Comme chaque année, le 30 juillet est marqué par la célébration de la Journée mondiale de lutte contre la traite des êtres humains. Une occasion pour dresser le bilan des efforts fournis par le Maroc afin d'éradiquer ce fléau. Début juillet, le Département d'Etat américain a publié son rapport annuel sur la traite des êtres humains au titre de l'année 2024, qui a salué les efforts croissants du Maroc dans la lutte contre ce crime, lui permettant de maintenir son positionnement dans la catégorie dite « 2 ». Celle-ci implique que l'Etat intensifie les initiatives pour lutter contre ce phénomène, qui constitue une grave violation des principes fondamentaux relatifs à la protection des droits de l'Homme. En témoignent l'augmentation du nombre de poursuites judiciaires et de condamnations, la publication du guide d'identification des victimes de la traite des êtres humains et la mise en place d'un numéro vert pour signaler d'éventuels cas de traite des êtres humains, ainsi que la coordination avec les organisations non gouvernementales et internationales pour créer des centres d'hébergement provisoires et d'urgence en faveur des victimes. A cela s'ajoute l'adoption du plan national 2023-2030 de lutte et de prévention de la traite des êtres humains, du mécanisme national de renvoi pour les victimes de traite des êtres humains et du plan d'action stratégique national de mise en œuvre (2023-2026).
Cette démarche intervient aussi en réponse aux engagements du Royaume en matière de lutte et de prévention contre la traite des êtres humains conformément aux instruments et normes internationaux, ainsi qu'aux législations nationales y afférentes. Par ailleurs, l'adoption du mécanisme national de renvoi pour les victimes de traite des êtres humains, à l'instar des pays pionniers dans ce domaine et conformément aux normes internationales ayant trait à la protection des victimes et à la préservation de leur dignité, constitue l'un des chantiers soutenant le système national de lutte et de prévention contre la traite des êtres humains. Ce mécanisme, dont la coordination est assurée par la Commission nationale à travers son secrétariat permanent au ministère de la Justice, vise la réglementation et la définition des moyens de coordination des efforts en matière d'application des procédures et mesures de protection et d'assistance des victimes de traite des êtres humains. Il permet aussi de définir les moyens réglementaires et procéduraux garantissant la détection précoce des victimes, leur identification et leur orientation vers les services en mesure de leur porter assistance et de les protéger dans le cadre d'une approche intégrée associant l'ensemble des intervenants et des acteurs institutionnels, en partenariat avec les composantes de la société civile active dans le domaine.
Challenges 4.0 !
La technologie a changé la manière dont les gens entretiennent des relations et cela se répercute sur la criminalité, y compris la traite des êtres humains. Il s'agit d'un changement structurel auquel les autorités et les systèmes de justice pénale doivent s'adapter. Lors d'une journée de communication organisée, jeudi dernier, à Rabat à l'occasion de la Journée mondiale de lutte contre la traite des êtres humains et de la campagne « Cœur bleu » de l'ONU, le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, a déclaré que la traite des êtres humains fait partie des crimes qui se propagent en fonction du développement continu des nouvelles technologies, telles que les réseaux sociaux et l'IA.
En effet, la technologie peut intervenir pendant la phase de recrutement en facilitant l'identification et la localisation des victimes potentielles, ainsi que la prise de contact. Différents mécanismes entrent en jeu selon la forme d'exploitation. Les plateformes digitales facilitent aussi la commercialisation des services sexuels fournis par les victimes de la traite. Plusieurs pays font mention de sites internet utilisés pour proposer des services sexuels. Parmi les annonces figurent des services fournis par des victimes de la traite. Les nouvelles tendances relevées par les autorités en matière d'exploitation sexuelle englobent l'essor des « webcams en direct » et des applications de chat vidéo « prépayées », et le recours croissant à des applications pour contrôler les victimes. « Les trafiquants d'êtres humains disposent de moyens financiers et logistiques inimaginables », a ajouté le ministre, mettant l'accent sur la nécessité de redoubler de vigilance, de gérer de manière intelligente ce crime et d'établir un cadre juridique à même de contribuer à lutter contre ce fléau, en particulier parmi les enfants. Dans ce sens, il a noté que son département travaille sur les mécanismes juridiques dédiés aux délits de traite des êtres humains, conforment au caractère évolutif de ce crime. Ceci dit, un grand travail de collecte de données doit être fourni par le Royaume, notamment la Commission nationale chargée de la coordination des mesures de lutte et de prévention contre la traite des êtres humains. Ce travail de statistique s'impose puisqu'il permet de donner une idée plus claire aux institutions, mais surtout aux citoyens, sur le lieu de recrutement ou d'exploitation, les typologies de traite, le type de moyen utilisé ou les motifs du trafiquant. Ces données sont ensuite mises en relation avec diverses variables sociales, culturelles, économiques et environnementales, permettant une prévention plus efficace.
