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Interview avec Karim Akachar : « L'ascension du Tserko Peak demande une autonomie totale »
Publié dans L'opinion le 24 - 06 - 2024

Karim Akachar est un alpiniste marocain vivant en France, dont la passion pour la montagne l'a conduit aux quatre coins du monde. Récemment, il a réalisé l'exploit de gravir le Tserko Peak, en style alpin. Il nous partage les motivations, les défis et les émotions qui ont accompagné cette aventure. Explications.
- Le 2 mai dernier, vous avez gravi le Tserko Peak et ses 5.749 mètres. Qu'est-ce qui a motivé le choix de ce sommet précisément ?
- L'ascension du Tserko Peak était une aventure que je rêvais de réaliser depuis longtemps. Ce sommet est situé dans la région du Langtang au Népal, une zone qui, bien que moins fréquentée que l'Everest et l'Annapurna, offre des paysages époustouflants et une riche culture locale. Ce qui m'a particulièrement attiré vers le Tserko Peak, c'est le défi qu'il représente en style alpin. Contrairement à d'autres sommets plus populaires, le cas de Tserko Peak demande une autonomie totale, ce qui signifie que je devais être entièrement autosuffisant, tant en termes d'équipement que de préparation physique et mentale.
La montée de ce sommet est un hommage à la beauté et à la résilience de la région du Langtang, durement touchée par un tremblement de terre en 2015. En grimpant le Tserko Peak, je souhaitais également mettre en lumière cette région et encourager d'autres passionnés de montagne à découvrir ses merveilles tout en contribuant à son développement économique par le tourisme responsable.
- C'est un exploit pour ce sommet rarement atteint par les alpinistes. Où réside justement sa difficulté ?
- La difficulté du Tserko Peak réside dans plusieurs aspects. Tout d'abord, c'est un sommet pas du tout fréquenté, ce qui signifie qu'il n'y a pas de ressources et de refuges disponibles pour aider les alpinistes. La route vers le site n'est pas du tout tracée, ni balisée, comparée à des endroits plus populaires comme l'Everest ou l'Annapurna.
Pour info, si vous gravissez l'Everest, vous suivez une corde avec une poignée d'ascension presque tout le long.... A l'inverse du style alpin, qui implique une navigation plus complexe et une nécessité de bien connaître les techniques d'orientation et d'alpinisme en haute montagne.
Ensuite, l'ascension en style alpin ajoute un niveau de difficulté supplémentaire.
Cela signifie que j'ai gravi le sommet, avec mon binôme népalais Tulsi Gurung, sans utiliser d'assistance extérieure. Cela demande une excellente condition physique, une préparation minutieuse et une capacité à prendre des décisions cruciales en autonomie totale durant l'ascension finale.
- Comment vous y êtes-vous préparé ?
- La préparation pour l'ascension du Tserko Peak a été un processus long et rigoureux. J'ai commencé par intensifier mes entraînements dans les Vosges et les Alpes, deux régions que je fréquente régulièrement pour m'entraîner. Les Vosges, avec leurs terrains variés et leurs conditions météorologiques changeantes en hiver, m'ont permis de renforcer ma résistance au froid et mon endurance.
J'y ai effectué de nombreuses ascensions en solo, ce qui m'a aidé à affiner mes compétences en orientation et en gestion autonome des situations d'urgence. Les Alpes ont été un terrain d'entraînement idéal pour la haute montagne. J'ai gravi plusieurs petits sommets emblématiques, pour simuler les défis que je rencontrerais au Népal.
Chaque ascension dans les Alpes m'a permis de tester et d'améliorer mon équipement, ainsi que de m'habituer à des altitudes élevées et à des conditions météorologiques extrêmes. Les itinéraires techniques et exigeants des Alpes m'ont également aidé à perfectionner mes compétences en escalade et en techniques de sécurité.
- Parlez-nous du déroulement de cette aventure ?
- L'aventure a commencé bien avant mon arrivée au Népal. Après des mois de préparation intense, je me suis envolé pour Katmandou avec une grande excitation et un peu d'appréhension. De là, j'ai pris la route vers la région du Langtang, un voyage qui a été une aventure en soi, traversant des paysages époustouflants et des villages accueillants.
Une fois arrivé au dernier village à Kyanjin Gompa, j'ai pris quelques jours pour m'acclimater à l'altitude et finaliser les préparatifs. J'ai quitté Kyanjin Gompa tôt le matin, avec pour objectif de rejoindre le premier camp de base du Tserko Peak à 4500 mètres d'altitude avant la nuit. La montée vers le camp de base a été une expérience incroyable, avec des vues à couper le souffle sur les montagnes environnantes.
Le lendemain matin, j'ai continué à marcher vers le second camp de base situé à environ 5100 mètres d'altitude pour y passer plusieurs jours car les conditions météorologiques étaient très mauvaises.
