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Reportage à Aït Hnini au Moyen Atlas : Au pays du cèdre, enclavé et meurtri par le froid
Ils veulent la route, l'école, l'électricité...
Publié dans L'opinion le 04 - 02 - 2012

«On est encore plus mal lotis que les habitants d'Anefgou ! »
C'est le cri de protestation d'un habitant du village Oumza de Ait Hnini dans le Moyen Atlas, province de Midelt ; village enclavé à 80 kms de Khénifra. Il faut faire une dizaine de kilomètres de pistes pour atteindre, à partir du village, une route goudronnée et donc le village désenclavé le plus proche: Tikajouine. Cette distance de piste devient infranchissable pendant la saison froide. Quand il neige, la région est coupée du reste du pays pendant des semaines sinon des mois. Le développement économique et social est maintenu à son rythme le plus lent. Anefgou semble s'être accaparé l'image archétypale de pays enclavé. Mais il n'y a pas uniquement Anefgou, il y a aussi Ait Hnini, Oumza, Tafraout N'Mrabet, Idkel, toutes des localités enclavées.
Dernièrement, au village Oumza, une femme enceinte a eu des douleurs d'accouchement pendant trois jours au point qu'on commençait à craindre pour sa vie. On a décidé pour la sauver de la faire transporter à l'hôpital provincial de Midelt, mais la route était coupée à cause de la neige et de la boue qui rendait la piste impraticable.
«On a dû, comme d'habitude, utiliser un tracteur appartenant à un habitant du village pour transporter l'expectante», déclare Mostafa Allaoui, militant associatif.
Le tracteur était devenu le seul recours pour des habitants dans la détresse.
La jeune femme de 28 ans, s'appelle Fatima Abdouch. Le tracteur, après quelques kilomètres, s'est embourbé sans possibilité d'avancer. Les hommes qui avaient accompagné le tracteur, faisant preuve d'une grande endurance, marchant à pied pour dégager au fur et à mesure la route de la neige en usant de pelles, ont exécuté un travail humanitaire héroïque défiant le froid et la boue en transportant la jeune femme sur une civière jusqu'à atteindre l'endroit de la route où l'ambulance attendait. Finalement, la femme a été sauvée et a donné naissance à un bébé de sexe féminin. Bien qu'il s'agisse d'un happy end, l'histoire a déclenché un mouvement de protestation dans les villages enclavés.
«L'événement n'a fait que raviver des mauvais souvenirs car, souvent, les mêmes histoires se répètent du fait de l'absence de route» soutient Allaoui.
Un reportage de 2M diffusé la semaine dernière s'est fait échos de cette situation plutôt récurrente. Au cours de notre reportage, notre reporter photographe est allé faire un tour sur place dans le même village et en a rapporté une vision d'enclavement dont on n'a cessé de signaler, depuis des années, divers aspects, l'histoire du village d'Anefgou ayant pris la plus grande part de visibilité médiatique par la dimension choquante d'enfants morts de maladie et de froid.
Mostafa Allaoui, militant associatif, habitant à Ait Hnini, explique que c'est grâce à l'équipe de 2M, restée coincée dans le village, la semaine dernière, du fait des neiges, que les habitants «ont vu, pour la première fois de leur vie, du matériel apporté par les autorités provinciales pour dégager les pistes de la neige et les rendre carrossables. Mais tout le monde savait qu'après le départ de la chaîne TV, le statu quo ne manquerait pas de se réinstaller».
L'importance des moyens de communication, dont la route, est ressentie avec acuité, ici plus qu'ailleurs. Tout s'enchaîne autour: à cause de l'absence de la route, la détresse des malades s'accentue par l'éloignement de l'hôpital, il n'y a pas d'école, les prix de certaines denrées de première nécessité sont exceptionnellement chères (la petite bouteille de gaz butane vendue entre 15 et 20 DH), les produits agricoles de la région (pomme de terre) sont dépréciés car les agriculteurs, faute de route pour acheminer leur production, sont saignés à blanc par les intermédiaires etc. Au point qu'on soutient que le développement économique dépend entièrement de la route.
