Face à une inflation persistante et à la réduction des subventions sur le gaz butane, la classe moyenne marocaine se voit fragilisée. Le Projet de Loi de Finances (PLF) 2025 apporte quelques ajustements fiscaux, mais ces réformes suffiront-elles à alléger la pression sur cette catégorie fortement contributrice au budget de l'Etat ? Alors que la hausse des prix des produits alimentaires reste difficile à contenir et que le gouvernement a décidé, à partir de cette année, de réduire progressivement la subvention sur le gaz butane, la classe moyenne se retrouve dans une situation financière de plus en plus précaire. Le Projet de Loi de Finances (PLF) 2025 représente une occasion pour le gouvernement de soutenir cette catégorie sociale, notamment en allégeant la pression fiscale qui pèse sur elle.
Dans le PLF, qui sera bientôt soumis à discussion et vote au Parlement, le gouvernement a proposé un réaménagement du barème de calcul de l'IR, visant à permettre une augmentation, quoique modérée, du salaire net des fonctionnaires et salariés. Si la proposition du gouvernement est retenue, la tranche de revenu allant jusqu'à 40.000 dirhams annuels sera exonérée d'impôt (contre 30.000 dirhams auparavant).
Par effet mécanique, les tranches suivantes sont également réaménagées. Ainsi, un taux de 10% est appliqué à la tranche de revenu allant de 40.001 à 60.000 dirhams, 20% pour la tranche allant de 60.001 à 80.000 dirhams, 30% pour la tranche de revenu allant de 80.001 à 100.000 dirhams, 34% pour la tranche de revenu allant de 100.001 à 180.000 dirhams, et un taux de 37% est appliqué au surplus.
Impact modéré
Les gains potentiels de cette réforme varient évidemment selon les salaires, allant par exemple de 267 dirhams pour un salaire mensuel net imposable de 6.000 dirhams à 550 dirhams pour un salaire de 30.000 dirhams. Est-ce suffisant pour soulager des familles qui, en plus de l'inflation, font face à d'importantes dépenses liées à la scolarité et aux soins médicaux ?
"À vrai dire, l'impact de ces changements sur le pouvoir d'achat des ménages ne devrait pas être très significatif", estime Abdelbasset Mohandis, expert-comptable et commissaire aux comptes. "Bien que cela représente une variation, elle reste, à notre avis, relativement modeste et ne devrait pas engendrer de grandes fluctuations dans le pouvoir d'achat global", poursuit-il.
"Ce changement du barème de l'IR aura un impact d'au moins 15 à 20% sur le pouvoir d'achat de la classe moyenne inférieure. En revanche, cet impact ne sera pas le même pour la classe moyenne supérieure, étant donné que les mesures prises dans le cadre de l'Etat social ciblent les plus démunis, ainsi que les classes modestes et la classe moyenne inférieure", tranche pour sa part le député et président de la Commission parlementaire des secteurs productifs, Jamal Diwany.
Salariés contre fonctionnaires
L'impact variera donc selon le revenu de chacun, et ce sont principalement les catégories inférieures de la classe moyenne qui devraient en bénéficier. Plus généralement, en comparant les mesures prises par le gouvernement au cours des deux dernières années, on observe également une distinction entre fonctionnaires et salariés du secteur privé.
Pour rappel, la révision de l'IR était un geste du gouvernement envers les salariés du privé, en parallèle aux augmentations consenties pour les fonctionnaires de diverses catégories à l'issue du dialogue social. L'accord conclu fin avril et acté par l'Exécutif prévoit une augmentation générale de 1.000 dirhams pour les salaires de la Fonction publique, à l'exception des catégories ayant déjà bénéficié de hausses dans le cadre d'un dialogue sectoriel, à savoir l'Education et la Santé.
Une autre mesure visant à encourager l'accès au logement, décidée par l'Etat à travers des aides directes, fixe également le plafond du prix à 700.000 dirhams toutes taxes comprises, excluant de facto les appartements situés dans plusieurs quartiers résidentiels des grandes villes.
