Il y a dix ans, le 1er juillet 2002, la Cour Pénale Internationale (CPI ) ouvrait ses portes, marquant une étape historique dans la lutte contre l'impunité. Avec 20 mandats d'arrêt délivrés, 15 affaires portées devant elle et sept enquêtes en cours, elle est aujourd'hui une institution pleinement opérationnelle, soutenue par 121 Etats parties. Le Statut de Rome, acte fondateur Il y a dix ans, était adopté à Rome l'acte fondateur de la Cour pénale internationale, le Statut de Rome. Au terme d'âpres négociations, la Conférence diplomatique a fait droit à une revendication qu'avait émise le Pr Gustave Moynier dès 1872 dans son projet révolutionnaire de convention portant «création d'une institution judiciaire internationale propre à prévenir et à réprimer les infractions à la Convention de Genève» ; une Cour Internationale Permanente qui puisse poursuivre les crimes les plus graves. La deuxième grande tentative pour créer un système de justice internationale vient des rédacteurs du traité de Versailles de 1919 qui envisagent la création d'une cour internationale ad hoc afin de poursuivre les criminels de guerre allemands de la première guerre mondiale. A la suite de la seconde guerre mondiale, les pays de l'Alliance mettent en place les Tribunaux de Nuremberg et Tokyo afin de juger les criminels de guerre de l'Axe. En 1948, l'Assemblée générale de l'ONU adopte la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide, dans laquelle les criminels sont appelés à être jugés par des tribunaux pénaux internationaux, et invite la Commission du droit international à étudier la nécessité et la possibilité d'établir un organe judiciaire international afin de poursuivre les personnes responsables de crimes de génocide. Bien que la Commission ait préparé un tel Statut au début des années 50, la guerre froide bloque ces efforts et l'Assemblée générale abandonne cette initiative laissant en suspens la définition du crime d'agression et du Code des crimes internationaux. En juin 1989, motivé en partie par une initiative pour lutter contre le trafic de drogue, Trinité-et-Tobago rouvre la question de la création d'une cour criminelle internationale et l'Assemblée générale de l'ONU demande à la Commission du droit international de reprendre ses travaux sur le projet de Statut. Les conflit en Bosnie-Herzégovine et en Croatie ainsi qu'au Rwanda au début des années 90 et la généralisation des crimes contre l'humanité, crimes de guerre et génocides poussent le Conseil de sécurité de l'ONU à établir deux tribunaux ad hoc temporaires afin de poursuivre les personnes responsables de ces atrocités, soulignant encore la nécessité de créer une cour pénale internationale. En 1994, la Commission présente à l'Assemblée générale le texte final du projet de Statut donnant création à la CPI et lui recommande de convoquer une conférence plénipotentiaire afin de négocier un traité et de promulguer le Statut. Afin d'examiner les plus grandes questions de ce projet de Statut, l'Assemblée générale met en place un Comité ad hoc sur la création d'une cour criminelle internationale, qui se réunit deux fois en 1995. Après examen du rapport du Comité, l'Assemblée générale de l'ONU crée le Comité préparatoire sur la création d'une cour criminelle internationale afin de préparer un projet de texte. De 1996 à 1998, le Comité préparatoire de l'ONU tient six sessions au siège de l'ONU à New York, sessions au cours desquelles les ONG contribuent aux discussions et participent aux réunions sous l'égide de la Coalition des ONG pour la Cour pénale internationale (CCPI). En janvier 1998, le Bureau et les coordinateurs du Comité préparatoire se réunissent pour une Réunion inter-session à Zutphen aux Pays-Bas afin de consolider et restructurer les projets d'articles dans un projet final. Partant du projet de texte du Comité préparatoire, l'Assemblée générale de l'ONU décide de convoquer la Conférence diplomatique de plénipotentiaires des Nations Unies sur la création d'une cour criminelle internationale lors de sa cinquante-deuxième session, afin de finaliser et adopter une convention sur la création d'une cour pénale internationale. La «Conférence de Rome» se déroule du 15 juin au 17 juillet 1998 en Italie, en présence de 160 pays et de la Coalition qui suit de près les discussions, distribuant partout dans le monde des informations sur les développements, et facilitant la participation et les activités de plus de 200 ONG. Après cinq semaines de négociations intenses, 120 pays votent en faveur de l'adoption du Statut de Rome de la CPI, tandis que sept pays votent contre (dont les États-unis, Israël, Chine, Irak et Qatar) et 21 autres s'abstiennent. La Commission préparatoire (PrepCom) est chargée de finaliser les derniers éléments nécessaires à la création et au bon fonctionnement de la Cour, en négociant les documents complémentaires, dont le Règlement de procédure et de preuve, les Eléments des crimes, l'Accord de relation entre la Cour et l'ONU, le Règlement financier, l'Accord sur les privilèges et immunités de la Cour. Le 11 avril 2002, la 60ème ratification nécessaire à l'entrée en vigueur du Statut de Rome est déposée simultanément par plusieurs Etats. Le traité entre en vigueur le 1er juillet 2002. Le mandat de la Commission préparatoire étant arrivé à son terme et le Traité étant entré en vigueur, l'Assemblée des Etats parties (AEP) se réunit pour la première fois en septembre 2002. Spécialité: génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre Entre la naissance de l'idée et sa réalisation, plus de 130 ans se seront donc écoulés, une longue genèse qui témoigne de l'importance historique de la Conférence de Rome. Le Statut de Rome reflète la conviction qu'il faut lutter contre l'impunité qui alimente la spirale de violences et de représailles dans bien