoire.
Je ne vous cacherai point que l'écriture de ce roman m'a aussi enseigné sur l'histoire de mon pays. A l'instar des chercheurs universitaires, elle m'a appris à dénigrer l'approximation et à prôner la démarche de l'investigation scientifique qui fait de la chasse à la bonne information son idéal académique. N'exagérons rien, mais, disons que sur certains aspects impliquant substantiellement les institutions supérieures de l'Etat, j'ai jugé impératif d'aborder les questions y afférentes avec délicatesse et tact sans jamais y aller sur le dos de la cuiller. Il s'agissait de produire un bouquin qui a, certes, valeur d'œuvre littéraire mais qui pouvait aussi entre les mains des lecteurs faire autorité sur un aspect capital qui est l'Histoire contemporaine du pays. Il pourrait aussi constituer une entame, ou plus exactement une introduction à des notions restées particulièrement équivoques dans le Maroc d'aujourd'hui.
L'Opinion : On lit que l'histoire du Maroc y est «décrite avec dérision». S'agit-il de simple humour ou de critique, disons révisionniste de notre histoire?
Fouad Souiba : Vous savez mieux que quiconque que nous ne connaissons qu'une infime partie de notre Histoire. Celle qui est toute récente encore moins, puisque nous commençons à peine, par le truchement des livres, portrait, des journaux particuliers d'individus, par l'intérêt que le cinéma semble y accorder timidement mais surtout par l'appréhension et l'analyse novatrices qu'en font ceux qui l'ont vécue directement, à commencer à en prendre conscience. Très peu de gens prétendront aujourd'hui connaître l'Histoire de ce pays si l'on exclue les chercheurs qui même eux dans bien des cas semblent incapables de répondre à certaines questions d'actualité récentes. Quand vient le moment d'en découdre en égrenant ses composantes nous rions parfois péniblement de notre ignorance plus encore de notre incapacité à faire face aux merveilles cachées dans ses coulisses et dans ses arcanes.
Lorsque nous décidons d'interroger notre passé sur un élément en particulier nous sommes choqués par notre inaptitude à réaliser la masse de connaissances qui nous fait horriblement défaut pour prétendre être Marocain, dépositaire d'un tel héritage.
Ces différentes interrogations m'ont souvent interpelé m'obligeant à accorder l'importance qui seyait au climat politique et social dans lequel évoluaient les personnages. Ne pouvant point les déraciner il fallait un ancrage et une couleur où pouvaient s'épanouir leurs racines. D'où cette option pour ce grain de folie qui agrémente de temps en temps les événements de la narration en injectant des pince-sans-rires à une histoire grave par son héritage et morose par sa grisaille. Plus qu'une simple technique de mise en condition ou de remise en forme c'est une véritable tentative de se dénoncer, de reconnaître sa culpabilité et de s'impliquer volontairement dans l'histoire de ces gens qui ont peiné et peinent toujours à vivre décemment.
L'Opinion : Déclinez-nous l'itinéraire, rocambolesque, du personnage principal de votre roman, Sbaâ-Ellayl. En fait, à quoi correspond son histoire, quelle en est la signification?
Fouad Souiba : L'histoire de Sbaâ-Ellayl peut être l'histoire de tout Marocain lambda. Celle du Hay Mohammadi peut être cette de tout le Maroc. Si l'on suit la symbolique on peut démultiplier l'échelle de valeurs... Comme tout Marocain de conditions modestes, Sbaâ-Ellayl est un artiste qui en avait trop sur le cœur de végéter au Hay Mohammadi, célèbre bidonville de Casablanca, sans aucun espoir au bout du tunnel. Le quartier a vu naître son père, héros de l'indépendance, à qui on a relaté la bravoure du grand père héros de la guerre du Rif qui s'y est aussi installé le temps de se marier et d'engrosser sa femme. Vite parti au Rif vite disparu. Sbaâ-Ellayl passera le plus clair de son temps à arpenter les trous des ruelles et à subir le vacarme produit par la tôle le long de son enfance et de son adolescence. Jusqu'à cet âge il ne connaitra rien d'autre de la métropole casablancaise que ce taudis... Sa vie basculera quand il décidera de partir ailleurs voler de ses propres ailes. Le roman raconte ces trois générations qui témoignent d'une traversée difficile du siècle. Sbaâ-Ellayl s'émerveillera plus tard de l'émergence de la révolution arabe et s'interrogera devant l'avènement du M20...
L'Opinion : Parmi les portraits sur lesquels vous vous attardez, on devine celui de Mohamed Ousfour. Etant vous-même cinéaste, qu'a représenté pour vous et votre carrière ce créateur pionnier? Mérite-t-il le destin qui fut le sien et l'oubli où il est plongé?
