Pendant une semaine, la ville ocre a accueilli le congrès international des géomètres topographes, une manifestation qui a connu la participation de plus de 2.000 ingénieurs venant de plus de 100 pays. Une belle revanche sur le terrorisme qui venait à peine d'endeuiller Marrakech, suite à l'attentat du café Argana. Pour l'Ordre National des Ingénieurs Topographes (ONIGT), le succès est probant. Crée en 1995 et comptant quelques 800 membres, l'ONIGT, qui a également tenu son 6ème congrès en cette occasion, est l'une des organisations de géomètres topographes les mieux structurées au sud de a Méditerranée. Actif à l'échelle de la Fédération Internationale des Géomètres (FIG) et des organisations régionales comme de la Fédération des Géomètres Francophones, de l'Union Arabe des Géomètres (UAG) et de l'Union Méditerranéenne des Géomètres (UMG), dont il est membre fondateur, l'Ordre n'a pas ménagé ses efforts, d'abord pour accueillir cette importante manifestation, ensuite pour l'organiser au mieux et la réussir. Pari tenu. La réussite a été au rendez-vous, ce qui ne fera que renforcer crédibilité et le poids de l'ONIGT à l'échelle internationale. «Il est important pour nous que les réunions de la FIG puissent se dérouler dans un pays francophone», souligne M. François Muray, président de la Fédération des Géomètres Francophones. «Il y a beaucoup de géomètres francophones qui ne parlent pas anglais. Quand les réunions du FIG se déroulent dans un pays anglophone, sans cessions en français, la participation des géomètres francophones est moindre. Sur l'ensemble des participants au congrès qui vient de prendre fin, la moitié étaient des francophones. Certaines interventions en anglais, mais pas toutes, étaient traduites simultanément. Ce qui a permis à nos géomètres de prendre part à la majorité des 600 conférences qui ont eu lieu. Pour le Maroc, réussir à accueillir une manifestation de cette importance, c'est extraordinaire. Il n'y a qu'une seule manifestation du genre par an organisée par la Fédération Internationale des Géomètres, organisation qui compte 120 pays. Chaque année, le congrès de la FIG se déroule dans un pays différent». Les géomètres marocains ont été parmi les premiers, au sud de la Méditerranée, à se constituer en ordre, en 1995, suivi par le Sénégal, le Burkina Faso cette année, le Niger, il y a six mois. L'ONIGT est aussi l'un des fondateurs de la Fédération des Géomètres Francophones. Outre la France, le Maroc est en effet l'un des cinq pays fondateurs de la FGF, avec la Belgique, le Cameroun et la Tchéquie. La mire du géomètre L'ONIGT a également démontré, grâce à l'organisation de ce congrès international, le dynamisme au Maroc de cette profession, pourtant peu connue. En fait, cette méconnaissance est constatée à l'échelle internationale. «Quand on sonde l'opinion publique, le géomètre a une bonne image de marque, sauf qu'il n'est pas connu, c'est-à-dire que les gens ne savent pas ce qu'il fait exactement», indique M. Muray. «On voit des appareils sur des routes ou ailleurs, mais on ne sait pas à quoi ça sert. On le voit planter des bornes, mais on ne sait pas trop ce que c'est. Mais personne ne sait que le géomètre est en amont de tous les travaux importants, que ce soit la construction d'autoroutes, de ports et puis les systèmes d'informations géographiques, car la profession a énormément évolué, des systèmes d'information mis à la disposition des collectivités locales, les grandes entreprises, etc. C'est une manifestation très importante et la couverture médiatique qui lui a été assuré participe à faire connaître le géomètre par le grand public et mieux comprendre ce qu'il fait». Pour les topographes marocains, c'était aussi l'occasion de passer en revue les difficultés que rencontre leur profession. Outrés par la faiblesse des rémunérations de leurs prestations, ils demandent à ce qu'un décret vienne encadrer les prix pratiqués par la profession, dont les membres se font une concurrence acharnée. «La profession d'ingénieur topographe géomètre est régie par la loi 10-93, qui les organise en ordre professionnel, à l'instar des architectes, des médecins, pharmaciens et autres», commence par préciser M. Mohamed Talbi Alami, ex-vice président du Conseil national de l'ONIGT et de la commission des affaires juridiques de l'Ordre. Avec une expérience de huit ans au département de l'équipement, il s'est lancé, en 1989 dans l'aventure du secteur privé, ce qui lui a permis de se faire une large idée sur les conditions d'exercice d'une profession qui est la sienne depuis trente ans. «La loi est nécessaire, mais elle n'est pas suffisante quand elle n'est pas appliquée. Et pour accompagner cette application de la loi, il faut qu'il y ait des mesures d'accompagnement aux niveaux organisationnel, législatif et réglementaire. L'expérience de ses quinze dernières années a montré qu'il y avait des problèmes à ce sujet. Notamment en matière de concurrence, surtout que la profession a connu beaucoup de progrès. Certains cabinets de topographes se développent bien, d'autres beaucoup moins bien, à cause de la concurrence acharnée qui règne dans ce secteur d'activité. L'Ordre n'a pas le droit de fixer les prix, qui sont librement débattus entre le client et le topographe, sous réserve que ces prix soient justes et mesurés, comme c'est indiqué dans le texte de loi, parmi les huit attributions de l'ordre. Cette loi fait, en effet, obligation à l'Ordre de veiller à ce que les prix soient justes et mesurés. Le problème que nous avons rencontré, c'est comment appliquer cette mesure obligatoire. Des honoraires insignifiants Les honoraires des prestations d'un ingénieur géomètre par rapport à l'enveloppe budgétaire d'un projet sont plutôt faibles, presque insignifiants. Des prix trop bas ne favorisent pas le développement de la profession et de la qualité des dites prestations. Actuellement, la part de l'ingénieur topographe dans certains marchés est de un pour mille. Les architectes, par exemple, qui ont réussi à obtenir un décret encadrant les émoluments de leurs prestations, touchent des parts qui varient de 5 à 7% des montants des marchés, selon l'importance du marché. Les métreurs, qui n'ont pas d'ordre, ont droit à quelques 2,5% du montant du marché, les notaires entre 0,5 et 1%. Nous exerçons une profession qui est difficile, qui exige précision et implique une importante responsabilité. Nous avons actuellement des confrères en prison, dix ans de privation de liberté par ce qu'ils doivent assumer leur responsabilité professionnelle. Je pense alors qu'autant de responsabilité exige d'être mieux rémunéré. Ce que nous proposons, c'est que nous soyons désormais payés au pourcentage, que nous ne soyons plus payé au forfait. Le décret qui est actuellement appliqué aux topographes est le décret des marchés publics, qui est incompatible avec la nature de nos prestations. On nous demande, par exemple, de fournir un numéro de registre du commerce, alors que nous sommes des ingénieurs, nous ne sommes pas des entrepreneurs ou des commerçants. Nous avons besoin d'un décret spécifique aux marchés des prestations topographiques, qui va rendre service à la profession, comme aux usagers d'ailleurs. Nous avions d'ailleurs proposé la promulgation d'un pareil décret bien avant les architectes. Maintenant, nous le demandons avec encore plus d'insistance, parce qu'il y a un besoin urgent à couvrir à ce sujet», conclut M. Talbi Alami.