Une victoire de la gauche confirmant le résultat de l'élection présidentielle de mai mais pas assez massive pour permettre au Parti socialiste de se passer d'alliés dans la future Assemblée nationale : tel est le scénario central qui semble se dessiner en France à l'orée des législatives des 10 et 17 juin. Les analystes politiques restent cependant très prudents en raison des incertitudes sur le niveau de l'abstention, l'impact du redécoupage des circonscriptions électorales effectué en 2009 et la capacité du Front national de confirmer sa percée de mai. Autant d'incertitudes renforcées par le manque apparent d'intérêt pour ces législatives de la part d'une opinion comme épuisée par la campagne présidentielle passionnée qui a précédé. «On n'en parle pas, il n'y a pas de campagne, ça n'intéresse personne, je ne sais pas ce qui va sortir de cette cocotte- minute froide», souligne le directeur général de la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol), Dominique Reynié. L'abstention, indicateur-clef, décidera du nombre de triangulaires avec le Front national de Marine Le Pen, potentiellement plus risquées pour la droite que pour la gauche. L'absence de référence historique dans les circonscriptions modifiées par le redécoupage de 2009 rend également hasardeuse toute prévision en termes de nombre de sièges. «On a une équation à plusieurs inconnues», résume Jérôme Sainte-Marie, de l'institut CSA, dont la dernière étude crédite la gauche de 45% des voix, dont 30% pour le PS, l'UMP de 31,5% et le FN de 14%. «Avec des reports du FN qui ne seront pas parfaits, on arrive à une situation difficile pour la droite. Mais le mode de scrutin est tel qu'un point de participation de plus ou de moins peut changer radicalement les choses.» Avec une abstention à 40% - 20 points de plus qu'à la présidentielle mais un niveau similaire au premier tour des législatives de 2007 - un candidat aurait besoin d'environ 21% des suffrages exprimés au premier tour pour atteindre la barre des 12,5% d'inscrits nécessaire à un maintien au second. «Plus l'abstention est forte, plus le ticket d'entrée pour le second tour pour le Front national est élevé, ce qui peut jouer en faveur de l'UMP», souligne Dominique Reynié. Une victoire de la droite synonyme de cohabitation est néanmoins jugée hautement improbable par les analystes et des dirigeants de l'UMP. Même si le parti de l'ex-président Nicolas Sarkozy assure se battre pour contrer un grand chelem du PS. «Il y a le réflexe Ve République, une certaine cohérence des gens : on vote pour le parti du président», souligne ainsi un haut responsable de l'UMP. Les sondages récents vont dans ce sens, ce que conforte aussi le jugement positif porté par les Français sur les premiers pas du nouveau président socialiste, François Hollande, et de son Premier ministre, Jean-Marc Ayrault. Une quête de cohérence également renforcée par le contexte économique de crise, fait pour sa part valoir Stéphane Rozès, président de la société de conseil CAP. La réforme de 2000, qui a institué le quinquennat et inversé l'ordre des scrutins, a limité la possibilité d'un désaccord entre les majorités parlementaire et présidentielle, souligne Dominique Reynié. «Ce n'est pas absolument impossible mais il faut des conditions politiques qui, là, ne sont pas réunies.» Dès lors, la question est de savoir si le PS obtiendra seul une majorité absolue, grâce à une amplification aux législatives du résultat de l'élection présidentielle. Dominique Reynié se dit «tenté de penser» que le PS aura de peu mais à lui seul cette majorité d'au moins 289 députés. Il est rejoint sur ce point par le directeur du centre de recherche de l'Institut de sciences politiques de Paris (Cevipof), Pascal Perrineau, pour qui c'est même le scénario «le plus probable». Mais pour d'autres analystes interrogés par Reuters, cela n'est guère envisageable qu'en cas de forte participation, synonyme de maintien de nombreux candidats du FN au second tour, donc de triangulaires dévastatrices pour l'UMP. «Ce n'est pas impossible mais moins probable qu'une majorité avec les écologistes et les radicaux de gauche», estime par exemple Gaël Sliman, de BVA. «Tout simplement parce que le PS a offert une quarantaine de circonscriptions gagnables à ces alliés, même s'il y a des dissidences ici ou là.» Les électeurs pourraient ainsi choisir de confirmer le résultat de la présidentielle en portant une majorité absolue de gauche à l'Assemblée mais en obligeant le PS à composer celle-ci avec ses alliés Verts, voire à solliciter le soutien du Front de gauche et de son turbulent leader, Jean-Luc Mélenchon. Tout sera alors en fait une question de degré. «Si le PS rate la majorité absolue de cinq à dix sièges, on sera sur une logique de bascule. Il gouvernera tantôt avec les élus Verts, tantôt avec les députés communistes et du Front de gauche», explique Frédéric Dabi, de l'Ifop. Jouer alternativement sur une alliance avec les Verts et les députés communistes membres du Front de gauche peut même rouvrir des marges de manoeuvre pour le PS, estime Dominique Reynié. «Par exemple, sur le nucléaire, il n'aura pas les Verts mais il pourra avoir les communistes», explique cet analyste. «Ce n'est pas non plus tout à fait la même chose de constituer une majorité absolue avec les Verts seuls ou avec les Verts plus le Front de gauche», ajoute-t-il. Tel est le quatrième scénario envisageable, qui verrait la gauche obtenir une majorité absolue mais fragile, à l'instar de ce qui s'est produit en 1988. François Mitterrand avait alors été largement réélu à la présidence et les observateurs s'attendaient à une vague rose aux législatives. Or, «les Français ont rectifié leur vote et privé le PS de majorité absolue», rappelle Pascal Perrineau. Le Premier ministre socialiste Michel Rocard a dû ensuite gouverner en négociant avec les députés communistes ou en utilisant massivement l'article 49-3 de la Constitution, qui permet de faire adopter un projet de loi sans vote. Si le PS rate la majorité absolue de plus de 10 ou 15 sièges, «ça deviendra plus compliqué», souligne Frédéric Dabi. Les décisions qui devront être prises en matière de réduction des déficits et des dépenses publiques risquent ainsi de se heurter à des réticences d'une partie de la majorité. «Toute mesure devra être négociée plus ou moins âprement», estime Dominique Reynié. «Or, plus le temps passera, plus ce sera difficile.» Pour la droite, en particulier pour l'UMP, chacun de ces scénarios est aussi lourd de conséquences existentielles. Frédéric Dabi situe à 200 députés le seuil critique pour l'ex-parti présidentiel. «Un groupe parlementaires de 200 à 250 députés, ce serait clairement une défaite, ce serait compliqué mais ça suffit pour fonctionner. Au-dessus de 250, c'est une défaite acceptable, qui permet d'être une vraie force d'opposition», explique-t-il. En revanche, «moins de 200 députés UMP et Nouveau centre, c'est le scénario de la droite année zéro», ajoute-t-il. Pour Dominique Reynié, le problème pour l'UMP n'est pas simplement son score mais aussi celui du FN. Un bon score du FN, voire l'élection de plusieurs de ses candidats, consacrerait l'émergence d'une force concurrente de l'UMP à droite. «On aurait clairement une remise en cause de la capacité de l'UMP à représenter la droite et l'opposition», explique le directeur de Fondapol. «Ça peut être mortel».