3 questions à Mohamed Ben Dakak « Il faut instaurer des bureaux spéciaux dans les différents tribunaux » * Comment analysez-vous les efforts du Maroc en matière de lutte contre la traite des êtres humains ? - Le Maroc est considéré parmi les premiers pays à avoir adhéré sérieusement à la lutte contre la traite des êtres humains. Ceci se traduit, entre autres, par la promulgation de la loi 27-14 qui a complété le code pénal et la procédure pénale. Cette loi contient des dispositions spéciales qui déterminent et répriment ces infractions, accompagnées de procédures efficaces et fiables. De surcroît, l'article 6 de cette loi a créé une commission qui dépend directement du chef du gouvernement, nommée la « Commission nationale chargée de la coordination et de la prévention de la traite des êtres humains ». Les attributions de cette commission sont détaillées dans l'article 7 de ladite loi.
* Que doit-on encore faire pour renforcer la lutte contre ce phénomène ? - Il est évident que le Maroc a mis en place un arsenal juridique et une institution étatique pour combattre ce fléau. Cependant, on constate que l'objectif requis est loin d'être atteint. C'est pourquoi il faut accompagner ces mesures par des actions parallèles. L'administration doit coordonner étroitement avec la société civile, qu'elle soit locale ou internationale. Ainsi, il faut créer des brigades spéciales dans les différents départements de la police judiciaire et instaurer des bureaux spéciaux auprès du parquet dans les différents tribunaux. Il ne faut pas non plus oublier la sensibilisation des citoyens par tous les moyens.
* Quel est le rôle de la coopération internationale pour faire face à la traite des êtres humains ? - La coopération internationale est la clé pour combattre ce fléau, surtout en matière d'immigration, qui est considérée comme une cause principale de ce délit. En effet, le Maroc doit créer une cellule de coordination à l'échelon international. Une hotline entre les différents départements doit être instaurée par le biais d'une seule institution, qui sera le seul interlocuteur de chaque pays. Cette institution doit comporter des représentants de la Sûreté nationale, de la Gendarmerie, de la société civile, etc. Cette mesure doit impliquer une coordination étroite, efficace et surtout rapide, afin de combattre ce fléau. Par ailleurs, il faut encourager les échanges d'expériences entre les pays, surtout dans le domaine de la formation des différents intervenants, qu'ils soient étatiques (police judiciaire, juges) ou issus de la société civile. En chiffres : Des données relativement inquiétantes Entre 2017 et 2020, pas moins de 723 personnes ont été inculpées pour traite d'êtres humains, selon le premier rapport de la Commission nationale chargée de la coordination des mesures de lutte et de prévention contre la traite des êtres humains. Le nombre de cas recensés de traite des êtres humains a augmenté de plus de 200% en 2018 et de 96% en 2019. Cette augmentation est due aux efforts déployés visant à faire connaître ce crime et à démanteler ses réseaux actifs. Au total, entre 2017 et 2020, les services ont recensé 496 adultes, 89 mineurs, 97 étrangers et 200 femmes inculpés. Le nombre de victimes de traite des êtres humains a connu une augmentation considérable au cours des dernières années, entre victimes potentielles et victimes de traite des êtres humains. Leur nombre total a avoisiné les 719 victimes, en majorité des adultes marocains. Le nombre de victimes parmi les mineurs garçons et filles reste élevé et a atteint durant les trois dernières années le taux de 47,41% du total des victimes. Projet JTIP : Vers la réintégration des victimes En mai dernier, l'Ambassade des Etats-Unis à Rabat a annoncé le lancement officiel du projet JTIP sur « la protection et la réintégration des victimes de la traite des êtres humains » en partenariat entre le Comité national de coordination des actions de lutte et de prévention de la traite des êtres humains (CNCLT), l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) et l'Organisation internationale du travail (OIT), avec l'appui financier du Département d'Etat américain – Office to Monitor and Combat Trafficking in Persons (OTIP). Ce programme permettra de fournir des services d'assistance directe, des abris temporaires et urgents pour les victimes de la traite des êtres humains et leur réinsertion socio-professionnelle, grâce à des accords de partenariat avec des acteurs de la société civile, ainsi que des programmes de retour volontaire et de réinsertion, tout en renforçant l'accent mis sur l'assistance juridique et judiciaire pour les victimes. Au cours des phases de mise en œuvre du programme, l'accent sera mis sur les activités de renforcement des capacités ainsi que sur l'intégration socio-économique par la reconnaissance de l'expérience acquise, l'amélioration des compétences et le développement de projets sociaux. Il est également à souligner que le Département d'Etat américain a accordé au Système des Nations Unies pour le Développement une subvention de 2,5 millions de dollars pour lutter contre la traite des personnes au Maroc.