Indispensables au confort urbain et à l'hygiène publique, les plombiers marocains restent sous-payés et peu reconnus, malgré une forte demande dans le bâtiment. Le plombier fait partie de ces métiers de première ligne qu'on ne remarque que lorsqu'un robinet fuit, qu'une canalisation cède ou qu'un chauffe-eau rend l'âme. Intervenant dans les logements, les écoles, les hôpitaux ou les usines, ces professionnels assurent chaque jour l'installation, la maintenance et la réparation des réseaux d'eau, d'évacuation, ou de chauffage. Ils jouent un rôle central dans le fonctionnement de nos espaces de vie, dans l'hygiène publique et dans la rationalisation de l'usage de l'eau, enjeu devenu capital dans un pays structurellement en stress hydrique. Pourtant, ce métier reste l'un des plus peu reconnus socialement et économiquement. À l'occasion de la Journée mondiale de la plomberie, célébrée ce 11 mars, ce professionnel mérite d'être reconsidéré à la hauteur de son utilité. Car si les gestes du plombier sont de plus en plus techniques, la reconnaissance de son statut, elle, tarde à suivre. Dans les faits, ce métier longtemps cantonné à l'artisanat informel connaît aujourd'hui une véritable transition vers des compétences de technicien, mais les conditions de travail et les perspectives d'évolution n'ont pas encore changé d'époque.
Demande et reconnaissance La plomberie figure désormais parmi les métiers artisanaux les plus recherchés, notamment en milieu urbain, selon les données du ministère de l'Artisanat et les analyses de l'ANAPEC. Pourtant, le secteur souffre d'un paradoxe structurel : une forte demande, mais un manque notable de main-d'œuvre véritablement qualifiée. En l'absence de données chiffrées officielles sur le nombre de professionnels actifs dans la plomberie au Maroc, on sait néanmoins que la majorité exerce dans l'informel, parfois après un simple apprentissage de terrain, sans réelle formation diplômante. Ce déficit d'encadrement pèse lourd sur la qualité des prestations, mais aussi sur les conditions de travail des plombiers eux-mêmes. «La plupart exercent à leur compte, sans couverture sociale ni protection juridique, dans une économie parallèle où ni la sécurité ni la valorisation ne sont garanties. Résultat : malgré leur utilité indiscutable, les plombiers restent en bas de l'échelle des métiers du bâtiment. Et faute de perspectives solides, les jeunes continuent de bouder cette voie pourtant porteuse d'emploi», nous confie un expert du bâtiment.
Techniciens sous-payés Cette absence de valorisation est d'autant plus injuste que le métier de plombier a profondément évolué. «Le plombier d'aujourd'hui est un technicien spécialisé et aguerri, qui devrait être capable de lire des plans, de respecter les normes de sécurité, de manipuler différents matériaux et d'intervenir dans des systèmes de plus en plus complexes, notamment dans les installations intégrées de plomberie-chauffage ou dans les équipements de performance énergétique», poursuit notre interlocuteur. Pourtant, cette montée en compétence n'a pas été suivie d'un saut qualitatif en matière de reconnaissance professionnelle. Dans le secteur formel, les salaires plafonnent généralement entre 3.000 et 5.000 dirhams mensuels. Les plombiers indépendants peuvent parfois mieux s'en sortir, mais au prix d'une instabilité chronique, souvent sans protection sociale ni retraite. À l'inverse, «en Europe ou en Amérique du Nord, les plombiers qualifiés bénéficient de statuts solides, de conventions collectives protectrices et de rémunérations confortables dépassant régulièrement plusieurs milliers d'euros par mois».
Un secteur à structurer Pourtant, les leviers existent pour revaloriser ce métier. L'OFPPT, notamment, propose plusieurs filières de formation en plomberie sanitaire, du niveau qualification au niveau technicien spécialisé. Ces parcours permettent d'acquérir des compétences solides et de s'insérer, au moins théoriquement, dans le marché du travail structuré. Mais en réalité, les plombiers formés peinent souvent à trouver un emploi formel, et finissent par rejoindre les rangs de l'auto-entrepreneuriat (voir interview) ou de l'informel, faute de débouchés organisés. Le secteur souffre aussi de l'absence d'un encadrement clair et d'une stricte application des lois et règlementations en vigueur. Dans ce contexte, moderniser le métier implique un véritable changement de paradigme : il ne s'agit plus seulement de former, mais de structurer une filière, de créer des passerelles entre formation, emploi et entrepreneuriat, et de doter le métier d'un cadre normatif à la hauteur de son rôle dans la société. Car, en définitive, le plombier est bien plus qu'un ouvrier du tuyau : c'est un acteur clé de la santé publique, de la gestion de l'eau et du confort de vie durable.
3 questions à Ali El Aaiouar, expert en plomberie : «Le plombier marocain est généralement aussi compétent que son homologue occidental» * Avec l'évolution des méthodes de construction et des technologies, le métier de plombier a rapidement évolué à travers le monde. Est-ce également le cas au Maroc ?
