Dans Son discours du 6 novembre, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a appelé à une révision des mécanismes d'accompagnement des Marocains Résidant à l'Etranger (MRE). Malgré leur volonté d'investir et d'entreprendre dans leur pays d'origine, ils se heurtent à de nombreux obstacles, qu'ils soient administratifs, culturels ou financiers. Grâce à leur double culture et forts de leurs ambitions entrepreneuriales, les Marocains Résidant à l'Etranger (MRE) peuvent jouer un rôle pivot dans le développement de leur pays d'origine et de cœur, et qui s'est donné des objectifs ambitieux en termes de création de start-ups innovantes et compétitives.
Dans Son discours du 6 novembre dernier, à l'occasion de l'anniversaire de la Marche Verte, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a appelé à revoir les mécanismes d'accompagnement des MRE pour déployer tout le potentiel de ce vivier de compétences et de capital.
Bien que les ambitions et la volonté soient bien présentes, la réalité à laquelle se heurtent les MRE qui reviennent au Maroc pour entreprendre ou investir peut s'avérer semée d'embûches. En effet, la méconnaissance de la culture locale et du fonctionnement du marché marocain peut rendre le parcours particulièrement complexe pour ceux qui n'y sont pas familiers.
Installer une nouvelle culture
"Aujourd'hui on est organisé d'une façon, dans six mois on peut se réorganiser d'une autre. L'agilité c'est un mindset !". Zouhir Bahij est un des cofondateurs et le CEO de YouCan, une plateforme de type SaaS (software as a service) spécialisée dans le commerce électronique. Né au Maroc, cet ingénieur formé en France décide à 30 ans de revenir lancer une start-up avec ses associés.
À ses yeux, "le véritable défi réside dans la mobilisation du capital humain". Encore peu de start-ups opèrent dans la tech, et il n'est pas simple de trouver des compétences adéquates pour les besoins techniques et managériaux dans ce domaine.
Si des écoles telles que 1337 et YouCode s'y attellent, en attendant la prochaine génération, la formation se fait en interne : "La culture du measurement doit intégrer notre ADN, même si les gens n'ont pas forcément l'habitude d'exposer leur travail en continu", donne comme exemple Zouhir.
Au-delà des lignes de codage, les startupeurs sont "parfois pris entre deux univers polarisés", observe Ayoub Koutar. CEO et cofondateur de Wanaut, il a quitté les tours de la Défense à Paris pour revenir au bercail accompagner les créateurs d'expériences, les guides de montagne comme les organisateurs d'événements, tel que Visa for Music 2024.
Passé par les groupes Total et Renault-Nissan, il s'émerveille de la culture de "startup mania" qui gagne les villes marocaines, avec en porte étendard le GITEX Africa, tout en étant conscient du chemin qu'il reste à parcourir.
"D'un côté, on se croirait à San Francisco, avec des milieux dynamiques où la valeur prime sur tout le reste. De l'autre, pour gagner des marchés, il faut parfois entrer en campagne électorale ! Un meilleur produit peut échouer devant un moins bon, parce que, tu comprends, lui c'est mon pote", regrette-t-il.
La question des levées de fonds
Quid du nerf de la guerre ? Pour le développement d'une start-up, la capacité à lever des fonds - à plusieurs reprises - est incontournable. D'abord pour lancer l'activité et explorer le marché, puis pour maintenir les acquis tout en améliorant leur produit.
Au Maroc, si les accompagnements initiaux sont nombreux, c'est ensuite que les choses se corsent. "Ce n'est pas évident de lever des fonds d'accélération, et j'en ai fait le tour !", regrette Zouhir. Ayoub Koutar confirme : "Contrairement à d'autres pays où l'on compte des centaines de fonds d'investissement, ici il y en a cinq ou six. Toute erreur peut être fatale. Une fois leur confiance perdue, c'est terminé".
En janvier dernier, Wanaut a tout de même levé 2 millions de dirhams auprès d'Augustulus Ventures, un fonds privé marocain. Cependant, "convaincre des investisseurs est nécessaire sans être suffisant, et pour éviter la création de bulles artificielles alimentées par le capital-risque, il faut rendre son produit rentable et se financer via ses clients", prévient l'entrepreneur.
