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MAGAZINE : Mustapha Hafid, l'heure du pro
Publié dans L'opinion le 15 - 12 - 2024

Jusqu'au 4 janvier 2025, la galerie casablancaise 38 accueille une rétrospective « Une vie, une œuvre » de l'artiste bouillonnant et taiseux à la fois. Un parcours multi et exceptionnel est mis en lumière pour découvrir, sans fracas, une vie faite de dits et de beaucoup de non-dits. Avec cela, une bonhomie déconcertante.
Tout y est, tout y passe. L'art de ce grand garçon est multiple sans être forcément dénué de complexité ni assujetti à la diversité qui veut qu'on ratisse large. Ou plutôt si : cette diversité, il la pratique comme évolution, telle une suite d'idées qui s'entrechoquent, se claquent la bise, s'enlacent pour se vautrer dans le reproche. C'est le propre d'une rétrospective qui ne se mêle que trop de son passé, snobant son présent, s'écartant assidument de son futur. L'exposition « Une vie, une œuvre » sonne comme une rupture avec un rêve pas prêt de passer la main au cauchemar des matériaux qui se détériorent, aux trouvailles qui s'estampent. L'homme dégage avec humour son retour aux « affaires », sachant pourtant que l'âme dépérit à longueur de vides emplis de béances. A lui de les combler de ses songes ballonnés de non dits bouleversant d'incertitudes. Ainsi vit l'artiste, ainsi va son histoire. Le jour où il se réveille satisfait, c'est qu'il a embrassé un autre parcours, celui de la fâcherie avec un art qui l'essore jusqu'à plus goute. Mustapha Hafid dort sur des lauriers qui ne cessent de sentir l'Avant. Il connait l'actuel qu'il regarde du bout d'yeux fuyant une pépinière plantant des arbres dont la forêt est toujours en cours d'effeuillages salvateurs. Hafid aime la vie, la vie n'aime qu'elle-même.

Cœur insondable et opaque

En déambulant dans cette galerie casablancaise, nous sommes éblouis par un troublant foisonnement de couleurs et de noirs et blancs issus de prises qui datent et qui racontent des histoires belles comme la nostalgie. Hafid, lui, déverse, en vrac, son parcours sans se soucier de la continuité, ni de la scénographie, ni de la musicalité des œuvres censées échanger entre-elles dans un espace qui oublie d'être étriqué. Cette exposition est, un brin, intrigante.
D'abord par son drapé, ensuite de par ce qu'elle engrange comme histoire (s). Le drapé est vite jeté derrière la vallée de l'oubli mais la pluralité de l'histoire n'est pas prête à nous draper de l'oubli. Moderne et fauve dans son approche, Mustapha Hafid est ainsi croqué en 1997 par le journaliste-critique-écrivain Mohamed Jibril (puisqu'une rétrospective permet de piocher dans le temps) : « Longtemps la peinture de Hafid semblait être confrontée au silence des choses. Sur ses grandes surfaces où des formes transfuges sont traversées de stries noires ou de fulgurances vives, la perception est sollicitée bien plus que l'émotion.
Nul doute que l'artiste cherche moins à exprimer un affect sombre qu'à pénétrer le cœur insondable et opaque de la présence des choses. En cela, sa peinture est de l'ordre de l'instinctif, de l'intuitif, de l'immédiat. Elle est un travail de captation de la densité des matières et des rapports, harmonieux ou dissonants, qui en résulte (...) Nul froideur cependant et nul détachement cérébral : on a là à une adhérence à la densité, ou plutôt au jeu de densités diverses. D'où chez Hafid, cette passion des nuances, cette richesse des tons d'une même couleur, cette rythmique des matières et des reliefs, ces passages des aplats aux couches épaisses et granulées. Aux densités diverses correspondent des opacités et des silences divers. » L'artiste suscite des réflexions et des questionnements. Son parcours grandement académique le prouve.
Cette belle et généreuse plage de citation confirme la présence esthétique et par moments rebelle de l'artiste enveloppé d'impressions polonaises et définitivement universelles. Né il y a longtemps, il décide de continuer à nous surprendre. Mustapha Hafid acquiert, à travers son œuvre, une nouvelle respiration, tout en demeurant fidèle à elle même, nous dit Jibril. Et puis voilà. Cet artiste est une pépite qui ne connait pas essentiellement le jus qu'elle distille. On espère le revoir dans un atelier ou dans un quelconque autre espace pour nous faire revivre un art assumé, pas forcément lié à l'Ecole de Casablanca ou du manifeste de 1969 de Marrakech. Jamaâ El Fna ne s'en rappelle que par ouïdire. Mais c'est tout de même un pan de l'histoire d'un art qui se révolte avec art. Hafid ne s'en détache pas.


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