L'incertitude planait lundi sur la tenue du procès à Paris de l'ex-président Jacques Chirac, premier ex-chef d'Etat français à comparaître devant un tribunal, à cause d'un recours qui pourrait provoquer un report sine die dès l'ouverture de l'audience, dans l'après-midi. Si 77% des Français gardent un "bon souvenir" de son passage à la tête de l'Etat, ils sont 71% à "trouver normal qu'il soit jugé", selon un sondage Obea-InfraForces publié lundi dans le journal gratuit 20 Minutes. L'ancien président, 78 ans, est redevenu un justiciable ordinaire depuis qu'il n'est plus protégé par son immunité présidentielle. Il doit répondre devant le tribunal correctionnel de Paris de faits remontant au début des années 1990. Jacques Chirac est soupçonné d'avoir permis que des personnes travaillant essentiellement pour son parti, le RPR (ancêtre de l'UMP, le parti de l'actuel président Nicolas Sarkozy), soient rémunérées par la mairie de Paris. Maire de Paris de 1977 à 1995 avant d'être élu président (1995-2007), il n'a cessé de récuser l'existence d'un "système organisé". Neuf autres personnes, des proches de Jacques Chirac, dont François Debré, frère du président du Conseil constitutionnel que la défense veut saisir du dossier, doivent être jugées avec l'ancien président de la République dans ce procès qui vise 28 emplois présumés fictifs à la mairie de Paris en 1992-1995. Mais le procès, qui doit durer un mois, pourrait être reporté sine die et même ne jamais se tenir, si le tribunal accepte la requête de l'avocat de l'un des neuf prévenus appelés à comparaître aux cô_tés de Jacques Chirac. Me Jean-Yves Le Borgne, défenseur d'un ex-directeur de cabinet de M. Chirac, a annoncé qu'il plaiderait l'inconstitutionnalité du texte qui a empêché la prescription des faits. "Tout s'arrêterait", a déclaré l'avocat, qui a assuré ne pas agir en "sous-marin" pour la défense de Jacques Chirac. La santé déclinante de l'ancien président avait déjà soulevé des interrogations sur sa venue au procès et son épouse Bernadette a dû démentir fin janvier qu'il souffrait de la maladie d'Alzheimer. Dimanche, Jacques Chirac a réaffirmé à la radio Europe 1 qu'il allait "aussi bien que possible". "Il faut qu'il y ait procès", a estimé le socialiste François Hollande, ancien numéro un du parti d'opposition, ajoutant avoir "de la considération pour Jacques Chirac". "Donc, je souhaite que la justice passe, mais avec équilibre et mesure", a-t-il déclaré. Si le procès est maintenu, l'ex-président devrait comparaître mardi, ses avocats ayant obtenu qu'il soit dispensé du premier jour d'audience, qui devrait débuter à 13H30 (12H30 GMT). Tout a été conçu pour ménager le presque octogénaire, une salle de repos étant mise à sa disposition. Le président du tribunal, Dominique Pauthe, a prévu de l'interroger pratiquement chaque jour au cours de ce procès prévu jusqu'au 4 avril. Cette affaire comprend deux volets: l'un a été instruit à Nanterre (près de Paris) portant sur sept emplois présumés de complaisance et pour lequel M. Chirac est accusé de "prise illégale d'intérêt", et l'autre a été instruit à Paris portant sur 21 emplois, où l'ex-président est poursuivi pour "détournement de fonds publics" et "abus de confiance". Dans le volet de Nanterre, plusieurs condamnations avaient déjà été prononcées en 2004, notamment à l'encontre de l'ancien Premier ministre (et actuel chef de la diplomatie) Alain Juppé, à l'époque secrétaire général du RPR et adjoint aux Finances à la mairie de Paris. L'ancien président encourt en théorie 10 ans de prison et 150.000 euros d'amende, ainsi que cinq ans de radiation des listes électorales et 10 ans d'inéligibilité. La pression s'est cependant allégée depuis que la ville de Paris a renoncé à se porter partie civile, suite à un accord d'indemnisation conclu en 2010 avec l'UMP et Jacques Chirac. Le maire socialiste de Paris Bertrand Delanoë ayant retiré la constitution de partie civile de la Ville de Paris, la principale victime de l'affaire ne sera pas représentée. Un accord a été passé sur un remboursement de 2,2 millions d'euros au titre de 21 emplois litigieux de "chargés de mission", 500.000 euros à la charge de Jacques Chirac et le reste à celle de l'UMP. L'UMP avait déjà remboursé en 2005 889.000 euros à la Ville pour les emplois visés dans le second volet de Nanterre. Les Verts ont vivement critiqué l'accord approuvé par la majorité socialiste et la droite, estimant qu'il offrait l'image d'une connivence et d'un traitement de faveur de Jacques Chirac. Sans sa principale victime, le procès s'annonce aussi sans accusation puisque le parquet avait requis un non lieu général durant la procédure. L'association anticorruption Anticor sera partie civile et son avocat Jérôme Karsenti sera donc seul pour porter la contradiction à l'ex- président, avec Frédérik-Karel Canoy, qui représente des "contribuables". Les deux avocats entendent combattre la demande de report.