Autre défi pour les startupers venus d'ailleurs, l'accès limité aux devises et à des moyens de paiement innovants, "ce qui peut empêcher de scaler son entreprise", analyse Ayoub. Construire une structure tech exige une architecture cloud pour stocker un important amas de données. En attendant qu'un cloud souverain marocain voit le jour, il faut passer par Amazon, Microsoft ou encore Google, des entreprises qui ne se font pas payer en dirhams.
"Et je ne dépense pas seulement dans le cloud ! Il y a le pack Office (ndlr : non piraté), les publicités sur les réseaux sociaux et bien d'autres services. Le plafond de 100.000 euros en devises est insuffisant", constate le CEO de Wanaut. De plus, les néo banques populaires en Europe et ailleurs ne sont pas encore opérationnelles au Maroc.
Dans le secteur touristique, c'est donc un segment important du marché international qui est de facto inaccessible. "J'ai dû créer une entité juridique en Angleterre pour pouvoir recevoir des paiements étrangers pour mes activités au Maroc !", nous révèle Stéphane Szmil, fondateur et dirigeant du réseau Entreprendre et Vivre au Maroc (E&V).
Attentes et adaptation
D'origine belge, Stéphane Szmil a lancé en 2022 son projet d'accompagnement dans l'installation et les projets entrepreneuriaux des MRE. Il propose des master-classes, animées par des experts marocains, sur des sujets tels que la fiscalité, le développement professionnel et l'environnement des affaires.
Et parce qu'il "aime les gens qui créent des choses", il parle d'eux sur sa chaîne YouTube aux plus de trente mille abonnés. Si les entrepreneurs possèdent expérience et maturité pour ce type d'aventures, "je suis convaincu que le potentiel pour la création d'entreprise est réel", affirme Stéphane. Parmi les atouts mis en avant, une croissance économique relativement stable, la simplicité des démarches pour créer une entité juridique et le cadre fiscal incitatif.
Si tous les clients de E&V ne lancent pas une activité dans la tech, ils ont en commun de chercher une meilleure qualité de vie, au risque de sous-estimer le coût de la vie au Maroc. "Ils souhaitent conserver, voire améliorer, un mode de vie occidental", observe Stéphane, et rapidement "réalisent qu'ici aussi la vie peut coûter très cher. Certains déchantent", poursuit-il.
Mettre en place un parcours adapté à l'accueil des différents profils d'investisseurs MRE constitue le prochain défi pour les autorités, pour exploiter pleinement le potentiel intellectuel et financier qu'ils représentent. Sans oublier qu'"ils doivent être prêts à adopter la bonne posture, se servir de leur double culture tout en acceptant que, même munis de cette richesse, il y a des choses qu'on ne connaît pas", suggère Zineb Hatim, présidente du réseau Maroc Entrepreneurs. "Il faut apprendre des enfants du pays", conclut-elle.
3 questions à Zineb Hatim : "Les MRE doivent accepter qu'il y a des choses qu'on ne connaît pas" * Où en est-on dans la création de start-ups par des MRE ?
Ces derniers temps, on observe un engouement sans précédent ! C'est devenu beaucoup plus simple de monter son projet que dans les années 70 ou 80, et c'est aussi mieux perçu socialement. Que ce soit dans le domaine des nouvelles technologies ou non, avant on parlait moins de start-ups que de PME. Et les MRE qui voulaient investir s'orientaient presque automatiquement vers l'immobilier, le tourisme ou la restauration, mais en 2024 l'économie marocaine ne peut plus être réduite au tourisme et à l'agriculture. Il faut mentionner la logistique (Cloud Fret), l'agri-tech (Jodoor), la healthtech (Sobrius), les industries aéronautique et automobile, etc...
* L'écosystème marocain est-il propice à la création de start-ups pour les MRE ?
