Un mois après la victoire de François Hollande à l'élection présidentielle, 46 millions de Français sont de nouveau appelés aux urnes dimanche pour le premier tour d'un scrutin législatif lourd d'enjeux mais qui ne les passionne guère. Les sondages prédisent un taux d'abstention record -jusqu'à 43% selon la dernière enquête de l'institut Ipsos pour Le Monde, France Télévisions et Radio France, publiée vendredi. «L'abstention sera le premier indicateur majeur», estime le directeur général adjoint de l'institut IFOP, Frédéric Dabi - un avis partagé par tous les analystes. De la participation dépend notamment le «ticket d'entrée» pour le second tour -fixé à 12,5% des inscrits, il grimpe à environ 22% des suffrages exprimés pour une abstention à 43%- et donc le nombre de triangulaires, plus pénalisantes pour l'UMP et ses alliés que pour la gauche. Pour le Parti socialiste, le principal enjeu est de confirmer, voire amplifier le résultat de la présidentielle pour donner à François Hollande une majorité à l'Assemblée nationale, après avoir conquis le Sénat l'automne dernier. La question est de savoir s'il obtiendra au second tour une majorité absolue avec ses alliés radicaux de gauche -au moins 289 députés sur 577- ou s'il devra composer avec les Verts, voire le Front de gauche. Les analystes ne croient en revanche pas au scénario d'une défaite et d'une cohabitation avec un gouvernement de droite, même si c'est l'objectif officiellement affiché par l'UMP. En privé, des responsables du parti de l'ex-président Nicolas Sarkozy ne croient pas non plus à une victoire de la droite, quand ils ne jugent pas une cohabitation inopportune. Pour l'UMP, l'enjeu est d'éviter la double peine: une défaite humiliante qui jetterait une ombre sur son avenir, après l'échec de Nicolas Sarkozy à la présidentielle. Moins de 200 sièges au soir du 17 juin serait synonyme de graves tensions au sein du principal parti de droite et aggraverait sans doute la guerre des chefs qui se profile pour son congrès de l'automne prochain. Si l'UMP et ses alliés du Nouveau centre (NC) arrivent en revanche à conserver 250 sièges ou plus, ils limiteront les dégâts et pourront jouer pleinement leur rôle d'opposition. Pour Europe-Ecologie-les Verts, qui a conclu avec le PS un accord lui donnant une vingtaine de circonscriptions gagnables, l'enjeu est de constituer un groupe parlementaire (au moins 15 députés). Un objectif partagé par le Front de Gauche, qui réunit communistes et Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon. Les incertitudes sur l'abstention et l'impact du redécoupage des circonscriptions effectué en 2009 rendent hasardeuses les prévisions en termes de sièges. Ipsos crédite le PS de 231 à 285 sièges, les radicaux de gauche de 12 à 15, les Verts de 12 à 16, le Front de gauche de 23 à 26, l'UMP de 214 à 262, le NC de 13 à 16 et le Parti radical valoisien de 4 à 7. Une enquête OpinionWay donne des projections un peu moins serrées pour le PS et les radicaux de gauche (290 à 320 sièges), plus optimistes pour les Verts (16 à 22), équivalentes pour le Front de gauche (18 à 22) mais plus pessimistes pour l'UMP et ses alliés centristes et divers droite (209 à 247). Selon les sondages, le Front national est crédité de zéro à quatre sièges et le MoDem de zéro à trois. Mais les enjeux, pour le parti d'extrême droite et la formation centriste, sont de nature très différente. Pour le FN, dont la présidente, Marine Le Pen, a recueilli 6,5 millions de voix au premier tour de la présidentielle, l'objectif est de revenir à l'Assemblée après 26 ans d'absence et de s'imposer comme un concurrent de l'UMP. Il lui faut pour cela se maintenir dans le maximum de circonscriptions -les analystes tablent sur plusieurs dizaines mais moins d'une centaine. Le MoDem, qui n'a que trois députés dans l'Assemblée sortante, jouera pour sa part sa survie. Son président, François Bayrou, qui n'a eu que 9,13% des voix à la présidentielle, est même menacé de perdre son siège dans les Pyrénées-Atlantiques. Les regards se tourneront aussi vers d'autres figures de gauche et de droite engagées dans des batailles incertaines, comme les ministres PS Stéphane Le Foll (Agriculture), Aurélie Filippetti (Culture) et Marie-Arlette Carlotti (Handicapés), qui perdraient leur place au gouvernement en cas de défaite, ou les ex-ministres UMP Xavier Bertrand et Nathalie Kosciusko-Morizet. Seront aussi très suivis l'ex-conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino, confronté à une candidature dissidente dans la 3e circonscription des Yvelines, et l'ancienne candidate PS à l'Elysée Ségolène Royal, à La Rochelle. Mais le combat le plus symbolique opposera à Hénin-Beaumont, dans le Pas-de-Calais, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, arbitré par le candidat socialiste Philippe Kemel. L'une des nouveautés de ces législatives est l'élection de 11 députés par 1,3 million de Français vivant à l'étranger. Au total, 6.603 candidats sont en lice, dont seulement 40% de femmes, très loin des objectifs de parité dont la plupart des partis ne semblent guère s'être souciés.