La réaction d'un citoyen meknassi qui a préféré garder l'anonymat, traduit un malaise profond des habitants de la cité ismaïlienne face à un certain climat délétère qui règne à Meknès et qui enfonce petit à petit la ville déclarée par l'Unesco, patrimoine mondial, dans une ruralisation qui ne dit pas son nom. Par respect à ce cri du cœur d'un citoyen averti qui certainement souffre en décrivant ainsi une ville qu'il a tant chéri, on délivre texto son témoignage . « Meknès se réveille péniblement de sa torpeur, comme elle a l'habitude de le faire au rythme des événements. Entre un événement et un autre c'est le vide sidéral. Les jardins sont pris d'assaut par des saisonniers qui maladroitement essaient tant bien que mal de couper les mauvaises herbes, arracher les fleurs sauvages, donner vie à une terre abandonnée, craquelée, serpentée par des tuyaux d'arrosage cassés, derniers témoins d'un processus de dilapidation de deniers publics. Les trottoirs, les fontaines sont faits et défaits au mépris de toute esthétique, par des sociétés sans noms qui font les travaux de jour comme de nuit au mépris de la sécurité des citoyens. Une pierre par là, un trou béant par ci, se conjuguent avec les feux de signalisation cassés, tordus, retournés et sans lumière. Le citoyen désemparé roulant dans un tombeau, se voit soudain confronté à des « dos de chameau », étant trop volumineux pour s'appeler des « dos d'ânes » qui sont à peine perceptibles mais qui soulèvent sans ménagement les véhicules au ciel et les laissent retomber avec fracas. Tous les boulevards meurent en largeur de ceinture à l'arrivée d'un « oval- point » pour obliger les voitures à passer en file indienne. La circulation est étouffée et l'on découvre comme dans un cauchemar que Meknès contient plus de voitures qu'il n'en faut ou peut être plus de citoyens qu'il n'en faut. La ville bouge par sursaut et saisonnalité mais rien qu'au centre. Toute la périphérie de la ville respire l'abandon. Le commerce, la menuiserie, la ferronnerie, la soudure, le souk … Tout se fait à l'air libre, sur l'espace public, l'espace vital du citoyen. Même les trottoirs sont occupés par les cafés, les mahlabas, les butanes, les carcasses de cuisinières, de frigidaires, de voitures, de cars accidentés. Reste au citoyen le macadam au risque de se faire éventrer par une voiture. Et comme le dit l'adage marocain, on en rit à force d'avoir des problèmes et de ce fait les habitants des quartiers de la banlieue transforment leur mal être en bonheur en respirant la fraternité et la débrouillardise. Ce sursaut durera sept jours comme dans les noces mal partie et la ville redeviendra ce qu'elle était : tous les feux vont s'éteindre, les folles herbes reprendront le dessus sur le gazon, on cassera les fontaines, on placera de nouvelles bordures, les trous sortiront des entrailles de la terre. Seul le citoyen Meknassi restera debout et attendra patiemment le prochain sursaut car il est mieux placé pour savoir que tout ce qui brille n'est pas or. » Espérons que ce cri réveillera les consciences et poussera les responsables à se mobiliser pour redorer l'image d'une cité impériale mille fois millénaire.