«Nous avons 6 mois de vie dure, retirés du monde, 6 mois de calvaire» affirme Ou'addi Lhaj, un homme âgé mais lucide et très vif, habitant le village Oumza. Tous ces hommes fiers disent ne vouloir qu'une chose: «La route ! La route ! La route ! Rien que la route !».
Jamais on n'évoque l'idée d'une aide matérielle quelconque qui pourrait laisser transpirer un soupçon de gémissement d'assistés. On ne désire que ce qui est garanti sur le plan du droit. La route, c'est évident, est un droit inaliénable.
Les douleurs de Fatima Abdouch ont déclenché un vent de contestation et d'indignation. Et du coup la médiatisation du village Oumza semble avoir poussé les habitants d'un autre village, Yahya Oussaad, dépendant lui de la province de Khénifra, à manifester massivement pour demander la route. Ils en ont eu marre d'attendre alors que le projet de la route qui devait être réalisé avait déjà été programmé, dit-on, budget alloué, mais rien n'a été fait. Ils ont décidé, la semaine dernière, d'effectuer une marche à pied dans la neige jusqu'au village d'Abedghigh. Pour protester contre l'oubli dont ils font l'objet. Aux dernières nouvelles, on apprend que les autorités provinciales les ont écoutés et ont promis que les doléances des manifestants seront prises en compte. Un délai pour la réalisation du projet de la route est donné : le mois d'avril prochain, pas avant, pas plus tard.
«Si d'ici là rien n'est fait, les habitants marcheront jusqu'à Rabat pieds nus !» promet un habitant de la région.
A Oumza, le village de Fatima, on n'en est pas encore là. Pas encore de projet de route malgré toutes les correspondances depuis des années. Les autorités provinciales font la sourde oreille, disent les habitants.
«Comme si nous n'existions même pas» dit Mostafa Allaoui.
Ait Hnini fait partie de la région du cèdre de l'Atlas. C'est aussi une région de résistance contre le colonialisme. Les habitants rappellent avec fierté la bataille de Tazizaoute où la tribu des Ait Hnini s'était associée à d'autres tribus. La région du cèdre du Moyen Atlas est, on le sait, une des plus riches du Maroc, un immense patrimoine, la plus grande forêt de cèdres dans le monde. Son produit est un bois noble dont la grande qualité est d'être imputrescible. Un bois qui a accompagné l'Histoire du Maroc et marqué l'architecture, les portes, l'ébénisterie, les bois peints. Sa qualité imputrescible a permis l'épanouissement du patrimoine architecturale marocain depuis le XIIIème siècle (Lire article ci-contre sur le cèdre).
Si la cédraie marocaine est une bénédiction, sa situation est aussi très préoccupante du fait que cette prodigieuse richesse est très menacée parce que très convoitée. L'abattage clandestin des arbres est une réalité connue. De nombreux articles de presse, notamment sur ces colonnes, en font état depuis plusieurs années, dénonçant les mafias du cèdre et l'absence de programmes de régénérescence de l'arbre. Sans oublier la pression démographique autour des forêts et l'activité pastorale, une économie socialement bonne mais pas souvent préjudiciable à l'environnement et à l'équilibre du système écologique. Peut-être que le décloisonnement des villages apportera-t-il de meilleures perspectives dans ce sens et permettra-t-il aux villageois de défendre mieux la cédraie ?
Ou'addi Lhaj, un habitant du village Oumza, parle d'absence de route, d'absence d'une vraie école et d'absence de l'électricité. Pour lui, ces carences «font penser que nous sommes oubliés».