Un challenge important est de s'adapter pour accueillir des MRE en provenance de différents pays. Ce ne sont pas tous les mêmes profils ! Les projets de digitalisation pour les procédures administratives constituent un vrai pas en avant à cet égard. Concernant les points d'amélioration, c'est vrai qu'il y a encore un sujet sur les moyens de paiement. Pour disposer d'une certaine souplesse, les entrepreneurs créent des boîtes à cheval sur plusieurs pays. Enfin, il faudrait arriver à développer davantage les subventions pour les start-ups. Ça reste limité, et parfois on réfléchit plus à la quantité - en soutenant un grand nombre de projets - qu'à la qualité, avec des projets à impact. Il y a des évolutions nécessaires pour l'écosystème marocain. Ceci dit, les MRE doivent également être prêts à adopter la bonne posture pour se servir de leur double culture tout en acceptant que, même munis de cette richesse, il y a des choses qu'on ne connait ou qu'on ne maîtrise pas. On arrive avec une valeur ajoutée, mais on apprend aussi des enfants du pays.
* Est-ce un avantage décisif d'être MRE pour créer une start-up au Maroc ?
Je ne crois pas que les MRE ont plus de facilités à se lancer ou qu'ils sont plus présents dans ce domaine. Il y a des start-ups 100% marocaines qui font aussi un beau bout de chemin, peut-être qu'on les voit un peu moins. L'histoire du MRE voyageur qui rentre «à la maison» attire peut-être plus l'attention que celle du Marocain qui se lance chez lui. Il est vrai aussi que dans certains pays, la promotion de l'entrepreneuriat se fait dès l'enfance, ce qui, je crois, est moins le cas au Maroc. On valorise plutôt les carrières d'ingénieur, de médecin, voire de fonctionnaire. Entreprendre dans la tech ou dans n'importe quel domaine implique des sacrifices financiers, mais si on prend le cas de la France, il y a plus de sécurité car la création est soutenue.
Office des Changes : Une réglementation assouplie pour les MRE Dans le cadre de son plan d'action stratégique 2022-2026, l'Office des Changes s'est engagé à réserver un traitement personnalisé aux MRE. Cela se matérialise par la multiplication des actions d'information et de sensibilisation auprès des MRE, en s'appuyant sur une stratégie axée sur la proximité et la diversification des canaux de communication.
Au cours des dernières années, l'Office s'est engagé dans un processus d'assouplissement et de facilitation de la réglementation des changes et s'est résolument inscrit dans une dynamique d'amélioration continue de ses outils de veille réglementaire et de supervision des opérations de change.
Elaborées en parfaite concordance avec l'évolution de la situation économique et financière du Royaume, les dispositions de la réglementation des changes relatives aux dotations en devises destinées aux personnes physiques visent à faciliter l'accès des citoyens aux devises étrangères et à lutter contre le recours aux pratiques illégales.
Ainsi, depuis 2022, un régime de dotation unique, "la dotation pour voyages personnels", a été mis en place pour permettre aux Marocains de couvrir aisément leurs dépenses relatives aux voyages personnels à l'étranger de toute nature (touristique, Omra et Hajj, soins médicaux, etc.). D'un montant de base de 100.000 dirhams par an, "la dotation pour voyages personnels" peut être majorée de l'équivalent de 30% de l'IR (impôt sur le revenu), le montant total ne devant pas dépasser 300.000 dirhams par personne et par année. Tamwilcom : Une offre de soutien aux MRE entrepreneurs L'institution financière étatique Tamwilcom a lancé le programme MDM Invest, qui vise à financer des projets de création ou d'extension d'entreprises initiés au Maroc par les MRE. Les bénéficiaires doivent posséder un titre de séjour étranger, une carte consulaire ou être récemment retournés au Maroc (moins d'un an). Les secteurs éligibles incluent l'industrie, les services, l'éducation, l'économie verte, l'artisanat, le digital et la santé.
Les projets concernés doivent atteindre un minimum de 1 million de dirhams. Le financement se structure en une contribution non remboursable, équivalant à 10% du montant du projet, plafonnée à 5 millions de dirhams. Les MRE doivent apporter au moins 20% en fonds propres, tandis que le reliquat peut être financé par crédit bancaire ou autres sources. Les demandes sont déposées exclusivement auprès des banques. Les projets réalisés avant la soumission de la demande ne sont pas éligibles.