Lundi, les Quinze ont pu afficher une position commune sur le dossier irakien sans pour autant effacer leurs divisions. La Turquie, elle, a mis en suspend mardi la question du déploiement militaire américain sur son sol. Sortant de sa réserve habituelle, le président turc Ahmet Necdet Sezer est monté au créneau mardi en déclarant que tout envoi de soldats américains dans son pays ne pouvait se faire que dans le cadre de l'ONU. Alors que l'administration Bush attendait justement que le Parlement turc lui donne son feu vert mardi, celui-ci a tout simplement reporté sa séance sine die ! Et le chef d'Etat de préciser, selon l'agence nationale Anatolie, que seule cette instance était à même d'autoriser tout déploiement militaire étranger dans le pays. Si M. Sezer a des pouvoirs limités, il peut lui-même influer sur les décisions parlementaires par le biais du Conseil national qu'il préside et qui rassemble le gouvernement mais aussi la puissante armée turque. Cette précision est importante car l'exécutif dirigé par le parti islamiste de le Justice et du Développement ne semble pas plus pressé que M. Sezer de voir s'installer les Marines. Le leader de l'AKP, Recep Tayyip Erdogan, n'a-t-il pas lui-même averti mardi que ses «amis américains ne devraient pas interpréter la décision prise par le Parlement de moderniser (les) bases et (les) rapports comme le signe d'un soutien irréversible» ? «Nous ne nous sommes en aucune manière engagés de manière unilatérale, y compris sur la date du 18 février» a ajouté celui qui dirige le parti au pouvoir, ouvertement hostile à une guerre contre l'Irak. «Nous avons dit depuis le début que la présence de soldats étrangers en Turquie doit être (autorisée) dans des circonstances considérées légitimes par le droit international» a renchéri le chef d'Etat. «C'est pourquoi, nous pensons qu'il devrait y avoir une autre résolution que la 1441 du Conseil de sécurité de l'ONU», a-t-il ajouté. Si l'on sait que la Turquie attend de l'administration américaine un soutien financier conséquent avant de lui ouvrir ses bases et ports, cette nouvelle mise au point d'Ankara pourrait surtout découler de la rencontre qui s'est déroulée la veille entre le président français et le chef du gouvernement turc. Lundi soir, en marge du Sommet extraordinaire que les Quinze ont convoqué pour s'accorder sur la crise irakienne, Jacques Chirac a en effet tenu à réaffirmer à Abdullah Gül «l'entière solidarité» de la France à la Turquie. Et le chef d'Etat d'expliquer que la position française au sein de l'Alliance Atlantique, «posait une question de principe du fait de la volonté de certains de saisir l'OTAN de mesures d'accompagnement d'une action militaire qui n'était ni décidée, ni autorisée par le conseil de sécurité des Nations unies». Ce que M. Gül a dit «tout à fait» comprendre… Le président français et ses pairs européens sont par ailleurs parvenus à adopter un texte commun sur l'Irak, qui affirme que la «guerre n'est pas inévitable» sans exclure un recours à la force «en dernier ressort». La «mini crise en Europe a été, semble-t-il, surmontée», a estimé M. Chirac. Sauf que chacun est resté sur ses positions, Paris ayant affirmé avant même l'ouverture des débats qu'il ne pouvait «que s'opposer à une deuxième résolution » préconisée par la Grande-Bretagne et l'Espagne, ce qu'elles ont répété mardi. La crise que Madrid et Londres avaient provoquée en publiant fin janvier une lettre de soutien aux Etats-Unis n'a pas non plus trouvé d'issue. M. Chirac a même critiqué la «légèreté» et «l'inconscience» des pays candidats à l'UE qui ont participé à cette démarche «dangereuse». Selon lui, ils «ont manqué une bonne occasion de se taire», surtout la Bulgarie et la Roumanie qui, « si elles voulaient diminuer leurs chances d'entrer dans l'Europe, elles ne pouvaient pas trouver un autre moyen »…