Comme on s'y attendait, Vigon a fait un tabac à Rabat. Son come-back a été à la hauteur des attentes. Grands et petits, hommes et femmes, les retrouvailles pour les anciens, la découverte pour les teenagers, Vigon a pris cette fois le bon wagon qui mène droit aux cœurs. Des musiciens talentueux l'accompagnaient. La grande salle du théâtre Mohamed-V garderait à jamais quelques décibels endiablés angéliquement, si j'ose dire et décrire. L'enceinte couverte de palissandre a été en état de résonance acoustique, ce lundi 21 mai. Qui y pénétrait de plein gré ou entraîné par une rumeur attractive ressentirait du frisson se propager dans tout le corps, comme dans un état de transe. En effet, tel un roc surplombant le récif, Vigon a montré qu'il a du talent à revendre (d'ailleurs comme jadis) et que les lingots d'or ne se déprécient pas avec le temps. Le rockeur a pris de l'âge, mais son talent est resté intact. Une voix superbe et une prestance à toutes épreuves. Un tout petit dit à l'intention des organisateurs. Je ne suis pas un «mawazinophile» tout dévoué à la cause, mais ce «Remember-Vigon» est inoubliable, exquis. J'aurais été réconcilié avec les prospecteurs de ce festival controversé, si dix ans auparavant, ce concert avait eu lieu et qu'on avait épuré la programmation en en soustrayant ce qui est clinquant et folklorisé à outrance. Soit, ne soyons pas rancuniers et frondeurs et puis parlons des belles offrandes que nous avons pu déguster et des scintillations qui nous ont éblouis. Le concert valait le détour. On était ravi de sa teneur. Pour tout avouer, je n'attends maintenant qu'une chose: que les fameux «Scorpions» allemands viennent nous gaver avec leur venin sucré et mielleux. Ils sont au programme autant que la diva Maria Cary. A part ces deux concerts que j'ai soulignés sur le petit fascicule-programme avec un stylo rouge, je ne trouverai à travers toute cette lourde et dispendieuse «mawazinerie» qui a fait déjà des morts dans une arène de foot que peu de choses à mettre sous l'oeil et sous le tympan. Certains aiment le Rap, moi j'aime les chansons à texte qui donnent à réfléchir. Avec Vigon, il s'agit d'une destinée peu commune. La suavité des retrouvailles n'a d'égale que la somptuosité du madrigal. «Je chanterais même à l'âge de 70 ans» disait-il entre deux chansons. Dick Rivers a, lui aussi, prolongé sa jeunesse en arpentant le même sentier et scrutant le même horizon. En ce qui me concerne, c'est la nostalgie d'une époque révolue qui me donne l'envie de me remémorer, via la stature dynamique de ce rockeur, les éblouissantes extravagances de la jeunesse. Avec Vigon on a assisté à une sorte de communion. Est-ce le retour au bercail qui en a tissé et ravivé les fibres émotionnelles ou la candeurs du regard admiratif de ceux qui suivaient ses mouvements enfiévrés sur scène? Ainsi, entremêlant subtilement les rythmes vifs du Rock-and-roll (comme au temps d'Elvis le prodige de Memphis) et les airs doucereux de la Soul, Vigon a magnétisé la foule. On s'agglutina autour de lui. Avec une voix tantôt fortissimo et aiguë au point de voir se profiler devant nous le fulminant James Brown, tantôt émotive comme un chuchotement de palmes, on était vraiment rassasié. Vigon and The Dominos ont dominé la scène. Bravo à tous les musiciens qui, sans leur complice virtuosité, cette voix sublimissime perdrait ses attributs naturels. Ils méritent d'être cités tous de leur nom: Didier Marty (chef d'orchestre, sax-guitare), Jean-Jacques Cirillo, Christophe Maren, Romain Theret, Gérard Pompougnac, Didier Queron, Muriel Marty, Bruno Brochet, Benoît Ruault, Christophe Dutray et Aurelien Meunier.