Fouad Souiba : Notons dès-à-présent que ce roman est une galerie de portraits de quelque cinquantaine de personnalités marquantes du siècle actuel et du précédent. J'ai eu l'honneur et le privilège d'en avoir connu personnellement une bonne pléiade dont je raconte sans complaisance certains aspects de leur parcours en prenant du recul vis-à-vis de ce qui pouvait me lier à elle. Il n'était pas question de dénaturer leurs carrières ni de verser dans un misérabilisme éculé, mais d'engager le récit sur des pistes romanesques pourvoyeuses de plaisir et de délectation. J'ai eu l'immense plaisir de côtoyer pendant les dix dernières années de sa vie le Georges Méliès du Maroc : Mohamed Ousfour, comme plein d'autres grands de ce pays. Il m'a souvent fasciné par sa simplicité, son insatiable désir de croquer dans la vie, de se démerder pour régler les aiguilles de l'horloge de sa destinée sans trop forcer sur son mécanisme. Il m'a enseigné d'être humble et d'affronter la vie avec le peu qui est en notre possession, car l'essentiel est ailleurs. A vingt ans il ne savait ni lire ni écrire, mais, déjà à 14 ans, il tournait des bouts de films. Le mot passion lui allait comme un gand. Un autodidacte comme il y en a plus en ce monde. Un vrai miraculé qui s'incrustait sans le sou dans la ville de tous les rêveurs pour écumer les ruelles de la métropole et braquer sa caméra sur des personnages au profil curieusement hollywoodien sans ne jamais avoir aucune notion technique sur le cinématographe. Il a fini par passer son virus à un certain nombre de jeunes qui vivent présentement du cinéma... Le roman s'inspire effectivement librement d'une quantité de parcours de célèbres artistes et d'hommes politiques qui ont fait et font le Maroc. Aucun de ceux qui font l'objet de cette histoire n'était au courant de cette aventure. D'où sa singularité, je pense ! Si cela se savait, il y aurait peut-être soit des réticences soit probablement des requêtes d'aménagements à porter sur le personnage. Ce qui aurait enlevé toute originalité, toute spontanéité, toute fragilité et toute naïveté aux personnages et au livre qui s'est écrit exactement comme on aurait écrit n'importe quel autre roman. Je ne vais pas citer tout le monde mais Sbaâ-Ellayl incarne plusieurs de ces personnalités du monde artistique. C'est la somme de plusieurs itinéraires d'artistes ayant arpenté la scène du théâtre et du cinéma. C'est une espèce de portrait au pluriel de l'artiste marocain qui peut à grande échelle représenter l'artiste dans la région, ou même dans le continent. Encore un détail important, ce roman ne raconte pas la vie des personnes citées, il s'inspire très librement pour brosser des personnages à part entière à partir de profils pouvant exister. Ceux-là même qui représentent dignement, à mon humble avis, un milieu porteur de valeurs sociales et morales d'une extrême richesse. A la manière de quelqu'un qui prétend connaître plus ou moins les méandres de cette corporation je me suis permis de créer un univers qui lui sied pour porter haut et fort sa voix et rendre pourquoi pas un hommage mérité aux pères fondateurs de la comédie, du théâtre, de la musique, de la chorégraphie, du cinéma, du combat politique et de l'édification du pays : comme tous les héros de l'indépendance.
L'Opinion : Quels sont vos projets littéraires et cinématographiques?
Fouad Souiba : Après l'édition de « L'Incompris du Hay Mohammadi » par mon ami Azzedine Benchakchou aux éditions Smein, je me sens maintenant libéré d'une charge émotionnelle énorme. Donc je me dois de ranger ma casquette du romancier et remettre ma casquette du scénariste/réalisateur/producteur pour attaquer mon plus grand projet cinématographique qui est de méditer sur les causes des révolutions arabes successives et de réfléchir à l'avenir de ce qui se passe aujourd'hui : « le printemps arabe » est-il porteur d'espoir aux masses qui l'ont mis en scène où est-ce que nous sommes tout simplement condamnés à demeurer d'éternels rêveurs incapables de chiader de bons plans pour notre avenir ? Autrement dit est-ce que le citoyen arabe parviendra-t-il à édifier un avenir démocratique pleinement abouti sur les ruines de la guerre civile en cours ? Voilà un soupçon de réflexion qu'il ne faudrait pas prendre pour un pavé jeté dans la marre mais tout simplement comme une base qui peut donner lieu à une auto-prise en charge de notre réalité par nos caméras au lieu que l'autre le fasse de façon improbable à notre place...


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