Des murs blancs écarlates de plusieurs étages surveillés par des gardiens, du linge étendu tant bien que mal par les fenêtres des chambres, des couloirs sombres où les garçons ne peuvent pas cotoyer les filles, des chambres de 9 m2 à peine pour deux personnes, un petit placard pour deux, pas de douche, nulle part, et des cafards par centaines, chaque jour, le cybercafé existe malgré les coupures internet fréquentes et l'épicerie vivote bien que les produits y soient peau de chagrin et chers. La cité universitaire publique du Souissi à Rabat fait pâle figure à côté de la cité universitaire privée chic située de l'autre côté de la rue. C'est ici que les étudiants africains étrangers au Maroc viennent passer leurs vacances. Plus d'un millier d'étudiants se trouvent dans cette situation, plus d'un millier qui n'ont guère les moyens de se rendre “au pays” pour l'été, auprès de leur famille et de leurs amis. Du 1er août au 1er septembre, ils occupent le pavillon des étudiantes de la cité universitaire marocaine, dans l'attente de la rénovation de leur cité universitaire. Malgré cette ambiance sinistre, le moral reste plutôt bon. “ Avant, j'habitais dans le quartier G5, le quartier populaire. C'était souvent des mauvais jours à cause des agressions au couteau. Chaque semaine, des voleurs venaient nous menacer pour avoir de l'argent ou des cigarettes. Il fallait prendre la fuite systématiquement”, raconte Ismaël, un Guinéen venu au Maroc pour étudier l'économie. Le quartier G5 de Rabat permet de loger les plus démunis et ceux qui n'ont pas eu la chance d'être dans les quotas de la cité universitaire. En effet, chaque pays dispose d'un quota d'étudiants qu'il peut envoyer en cité universitaire. Le quota varie selon les pays : 100 étudiants pour le Sénégal, 100 pour la Mauritanie, 60 pour la Guinée, 50 pour la Mongolie...Pour les autres, c'est la débrouille et la misère souvent. “ Dans la cité universitaire, ce n'est quand même pas facile. Les conditions de vie sont difficiles. Quand on vient, comme moi, du Cap Vert, on doit faire l'ensemble des papiers administratifs à l'Ambassade de l'Angola ou du Portugal, qui traduit tous les diplômes en français et les authentifie par un traducteur agréé. Ces procédures lourdes nécessitent beaucoup de temps pour ceux qui n'ont aucune Ambassade de leur pays ici “, explique Cécile, étudiante cap-verdienne en première année de mise à niveau de langue française. La couverture médicale n'est pas non plus la panacée. “ Nous avons une infirmerie mais sans antibiotiques. L'Agence marocaine de coopération internationale (AMCI) rembourse certaines opérations médicales, soit 30 à 50% des frais, jusqu'au plafond de 1000 dh par an et par personne et 300 dh pour les lunettes. C'est vraiment pas beaucoup”, raconte Jessica, étudiante cap-verdienne également. Mais le pire reste la bourse. Chaque étudiant dispose d'une bourse de 750 dh par mois, autant dire une misère. “ Un sandwich à la buvette coûte 15 dh. On multiplie par 30 jours. Cela fait 450 dh. A cela s'ajoute le petit déjeuner et le dîner, le transport et quelques cahiers. La plupart des étudiants demandent de l'aide à leurs parents pour vivre”, ajoute Cécile. Pour les autres, ce sont les centres d'appel qui les accueillent l'été pour payer leurs frais pendant l'année. La situation est extrêmement précaire. La crise a touché aussi le Maroc, l'inflation des denrées alimentaires ne favorise pas le mieux-être de ces étudiants étrangers paupérisés. Des grèves éclatent de temps en temps, contre un professeur incompétent ou contre des insectes dans la nourriture du restaurant universitaire. Pour Wilfried Kocou Agounnoudé, secrétaire général de la Confédération des élèves, étudiants et stagiaires africains étrangers au Maroc (CESAM), “après le problème épineux de l'équivalence des diplômes à l'étranger, la préoccupation principale reste la bourse. Des courriers ont été envoyés à l'AMCI pour relayer le mécontentement des étudiants qui réclament une augmentation de leur bourse à 1000 dh au moins au lieu des 750 dh habituels. Le directeur général nous a dit que ce n'était pas de son ressort. Les manifestations sont une option à étudier “. Par ailleurs, il faut savoir que les étudiants étrangers subissent aussi le niveau de développement de leur pays d'origine. Nombre de pays ne fournissent pas de bourse étrangère à leurs étudiants émigrés au Maroc. “Certains étudiants se retrouvent avec la bourse de l'AMCI, la bourse de leur pays d'origine et une aide éventuelle de leurs parents, tandis que d'autres ne disposent que de la bourse de l'AMCI pour seule aide”, note Wilfried Kocou Agounnoudé. Les inégalités entre les étudiants apparaissent comme vraiment abyssales. De l'autre côté de la rue, dans la cité universitaire privée, les chambres sont individuelles, confortables, sans insectes et avec douche. Joséphine, étudiante en 9ème année de médecine, ne trouve rien à redire de ces conditions de vie. “Une chambre simple coûte 2420 dh et une chambre douple 1518 dh. Nous avons une salle d'étude agréable. Les problèmes sont dans la cité publique, en face”, avoue-t-elle. Malheureusement, le faible développement scolaire de certains pays africains pousse des centaines d'étudiants à s'exiler dans l'espoir d'un niveau de vie plus favorable, grâce aux diplômes français du Maroc. “Quand on vient du Maroc, avec des diplômes en français, on fait la différence sur le marché du travail, dans notre pays d'origine. Pour ma part, avec des études de droit en français, la donne change. J'aurais plus de chance de trouver un travail par rapport aux étudiants cap-verdiens partis étudier le droit au Brésil ou au Portugal. La langue fait toute la différence”, conclut Jessica. Quand c'est pire ailleurs, il vaut mieux se contenter de ce que l'on pourrait avoir. A l'heure actuelle, moins d'un étudiant étranger au Maroc sur deux, dans le meilleur des cas, arrive à trouver un travail dans sa branche d'étude quand il rentre chez lui. Et si c'était encore moins ?