«Comme si nous n'existions pas. Il y a deux ans, un habitant du village, que Dieu le comble de ses bienfaits, a donné sa maison pour tenir lieu d'école. Mais ce n'est pas une vraie école et comme la route n'existe pas, les cours sont irréguliers à cause des problèmes de déplacement des instituteurs. Le plus important, c'est d'aider les gens de la montagne, il faut les aider par la réalisation de la route. Notre région est riche par sa forêt qui est malheureusement massacrée, des milliards partis en fumée qui ne profitent pas à la région. Avec cet argent on aurait pu construite plein de routes. Les élus, les parlementaires ne viennent nous voir qu'à l'occasion des élections. Après, moi personnellement je ne les vois qu'à l'occasion d'achat de coupes de bois ou pour acquérir des stocks de pommes de terre que les agriculteurs de la région cultivent et sont contraints de vendre à bas prix. Cette région n'a pas changé depuis des décennies. Je suis né à Oumza et je sais de quoi je parle. Je peux vous dire que notre région est restée la même depuis mon grand-père qui avait vécu dans les années trente. Je veux dire que rien n'a été ajouté sauf qu'elle a changé en mal à cause de la forêt qui rétrécit…»
De son côté, Moha Haret, du même village Oumza, père de famille, 38 ans, une voix très calme mais très ferme parle de la nécessité de la route et de l'école. Il est père de deux garçons et une fille. La fille qui est l'aînée, est âgée de 12 ans et se trouve encore en 2ème année primaire alors qu'à Casablanca des filles de son âge sont déjà au collège.
«C'est que pendant des années, il n'y a pas eu d'école ici. A cause de la route et du fait que la délégation de l'Education de Midelt, de laquelle nous dépendons, n'a pas programmé la construction d'une école. C'est un habitant qui a offert une masure vide pour tenir lieu d'école. L'absence de route et les conditions atmosphériques pénibles de l'hiver ne permettent pas la venue régulière des instituteurs. Ma fille se trouve, à l'âge de douze ans, en deuxième année primaire. C'est à cause de cette situation. Et puis, les instituteurs ne sont pas nombreux. Un seul s'occupe en même temps de six niveaux, ça ne donne pas de qualité. Nous avons besoin de la route, de l'école, une bonne école et de l'électricité. Si nous avions la route nous nous débrouillerions par nos propres moyens pour secourir nos malades et femmes enceintes en les emmenant à l'hôpital quelle que soit la distance. Dieu nous a gratifié de ses dons et bénédiction, nous avons notre bétail, nous avons notre agriculture, Dieu soit loué. Dieu nous a tout donné. Mais les responsables semblent nous ignorer. Il nous faut surtout la route, d'abord et avant tout. Nous demandons aux responsables de nous aider pour la route, l'électricité et l'école, surtout la route».
Mostafa Attaoui du village Ait Hnini, est président de l'Association des éleveurs pour le développement et la sauvegarde de l'environnement et la forêt au douar Ait Hnini, Tikajouine, province de Midelt. Il reprend les mêmes points soulevés.
«Je parle en tant que président de l'association et je suis originaire de la région. Je suis dans l'incapacité d'exprimer la réalité de notre environnement parce que les épreuves que les habitants subissent sont indescriptibles. Au douar Oumza, les gens sont isolés, il n'y a pas de route, pas d'école véritable, l'électrification a gagné d'autres régions rurales sauf ici où les gens s'éclairent comme il y a cent ans, c'est quand même particulièrement frappant au XXIè siècle. Mais ces gens-là ne s'étaient pas contentés de subir le drame de leur vie assis dans leur coin. Nous avons adressé des correspondances multiples à qui de droit au sujet de la route, l'école, le dispensaire et l'électrification, nous avons observé des sit-in de protestation. Nous avons épuisé toutes les démarches susceptibles de convaincre mais sans résultat à ce jour, à part une flopée de promesses. La température minimale dans la région descend jusqu'à moins 6 degrés. Les gens n'ont qu'une alternative, c'est de recourir au bois de chauffage. Or, une pression de plus en plus grande à cause de la démographie se fait sur la forêt. Nous avons conscience qu'il faut préserver la forêt des braconniers mais aussi de la pression démographique. C'est pour ça que nous avons proposé aux Eaux et Forêts d'équiper les foyers qui environnent la forêt par des fours économiques. Jusqu'à présent, cette proposition n'a pas trouvé d'oreille attentive, pourtant les fours en question permettent de chauffer tout en économisant à hauteur de 55% le combustible. Par ça nous voulons dire que les habitants ne se contentent pas de protester mais font aussi des propositions concrètes, simples et réalisables».
Encore faut-il que ces propositions judicieuses trouvent de l'écoute. Après tant d'années d'attente, Ou'addi Lhaj ne perd pas espoir.
«Il faut bien qu'un jour cette sacrée route devienne réalité et non pas un simple rêve !»
Reportage photos : KAMAL


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