Le mélo, dans son acceptation la plus large, c'est le drame accompagné de musique. Dans un sens plus restreint, c'est un récit échevelé, agrémenté d'émotions fortes et de surenchère sentimentale, une masse d'abomination un bloc d'impossibilités, mais irrésistible de mouvement, de surréalité prenante quoique absurde. « La fureur dramatique élevée à son maximum de tension », disait Henri Clouard. C'est aussi le mélange des genres, à mi-chemin du comique et de la tragédie. On peut enfin le limiter, dans l'espace et dans le temps, au théâtre populaire au 19ème siècle. Or, qui ne voit que l'une ou l'autre de ces définitions nous conduit tout droit au cinématographe, en réduire les perspectives et en explique le rayonnement ? Le septième art est devenu le carrefour vers lequel convergent les aspirations mélodramatiques du monde entier. Le mélo a mille visages. Il peut avoir des résonances sociales, psychologiques, patriotiques, religieuses. Il s'assimile à l'occasion, les conventions du film à épisodes, du film criminel, de la comédie. Il va du conformisme le plus réactionnaire à la prise de conscience la plus avancée. La femme y est la victime toute désignée des revers du destin, mais elle peut aussi bien être la maîtresse du jeu. Le mélo chante avec Tino Rossi ou Farid Al Atrache, danse avec Sarita Montiel ou Samia Gamal, frémit avec Lician Gish ou Faten Hamama, vibre avec Charles Vanel ou Rochdy Abada, tonne avec Harry Baur ou Farid Chawki. Il se pimente ici d'érotisme, là de spiritualité. Il est par excellence, à l'image de la vie. Les mensonges qu'il nous conte sont autant de secrets magnifiques, les larmes d'amour qu'il nous arrache, forment, réunies, un immense lac. Le mélo, c'est un miroir, parfois grossissant, souvent fidèle, toujours révélateur, promené le long des chemins arides de l'existence. Mélo, notre beau souci, vice impuni de l'amateur du cinéma. Le mélo, c'est surtout le règne tout puissant de la star, telle qu'on le dédaigne un peu aujourd'hui. Combien de celles que nous avons retrouvées sur les écrans, dans la splendeur intacte de leur mythe, peuvent prétendre au titre envié de Vénus de mélo ? Tant de déchirements et de pleurs, de souffrances tues ou surmontées, de conflits pathétiques et de dignité outragée ne serait-ils enfin que l'expression d'une même pulsion sentimentale et fondamentale à vocation universelle ? Le mélo, qu'il soit européen, américain, asiatique ou arabe, à ceci de commun que presque tous ses rebondissements, coups de théâtre et autres péripéties, sont articulées grosso modo sur la notion de péché : la faute, l'expiation, le rachat. Le catholicisme le plus orthodoxe y a imprimé son sceau définitif et les personnages passent des films entiers à réparer une faute, commise ou non, puisqu'un soupçon du mari ou une fausse évidence suffit à précipiter le drame et qu'une vie suffit à peine à l'expiration. C'est l'idée éminemment chrétienne du sacrifice de soi, qui préside à ce rachat et l'héroïne suit son calvaire parfois au sens propre. Meurtrière jalouse, orpheline délaissée, malade incurable, prostituée amoureuse, mère calomniée, femme coupable qui retrouve la foi, on pourrait ajouter ou développer cette liste très longuement, les situations dans lesquelles se débattent ces drames se croisent et s'entrecroisent, s'éloignent et se rapprochent comme les rails de chemin de fer dans une gare, ressort mélodramatique par excellence et constante du genre. Est-ce à dire que faire la synthèse du plus parfait mélodrame reviendrait à trouver l'héroïne qui accumulerait le maximum de ces caractères ? Je ne le pense pas. Dans le mélo aussi, la qualité prime par rapport à la quantité. Ce qui compte après tout dans le mélo, c'est le résultat, c'est-à-dire être ému, sachant que ce que ce genre peut avoir de péjoratif devient comme par enchantement sublime et émouvant.