C'est sur une voie différente que s'engageait le réformisme moderniste de Sir Saiyid Ahmad Khân Bahâdûr né à Delhi en 1810, originaire d'une famille aristocratique qui entretenait de bonnes relations avec les Anglais : Sir Saiyid Ahmad, après avoir été au service de la Compagnie des Indes, commençait une carrière dans la magistrature locale quand éclata la grande révolte de 1857. (Sir Saiyid (m.1898) a fait l'obje de nombreux travaux – colonel G. Graham, life and work of Seyd Ahmad Khân. Londres 1885 – J.M. Baljon, the reforms and religions ideas of Sir Sayyid Khân, 1949 et son article, in EI, 1, 296-297 – Zu'âma al islah, 123-136 - Bachir Ahmad Dar, M.A, religious thought of Sayyid Ahmad Khân, Lahore 1957) Sir Saiyid condamna la révolte, la jugeant inutile et dangereuse, dans une étude écrite en urdu, qui fut ensuite traduite en anglais, il s'efforça d'en rechercher les causes. Rejetant thèse contenue par quelques journaux anglais qui voulaient voir, dans cette insurrection, le résultat d'intrigues russe et afghane, il montrait que la révolte s'expliquait par la condition souvent humiliée dans laquelle se trouvaient les Musulmans, leur ignorance, leur repli sur eux-mêmes, et leur conviction aussi que les Anglais encourageaient en sous-main les entreprises d'évangélisation. Convaincu de la nécessité pour les Musulmans, s'ils ne voulaient pas être un jour submergés par la majorité hindoue, d'entretenir de bonnes relations avec la puissance occupante et de se mettre résolument à l'étude des sciences occidentales, il exhortait ses coreligionnaires à revenir à leur culture traditionnelle, mais en la comprenant plus largement. Préconisant un retour au Coran, interprété dans son esprit beaucoup plus que dans la lettre, il tenait comme d'importance secondaire le hadith et les sciences de la loi (Al Fiqh). Il eût souhaité la création d'une nouvelle théologie (Al Kalam) d'inspiration moderne, qui eût permis, aux Musulmans, « ou bien de réfuter les doctrines des sciences modernes et de miner leur fondation, ou bien de montrer qu'elles sont en conformité avec les articles de la foi islamique ». Comme il le disait lui-même dans l'un de ses discours, tout en exhortant les Musulmans à s'ouvrir largement à l'étude des sciences modernes, il estimait de son devoir « de défendre, autant qu'il était possible, la religion Musulmane et de révéler aux jeunes la splendeur originale de l'Islam ». De ces résolutions devait naître, en 1875, le collège d'Ali Gharth, qui connut un réel succès et dont le nom est devenu comme le symbole d'un type de culte et d'un état d'esprit. Dans le domaine politique, l'ambition première de Sir Saiyid eût été de faire de l'Inde une seule nation où l'Islam, l'hindouisme et le christianisme eussent pu collaborer sans heurt, chaque communauté conservant ses croyances propres et toutes travaillant de concert à l'élaboration de la nation. Mais bien vite cependant, devant la montée grandissante du nationalisme hindou, il fut amené à exhorter les Musulmans à renforcer leurs positions communautaires. C'est pour y parvenir que, dans les différents congrès qu'il présida, il exhorta les Musulmans à travailler à l'amélioration de la condition matérielle et morale de leur communauté. C'est avec cette préoccupation aussi qu'il voulut faire de l'urdu une véritable langue scientifique en l'enrichissant par la traduction systématique d'œuvres occidentales, surtout anglaises. Rappelons que Sir Saiyid fut l‘objet à de violentes attaques de la part de Jamal Al Dine Al Afghani, qui l'accusait d'affaiblir le sentiment religieux, de jeter la discorde parmi les Musulmans et de travailler au renforcement de la domination britannique. Elles ne furent pas les seules et Sir Saiyid dut affronter bien d'autres adversaires encore. Mais son influence fut grande et c'est avec raison que Sir Saiyid a pu être considéré comme le véritable chef de file du modernisme musulman dans l'Inde, et comme le précurseur de ce communautarisme islamique, qui devait aboutir à la parution de l'Inde sur une base confessionnelle. Le Pakistan peut le compter parmi ses précurseurs. Pour Saiyid Ahmad Ali, on peut dire que la préoccupation dominante qui se dégage de son œuvre littéraire, écrite en un anglais d'une grande distinction, comme de son moral de la communauté musulmane de l'Inde, de défendre ses droits en face de la majorité hindoue et de faire son éducation politique. (voir – sur Sir Saiyid Ameer Ali (m. 1928), cf W. Caniwell Smith, EI, I, 455-456). Il est caractéristique aussi de constater que l'un des hommes les plus représentatifs du réformisme musulman dans l'Inde, Sir Mohammad Iqbal mort en 1938, tout pénétré qu'il fût de culture occidentale, acquise par de longs séjours en Angleterre et en Allemagne, loin d'être partisan d'une européanisation radicale, pensait trouver les bases de la démocratie véritable dans la forme primitive de la communauté islamique, comme le Prophète et ses quatre compagnons califes l'avaient définie, s'insurgeant, comme on a pu le dire, contre le type de démocratie matérialiste prévalant en Occident et s'insurgeant aussi contre le mercantilisme qui donnait naissance à ce type de démocratie quelque peu frelatée. (voir sur Mohamad Iqbal ; M. Titus, Indian Islam, 1930 – W.C Smith, Modern Islam in India, 1946. – Le réformisme musulman en Inde, op. cit. 31-45). (A suivre)