des zones de conflit. Seule une justice performante peut briser ce cycle infernal : les auteurs doivent répondre de leurs actes ; les victimes doivent obtenir justice. C'est ainsi, et seulement ainsi, qu'il devient possible de vivre ensemble dans la paix. La Cour pénale internationale a son siège à La Haye. Elle statue sur des crimes les plus graves, universellement condamnés : génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre. A cet égard, il importe de garder en mémoire le principe de complémentarité, qui veut que la responsabilité première de poursuivre ces crimes revienne toujours aux juridictions nationales. La Cour ne vise pas à se substituer aux systèmes nationaux de justice pénale mais à les compléter. La Cour Pénale Internationale n'intervient que si ces derniers n'ont pas la volonté ou ne sont pas en mesure d'assumer cette responsabilité - peut-être justement en raison du conflit à l'origine de ces dérives meurtrières. La Cour resserre donc les mailles du filet dans la lutte contre l'impunité. Et parallèlement, le Statut de Rome agit comme un catalyseur sur les États: du fait même de l'existence d'une instance internationale, ils prennent maintenant plus au sérieux leurs obligations en matière de poursuites pénales. Chacun des crimes sur lesquelq porte la compétence de la Cour est clairement défini dans le Statut de la CPI et d'autres textes pertinents. La Cour sera également compétente à l'égard du crime d'agression quand seront réunies les conditions posées lors de la Conférence de révision du Statut de Rome tenue à Kampala (Ouganda) en 2010. La Cour ne peut exercer sa compétence à l'égard de ces crimes internationaux que si ceux-ci ont été commis sur le territoire d'un Etat partie ou par un ressortissant d'un tel Etat. Toutefois, ces conditions ne s'appliquent pas si une situation est déférée au Procureur par le Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies, dont les résolutions ont force obligatoire à l'égard de tous les Etats membres de l'ONU, ou si un Etat fait une déclaration acceptant la compétence de la Cour. La saisine Il existe trois manières pour le Procureur d'ouvrir une enquête ou d'engager des poursuites: - les État parties au Statut de la CPI peuvent déférer des situations au Procureur ; - le Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies peut demander au Procureur d'ouvrir une enquête ; - le Procureur peut ouvrir des enquêtes proprio motu (de sa propre initiative) sur le fondement de renseignements reçus de sources dignes de confiance. Dans ce cas, le Procureur doit demander l'autorisation préalable d'une chambre préliminaire, composée de trois juges indépendants. On a craint, après la Conférence de Rome, que la Cour Pénale Internationale ne soit le jouet de manipulations politiques. C'est tout le contraire qui est vrai: certes, la Cour pénale opère de toute évidence dans un contexte politique, mais sa grande force est précisément qu'elle remplit son mandat en toute indépendance, avec la plus parfaite cohérence, se fondant uniquement sur des critères juridiques. Le fait que trois Etats: la République démocratique du Congo, l'Ouganda et la République Centrafricaine, aient saisi la Cour Pénale internationale de leur propre initiative, montre bien qu'elle répond à un réel besoin. Et la décision du Conseil de sécurité de lui déférer la situation de la Libye est bien le signe qu'elle fait partie intégrante de l'architecture de sécurité internationale. Les premières décisions de la Cour pénale ont été très remarquées, discutées, commentées, louées et parfois aussi critiquées. Il faut s'en féliciter car cela signifie qu'elle est très présente dans la conscience publique, et qu'elle est devenue une réalité incontournable pour les États, les organisations internationales, les organisations non gouvernementales et les universités. Le débat public autour du rôle et de l'action de la Cour a son importance, car la justice pénale internationale est toujours en phase d'apprentissage. L'une des grandes questions qui se pose est celle du rôle de la Cour lorsqu'il s'agit d'aider une société dans sa transition de la guerre à la paix ou du totalitarisme à la démocratie. Bien que les efforts visant à promouvoir la paix et la justice sont complémentaires, voire indissociables, le jeu des interactions reste complexe. La Cour pénale internationale tient son mandat uniquement du Statut de Rome, elle ne peut être détournée à d'autres fins. Mais une condition essentielle de son succès est que les Etats coopèrent avec elle et soutiennent son action par des mesures convergentes. Aussi doit-elle avoir sa place dans toute stratégie de paix. Le Maroc s'est investi avec succès dans la création et le développement de la Cour pénale internationale en signant le Traité fondateur en septembre 2002. Il y a moins d'une année, les Marocains ont voté une Constitution qui a introduit dans le droit marocain la catégorie du génocide, des crimes contre l'humanité, des crimes de guerre et autres violations graves et systématiques des droits de l'homme (articles 23 de la nouvelle Constitution). Le Maroc continuera donc de soutenir la Cour pénale internationale énergiquement. La Cour apporte une contribution déterminante à la lutte contre les violations les plus graves des droits de l'Homme et à l'application du droit international humanitaire, notamment des Conventions de Genève, alors et surtout qu'une grande partie de concitoyens sont séquestrés à Tindouf. L'appui que lui fournit le Maroc s'inscrit dans sa volonté de défense et de développement du droit international, mais aussi dans ses efforts de promotion du règlement pacifique des conflits. Oeuvrer pour le droit et la justice et édifier la stabilité et la paix vont de paire. Autant de domaines où la Cour Pénale Internationale joue un rôle primordial.