Tous ces éléments montrent qu'une bonne partie de la classe moyenne intermédiaire et supérieure (représentant 37,3% de la population marocaine, selon le HCP) continuera à constituer l'une des principales sources de recettes fiscales pour l'Etat. Cela signifie que, malgré les réformes, cette tranche de la population restera fortement sollicitée pour alimenter le budget public. D'ailleurs, malgré la baisse de l'IR, le PLF prévoit une augmentation des recettes de cet impôt de 15,37% en 2025.
3 questions à Abdelbasset Mohandis : "La réforme de l'IR ne devrait pas engendrer de grandes fluctuations dans le pouvoir d'achat global"
* Comment être sûr que les entreprises ajusteront le salaire net avec les nouveaux taux ?
Pour s'assurer que les entreprises ajusteront correctement le salaire net avec l'application des nouveaux taux, il est recommandé de comparer le bulletin de paie de décembre 2024 avec celui de janvier 2025. Cette comparaison permettra de vérifier les changements au niveau des cotisations et des prélèvements, ainsi que l'impact sur le montant du salaire net.
* Ces changements auront-ils un impact important sur le pouvoir d'achat des ménages, selon vous ?
À vrai dire, l'impact de ces changements sur le pouvoir d'achat des ménages ne devrait pas être très significatif. Par exemple, pour un cadre dont le salaire net se situe entre 10.000 et 15.000 dirhams, l'effet des modifications de l'IR sur le salaire net ne devrait pas dépasser 400 dirhams. Bien que cela représente une variation, elle reste, à notre avis, relativement modeste et ne devrait pas engendrer de grandes fluctuations dans le pouvoir d'achat global.
* Quels moyens de déduction peuvent utiliser les contribuables pour réduire leur impôt ?
Les articles 57 et 59 du Code général des impôts précisent, respectivement, les exonérations et les déductions dont peuvent bénéficier les contribuables pour réduire leur impôt sur le revenu (IR). Parmi celles-ci figurent les retraites complémentaires souscrites dont les cotisations n'ont pas été déduites lors du calcul du revenu net imposable. Sont également incluses les prestations servies à l'issue d'un contrat d'assurance-vie, d'un contrat de capitalisation ou d'un contrat d'investissement Takaful d'une durée minimale de huit ans. Enfin, les remboursements en capital et intérêts des prêts contractés, ou le coût d'acquisition et la rémunération convenue dans le cadre du contrat « Mourabaha », ainsi que le coût d'acquisition et la marge locative versée dans le cadre du contrat « Ijara Mountahia Bitamlik », pour l'acquisition d'un logement social destiné à l'habitation principale, entrent dans le champ des déductions possibles.
Dialogue social : Augmentation générale pour les fonctionnaires Avant la révision de l'IR programmée dans le PLF 2025, plusieurs mesures ont déjà été prises par le gouvernement, dans le cadre du dialogue social ou des accords sectoriels. Fin avril 2024, les résultats du dialogue social avec les syndicats ont entériné une hausse générale des salaires de 1000 DH accordée aux fonctionnaires, à l'exception des secteurs de l'Education et de la Santé, qui ont bénéficié d'accords séparés dans le cadre de dialogues sectoriels.
Cette augmentation se déroule en deux étapes : 500 DH en juillet 2024 et 500 DH en juillet 2025. De plus, une hausse du SMIG et du SMAG de 10% a été convenue : le SMIG augmentera de 5% en janvier 2025 et de 5% en janvier 2026, tandis que le SMAG suivra un calendrier similaire avec des augmentations de 5% en avril 2025 et de 5% en avril 2026.
Par ailleurs, des accords sectoriels ont été signés, notamment dans la Santé, l'Enseignement supérieur et l'Education nationale, menant à des augmentations salariales pour plus de 1,6 million de fonctionnaires, salariés et retraités. Ces derniers ont bénéficié de la révision de l'impôt sur le revenu en 2022, ainsi que d'une augmentation rétroactive de 5% des pensions des retraités.
Selon les chiffres du gouvernement, 1,128 million de fonctionnaires ont vu leurs salaires augmenter entre 2023 et 2024. La nouvelle révision de l'impôt sur le revenu concernera, quant à elle, 2,123 millions de fonctionnaires et retraités en 2025.