Quatre chômeurs âgés de moins de trente ans sur cinq ont un niveau d'instruction inférieur à l'enseignement secondaire. Seulement un sur vingt détient un diplôme d'enseignement supérieur. Pourtant, c'est cette minorité qui jouit de l'essentiel de l'attention et des efforts d'intégration au marché du travail de la part des pouvoirs publics. Et c'est la majorité la moins instruite qui a coûté le moins à la collectivité en termes de coût de l'éducation scolaire et qui mérite, de ce fait, le plus d'intérêt de la part de l'Etat. La Constitution, l'ancienne autant que la nouvelle, stipule clairement que l'emploi est un droit pour tout citoyen, sans distinction de niveau d'instruction ou autres. Mais il a fallu attendre la publication récente du rapport de la Banque Mondiale, intitulé «Promouvoir les opportunités et la participation des jeunes au Maroc», pour inciter les esprits à réfléchir sur cette illogique disproportion de l'intérêt public entre ces différentes catégories de jeunes chômeurs, qui est également une profonde injustice. Le constat le plus triste demeure indéniablement celui de prés de 30% des jeunes âgés de 15 à 29 ans qui se morfondent dans le chômage, s'enfoncent souvent dans le désœuvrement et se noient quelques fois dans la toxicomanie et la délinquance. «En 2010, environ 90% de jeunes femmes et 40% de jeunes hommes qui ne suivaient pas de formation se trouvaient soit au chômage soit exclus de la frange active», note Gloria La Cava spécialiste des sciences sociales à la BM et directrice de l'équipe ayant rédigé ce rapport. Ces jeunes, ajoute-t-elle, ont été «exclus des opportunités, n'ont pas bénéficié d'une décennie de croissance économique et n'ont qu'une voix très limitée dans le processus de prise de décisions». Le rapport de la Banque Mondiale qui avance ses chiffres s'appuie sur une enquête sur le terrain qui a duré quatre mois, en 2011, réalisée auprès d'un échantillon composé de 2.883 jeunes. Sur les 32 millions d'habitants que compte le Maroc, 11 millions appartiennent à la tranche d'âge des 15 à 35 ans. Un tiers de l'ensemble de la population marocaine est donc constitué de jeunes actifs, sauf que la plupart sont au chômage. Une opportunité démographique qui ne va pas durer, mais que le pays aurait gâchée. Un gâchis pour lequel les prochaines générations de Marocains vont se repentir, quand viendra l'inéluctable vieillissement de la population et son corollaire, pression accrue sur les fonds de retraites et les caisses d'assurance maladie, du fait de la hausse des coûts de soins de santé. Dévalorisation de l'instruction Pas besoin d'experts pour diagnostiquer les causes de ce mal social, les jeunes directement touchés les connaissent mieux que quiconque. La perte de confiance relevée par les enquêteurs de la BM chez les jeunes chômeurs en ce qui concerne le système éducatif désigne le premier coupable. Son échec patent après des décennies d'errances idéologiques et de pilotage à vue, les très relatives améliorations apportées par les successifs plans de réformes, son inaptitude structurelle à former des têtes bien faîtes plutôt que des têtes bien remplies, ont fini par venir à bout de la foi des jeunes en cet ascenseur social depuis longtemps en panne. Pire, quelques jeunes diplômés interrogés dans le cadre de l'enquête ont affirmé qu'il valait mieux taire ses titres universitaires pour se donner plus de chances de se faire recruter. Il va sans dire que cette situation a un effet décourageant sur les jeunes en cours de scolarité, dont certains, appartenant à des milieux défavorisés, préfèrent abandonner avant même d'achever leur formation secondaire. Ils s'estiment par ailleurs lésés en matière de qualité de l'instruction par rapport aux jeunes issus des milieux plus favorisés inscrits dans les établissements d'enseignement privés. Le même sentiment de discrimination transparait concernant l'accès à l'emploi. Le sésame pour en trouver, selon ces jeunes, serait soit l'aisance matérielle, soit un large réseau de connaissances bien placées. Avec une perception aussi pessimiste de l'acquisition des connaissances chez les jeunes issus des franges sociales les moins bien loties, la diffusion élargie de la culture du modernisme et du progrès humain est, de toute évidence, des plus malaisées. La même perception négative concernant les procédés d'insertion sur le marché de l'emploi réduit à néant, pour sa part, dans l'inconscient collectif de ces jeunes, les valeurs de l'effort et du mérite. Inutile, après quoi, de s'interroger sur la décadence des mœurs et la dépravation rampante de la société. Pour les jeunes qui arrivent à décrocher un «job», quatre jeunes sur cinq travaillent «au noir», c'est-à-dire sans contrat et, bien sûr, sans sécurité sociale ni retraite. Mais la précarité de ces jeunes travailleurs va plus loin encore, puisque un tiers d'entre eux est employé dans le secteur informel. Ce constat révoltant suffit à expliquer pourquoi 46% des jeunes interrogés préfèrent travailler dans le secteur public, même si la majorité d'entre eux est employé surtout dans le secteur privé. Le secteur public garantit des droits sociaux que le secteur privé est, en majorité, loin de pouvoir ou vouloir assumer. Indispensable cure de jouvence Pour venir à bout de cette problématique, la Banque Mondiale propose deux pistes de réflexion et d'action. Le renforcement de l'employabilité des jeunes, c'est-à-dire l'amélioration des compétences susceptibles de les aider à trouver du travail, et leur participation aux prises de décisions les concernant. Ces solutions sont bien plus difficiles à mettre en œuvre qu'il ne peut sembler. Renforcer l'employabilité des jeunes à un coût que les finances de l'Etat auront de la peine à assumer dans l'ordre actuel des choses. Quand à la participation des jeunes aux prises de décisions les concernant, il est alors question de représentabilité, donc de politique, la cure de jouvence ne figurant malheureusement pas dans l'agenda immédiat d'une bonne partie des élites partisanes. Le printemps arabe est venu rappeler aux élites politiques marocaines qu'il existe une composante essentielle mais négligée de la population qui est la jeunesse. Cette jeunesse, symbole de dynamisme et d'ambition, représente le tiers de la population marocaine, mais près de son tiers ne participe à aucune activité productive et ce n'est pas faute de le vouloir. Tous les jeunes n'ont pas eu droit à la même qualité d'enseignement. Ceux qui arrivent à trouver un emploi se font honteusement exploiter. La jeunesse marocaine est omniprésente dans tous les discours et programmes politiques, mais elle est quasi absente sur la scène politique. Sauf quand elle sort manifester son désarroi dans les rues. Ou quand la colère non contenue de juvéniles irresponsables se déchaîne dans une rage destructrice. Mais en se mettant en marge de la loi, ces jeunes casseurs s'en trouvent encore plus marginalisés. Il faut arrêter le gâchis de l'opportunité démographique que représente la jeunesse de la population active marocaine. L'avenir et les ambitions de la nation en sont remis en question. Investir massivement dans la jeunesse, écouter ce qu'elle a à dire et en tenir compte, c'est assurer les fondements du Maroc des prochaines décennies.