Diplomate de carrière, feu Aïssa Benchekroun avait intégré le ministère des Affaires Etrangère dès 1956 et fut notamment Ambassadeur du Maroc au Brésil. Dès son départ à la retraite, il était revenu au journalisme, activité qu'il avait exercé à ses débuts puisqu'il occupa aussi le poste de Directeur de la presse à l'Agence Maghreb Arab Press (MAP) pendant dix ans après avoir été directeur de l'information dans le gouvernement Abdallah Ibrahim. L'ouvrage «A la lumière d'un siècle, écrits journalistiques 1992-2006» est une œuvre posthume de Aïssa Benchekroun. Il s'agit d'un ensemble d'articles journalistiques écrits à chaud, parfois retouchés, réunis par sa fille Zeinab Benchekroun qui a tenu à concrétiser un projet que l'auteur avait porté en lui pendant de longues années et par lequel il voulait laisser une trace, en exprimant des idées qui lui tenaient à cœur. Il avait conçu ce projet pensant faire œuvre utile en livrant des réflexions susceptibles de servir à d'autres et de donner un aperçu sur sa vision personnelle des choses à l'égard de nombreux points d'intérêts de l'actualité touchant la politique nationale et internationale, la diplomatie, l'histoire, l'économie, la culture. L'un des sujets qui reviennent souvent sous la plume de l'auteur est le problème du peuple palestinien, d'où un débat quasi permanent où le rapport entre l'Occident et les pays arabes est omniprésent ainsi que le dialogue avec des Israéliens, du moins les tenants d'une coexistence juste et équitable entre deux Etats. L'auteur touche aussi à des sujets d'ordre national (statut de la femme, culture amazigh, islamisme...) en essayant toujours de rebondir sur des questions de l'heure au gré des évènements. C'était sa manière d'être à l'écoute et de contribuer au débat. Ainsi, traitant de l'actualité marquée les guerres et les conflits (Palestine, Irak, Balkans, ex-Yougoslavie, Kosovo, Bosnie et bien d'autres), l'auteur exprime haut et fort son opinion et prend ouvertement position contre les injustices et les impostures comme le «nouvel ordre mondial» annoncé tambour battant, le néocolonialisme des superpuissances, l'hégémonie américaine après la fin du bloc de l'Est en 1989... Il s'agit, comme l'indique l'intitulé de l'ouvrage, d'écrits journalistiques dont un certain nombre furent publiés au quotidien “L'Opinion” et d'autres insérés dans le blog que l'auteur avait créé au début du balbutiement de la cyberspace au Maroc, dans une quête de communication avec des interlocuteurs de par le monde sur les thèmes qui lui tenaient à cœur. Au cour de sa longue carrière diplomatique (chargé d'affaire à l'Ambassade du Maroc à Washington, mission permanente du Maroc aux Nations Unies, conseiller dans les ambassades du Maroc à Londres, Madrid et Stockholm jusqu'à sa nomination en tant qu'ambassadeur du Maroc au Brésil), Aïssa Benchekroun appliquait à la lettre l'obligation de réserve du grand commis de l'Etat qu'il était. Mais une fois à la retraite, il retrouve ses élans d'intellectuel franc et perspicace, épris de justice et toujours prêt à donner la réplique argumentée, parfois même osée, mais avec la finesse requise et dans le respect des règles du débat d'idée. Ses écrits étaient tout simplement une “parole en liberté”. Mahdi ElMandjra écrit à propos de ses textes: «Ces écrits me permettent de rajeunir et de retrouver Aïssa des années cinquante avec sa franchise cinglante que la diplomatie a adoucie mais n'a pas éteinte. Son réveil est beau. Un merci tout simplement d'avoir si bien résisté à l'aliénation culturelle et au mercenariat politique». De son côté, Mohammed Kenbib, historien et professeur chercheur à l'Université Mohammed Vde Rabat, note dans la préface de l'ouvrage: «Au-delà de la franchise, des traits d'esprit et de la force de conviction que reflètent ses écrits, il faut reconnaître aussi le courage dont fait preuve Aïssa Benchekroun dans ses prises de position publiques sur des questions aussi fondamentales et sensibles que, entre autres, le nouvel ordre (ou désordre) mondial, le projet américain d'un Grand Moyen-Orient, le conflit israélo-palestinien, le devenir de Jérusalem, l'islamisme, la démocratie, le statut de la femme et le rôle des médias». La parution de certains ouvrages à caractère politique provoquait aussi la réaction de Aïssa Benchekroun. Ses points de vue montraient l'intellectuel agissant, toujours ouvert au débat constructif, maniant un discours discursif où il faisait preuve de culture moderne qu'il mélait à son humour marrakchi dont il ne se départissait presque jamais. Dans cet ouvrage, l'auteur révèle parfois des choses surprenantes, des événements sur son propre parcours, tus jusque là. C'est le cas lorsqu'il évoque la (supposée) tentative d'enlèvement de Che Guevara à Casablanca en 1959, (page 322), sans manquer de mettre toutefois un point d'interrogation. Il était présent et devait conduire la délégation cubaine à l'aéroport après son entrevue avec le président du Conseil Abdallah Ibrahim. Les cubains étaient venus à Casablanca pour discuter de relations économiques avec le Maroc. Mais au moment du départ, les réservations à bord de l'avion en partance pour Madrid furent annulées sans explication pour la délégation cubaine qui trouvait que l'acte était suspect. Sentant un danger, Aïssa Benchekroun contacta illico Abdallah Ibrahim. Le président du Conseil devait intervenu personnellement pour que la délégation cubaine puisse partir vers Madrid à bord du même vol. Aissa Benchekroun avait suspecté une tentative d'enlèvement par des services au cas où la délégation cubaine aurait pris le vol suivant.
«A la lumière d'un siècle, écrits journalistiques 1992-2006» de Aïssa Benchekroun, éditions Porte d'Anfa, Casablanca.