- Il est certain que le métier de plombier a changé d'image pour passer d'un artisan (qui se focalisait principalement sur des problèmes de tuyauterie, de raccordement ou d'assainissement) à un véritable technicien spécialisé qui intervient bien au-delà. C'est le cas dans les pays froids par exemple, puisque le plombier est chargé de maintenir le chauffage central des habitations, d'intervenir pour améliorer l'efficacité énergétique ou encore à devoir gérer des infrastructures digitalisées. Si le niveau de vie d'un plombier dans les pays occidentaux est bien supérieur qu'au Maroc, le plombier marocain est généralement aussi compétent que son homologue occidental. Il arrive même que le plombier au Maroc soit plus compétent, puisque son métier se base sur les mêmes standards et savoirs.
* Justement, comment faire pour que le plombier marocain puisse améliorer son image et ses revenus au Maroc ?
- Il y a plusieurs pistes potentielles. D'abord, les marchés publics impliquant des prestations de plomberie devraient permettre à des entreprises de moyenne et petite taille de participer. Il serait également pertinent de revoir les références tarifaires liées au matériel et à la main d'œuvre. Avec l'inflation, les prix ont augmenté au niveau mondial dans tous les secteurs et le marché de la plomberie n'est pas exclu. Il n'est pas juste de proposer des offres alignées sur des prix qui sont devenus obsolètes... L'autre levier potentiel est d'améliorer l'accès aux formations et de reformer le statut d'entrepreneur qui était très prometteur au début, mais qui le semble beaucoup moins actuellement...
* Quels sont les aspects à améliorer dans le statut d'auto-entrepreneur pour avoir un impact positif sur les personnes qui s'activent dans le domaine de la plomberie ?
- Au début, le statut d'auto-entrepreneur avait pour objectif d'encourager les travailleurs de l'informel à passer vers le formel. Il était question alors d'incitations fiscales très intéressantes. Malheureusement, cela n'a pas continué puisqu'on a rapidement décidé d'augmenter l'imposition des auto-entrepreneurs. Cela ne s'est pas fait progressivement et au final un très grand nombre d'auto-entrepreneurs se sont retrouvés avec des reliquats très lourds d'impôts à payer. C'est vraiment dommage, car ce statut n'est plus aussi attrayant qu'auparavant. L'Etat devrait revoir son approche, pour que le statut d'entrepreneur redevienne un levier de lutte contre l'informel et d'accompagnement de travailleurs souvent vulnérables, plutôt qu'un outil d'extraction de l'impôt. Ubérisation : Du bouche-à-oreille aux plateformes, la plomberie passe au digital Dans un secteur encore largement structuré autour du bouche-à-oreille, de la débrouille et des réseaux de proximité, les plateformes numériques commencent à redéfinir la relation entre artisans et clients. À l'image de Plombier.ma, qui propose une mise en relation directe entre particuliers et professionnels qualifiés, ces solutions offrent un début de structuration du métier. Elles permettent de localiser un plombier disponible, consulter des fiches descriptives, obtenir des devis en ligne ou lire les avis d'anciens clients. Pour les artisans, souvent isolés et sans vitrine commerciale, ces outils représentent une opportunité de visibilité, mais aussi un levier pour instaurer des standards de qualité. La ponctualité, la transparence tarifaire ou le respect des délais deviennent ainsi des critères évalués, contribuant à améliorer l'image du métier. Toutefois, ces plateformes restent peu répandues à grande échelle et peinent à s'imposer dans un écosystème encore dominé par l'informel. L'absence de labellisation professionnelle, la méfiance vis-à-vis des outils numériques et le manque d'accompagnement freinent leur déploiement. Reste qu'elles dessinent une voie possible pour une modernisation du secteur, à condition d'être soutenues par une reconnaissance institutionnelle du métier. Ironie du sort, c'est justement l'absence de cadre formel qui entrave ce progrès technologique... alors même que le mot «plombier» vient du latin plumbum, qui désignait à l'origine le plomb, ce métal que les artisans manipulaient autrefois pour façonner les canalisations. L'histoire du métier, profondément liée à l'évolution des techniques, pourrait bien se poursuivre désormais en ligne. Formation Plomberie, un métier au cœur de la transition hydrique Dans un contexte marqué par la pénurie d'eau, le rôle des plombiers dépasse largement les interventions de dépannage ou d'installation classique. Ces professionnels sont appelés à devenir des acteurs clés de la transition hydrique, notamment à travers la pose d'équipements permettant de limiter les déperditions et de rationaliser l'usage domestique de l'eau. Réducteurs de débit, chasses d'eau double flux, systèmes de récupération des eaux grises : autant de dispositifs qui peuvent, selon les estimations d'organismes spécialisés, réduire la consommation quotidienne de 20 à 30%. Pourtant, ces technologies restent peu répandues au Maroc, où l'équipement des ménages en dispositifs d'économie d'eau demeure limité. La formation professionnelle, elle-même, intègre encore marginalement ces approches. D'après les contenus observables dans les cursus de l'OFPPT, moins de 10% des modules abordent l'efficacité hydrique de manière opérationnelle. Valoriser cette composante durable du métier devient un enjeu stratégique pour accompagner les politiques d'adaptation climatique.