Depuis plus de 20 ans, il est question d'ouverture de l'université marocaine sur son environnement socio-culturel ! Mais la réalité révèle beaucoup d'espérances qui n'arrivent pas encore à s'ancrer dans une réalité protéiforme et sans humus ! D'un autre point de vue, le cinéma marocain a besoin d'une nouvelle relève qui perpétue la tradition et le patrimoine visuels du pays et qui ouvrent de nouvelles perspectives encore inédites ! En effet, si nous prenons le cas des rapports, pourtant recherchés de part et d'autres, depuis longtemps, entre cinéma et l'audiovisuel d'une part et l'université marocaine d'autre part, nous avons la désagréable surprise (surprise prévisible !) de constater que ce n'est pas du tout réjouissant ni encourageant ! On a affaire à un choc de deux légitimités symboliques, à une confrontation de deux institutions qui sont, pour le moins, déconcertants et anachroniques. Des difficultés et des résistances à la convergence de deux logiques, en apparence diamétralement opposées, font surface chaque fois qu'il est question de cinéma à l'université ou inversement. Ce choc se traduit généralement par l'indifférence, par la discréditation mutuelle et par des intégrismes aveugles et virulents. Pourtant, tout a bien commencé, le lendemain de la proclamation de l'indépendance du Maroc : les intellectuels et les universitaires marocains étaient séduits par les cinématographies française (la Nouvelle vague), italienne (le néoréalisme), soviétique et considéraient le dispositif cinématographique comme un formidable outil pour l'éducation de la population et pour le développement d'une nation renaissante. Dans un élan patriotique et humaniste, les universitaires se sont appropriés la critique cinématographique, les ciné-clubs et ont participé à insuffler un contenu salutaire à une industrie nouvelle au Maroc. Et au fil de l'histoire, la mésentente, le dialogue des sourds et le rejet mutuel se sont installés progressivement : ciné-club exclus des écoles, mépris des images, fronde des cinéastes et méfiance des professionnels du secteur à l'égard tout ce qui peut être discours universitaire… Maudit cinéma ! A l'université marocaine, le cinéma et l'audiovisuel ne sont vus que d'un œil hautain, condescendant et méprisant. Ces « divertissements pour ilotes », comme disait G. Duhamel sont qualifiés par certains universitaires comme sources de ravages culturels, comme rabaissement généralisé du goût et des bonnes mœurs et comme freins pour le développement de l'imagination et du savoir ! Le cinéma, la télévision, la vidéo et même la peinture, la photographie, la bande dessinée sont vécus comme de terribles menaces pour la sacro-sainte Galaxie Gutenberg ! La standardisation, la passivité, la colonisation des imaginaires, l'immoralité, la médiocrité, la violence …voilà en gros ce que reprochent la majorité des enseignants à la culture écranique et aux œuvres d'art ! Il découle de ces jugements de valeurs, de ces anathèmes, que les arts visuels modernes ne sont pas des objets dignes d'intérêt pour les disciplines universitaires. L'art, c'est pour les loisirs et le troisième temps qu'il vaut mieux incarcérer dans des « journées de la création des étudiants » pour mieux s'en prémunir ! L'art ce n'est pas du sérieux ! L'art c'est du dilettantisme ! L'art fait peur ! L'art dérange ! Et le dispositif cinématographique est trop lourd et c'est le lieu des mutations constantes ! Il découle également de cette attitude la quasi absence de masters « cinéma et audiovisuel », l'absence tout court de départements « cinéma et audiovisuel », le refus d'intégrer les médias comme composantes dans la formation des étudiants, la méfiance toujours accrue à l'égard des médias, l'absence d'encouragement des recrutements de professeurs spécialisés, la négligence de l'infrastructure audiovisuelle, la rareté de conventions avec les professionnels du secteur au Maroc ou à l'étranger ! Le verbo-centrisme et la méfiance à l'égard de la création retardent dangereusement la nouvelle université marocaine (qui se voudrait créative, attractive, diversifiée, donnant la chance à tous et ouverte sur le monde et sur la vie) tant rêvée, tant souhaitée, tant fantasmée ! Cette université qui formerait l'intelligence sans oublier le feeling, qui formerait le QI sans négliger le QE (quotient émotionnel), qui équilibrerait les deux hémisphères pour une réelle polyvalence et qui serait capable de relever toutes les gageures de la modernité ! En conséquence, l'université et les institutions scolaires se méfient des images, de l'art, résistent à tout ce qui peut contribuer à la démocratisation de l'art et du cinéma ! Maudite université ! Dans le versant opposé, les professionnels (enfin ! certains professionnels) campent sur des préjugés dévalorisants et honteusement surannés. L'université, surtout marocaine, constitue pour eux, un carcan dogmatique insupportable qui ne peut jamais favoriser la créativité, l'art, la liberté de parole. Lieu de formatage des esprits, d'absence de dialogue, de soumission ( cheikh et mourid). Lieu confiné dans de la théorie académique qui résiste à l'innovation et à la découverte ! L'université marocaine n'a pas encore atteint l'âge de raison pour s'occuper de la passion et de l'affect. De plus, rares sont les grands cinéastes et les grands artistes qui ont suivi un véritable cursus universitaire ! Et encore : les différents festivals et certains musées se méfient des étudiants universitaires qui, semble-t-il, ne savent pas apprécier les œuvres d'art comme il se doit et qui sont incapables de produire un discours cohérent sur une toile ou sur un film ! (Suite vendredi prochain)