Une fois la fenêtre météo validée, j'ai commencé l'ascension vers le sommet. La montée a été techniquement exigeante, avec des passages de glace et de neige nécessitant l'utilisation de crampons et de piolets. Les conditions météorologiques étaient relativement clémentes au début, mais elles se sont rapidement dégradées avec de forts vents, rendant la progression plus difficile. À mesure que je montais, l'altitude se faisait sentir, chaque pas demandant un effort considérable.
Après plusieurs heures d'ascension intense, j'ai enfin atteint le sommet du Tserko Peak avec mon binôme népalais Tulsi. La vue depuis le sommet était absolument époustouflante, un panorama à 360 degrés sur les montagnes du Langtang.
C'était un moment de pure joie et d'accomplissement, récompensant tous les efforts et les défis rencontrés en cours de route. J'ai pris un moment pour savourer cet instant avant de commencer la descente, conscient que la prudence restait de mise jusqu'à mon retour au camp de base. La descente a été tout aussi exigeante, nécessitant une vigilance constante pour éviter les glissades, gérer la fatigue accumulée et éviter les nombreuses crevasses...
- Les conditions climatiques étaient-elles favorables ?
- Non, au début, les conditions climatiques étaient loin d'être favorables. Dès les premiers jours, j'ai dû faire face à de fortes tempêtes et des vents violents qui rendaient toute progression extrêmement difficile. La visibilité était souvent nulle, me forçant à passer plusieurs nuits dans des camps de base improvisés en attendant une amélioration des conditions. Les journées étaient marquées par l'incertitude, et nous avons même envisagé d'abandonner l'ascension à cause du mauvais temps persistant.
Cependant, après plusieurs jours d'attente et de patience, une fenêtre météo s'est enfin ouverte. Les prévisions annonçaient une courte période de beau temps, et nous avons décidé de saisir cette opportunité. La décision n'était pas facile à prendre, car les conditions peuvent changer rapidement en haute montagne, mais nous étions prêts à tenter notre chance.
À partir de ce moment-là, tout s'est aligné parfaitement. Le ciel s'est dégagé, le vent s'est calmé, et nous avons été récompensés par un temps magnifique alors que nous nous approchions du sommet. La vue depuis le sommet était spectaculaire, avec un ciel clair et une visibilité parfaite.
C'était un contraste saisissant par rapport aux jours précédents de tempête, et cela a rendu l'accomplissement encore plus gratifiant.
Ces conditions climatiques difficiles ont ajouté une dimension supplémentaire à l'aventure. Elles ont testé notre résilience et notre détermination, et au final, elles ont rendu le succès au sommet du Tserko Peak encore plus mémorable.
- Quand vous êtes sur les sommets des montagnes, quelles sont vos impressions ?
- Lorsque j'atteins le sommet d'une montagne, un mélange puissant d'émotions m'envahit. La première est souvent un sentiment d'accomplissement immense. Après des heures, voire des jours d'efforts intenses, de défis physiques et mentaux, se tenir au sommet procure une satisfaction indescriptible.
Chaque sommet atteint est la récompense de la persévérance, de la préparation et du dépassement de soi. Il y a aussi un sentiment profond d'humilité. Face à l'immensité des montagnes et de la nature environnante, je me sens petit, conscient de ma place dans ce vaste monde. Les montagnes ont une manière unique de nous rappeler notre vulnérabilité et notre fragilité, et cette prise de conscience inspire respect et gratitude.
Porter le drapeau du Maroc au sommet ajoute une dimension supplémentaire à ces émotions. En arborant notre drapeau, je ressens une grande fierté. C'est une manière de représenter mon pays et de partager cet accomplissement avec tous ceux qui m'ont soutenu. C'est un hommage à mes racines et un symbole de ce que nous, en tant que Marocains, pouvons réaliser.
C'est un moment de connexion avec mon pays, même à des milliers de kilomètres de là, et un moyen de célébrer notre culture et notre esprit d'aventure.Il y a également une profonde sérénité et une paix intérieure. Les sommets des montagnes offrent des vues à couper le souffle, des panoramas à 360 degrés qui captivent et inspirent. Dans ces moments, tout semble se mettre en perspective.
Les soucis et les stress de la vie quotidienne s'effacent, remplacés par une clarté mentale et une appréciation de la beauté du monde naturel.
Ces impressions, cette fierté et cette humilité font de chaque ascension une expérience profondément enrichissante et transformatrice. Elles me motivent à continuer à explorer, à grimper et à découvrir de nouveaux sommets.
- Quelles sont vos ambitions futures ?
- Mes ambitions en tant qu'alpiniste sont multiples et guidées par une passion constante pour l'exploration et l'innovation. Sur le plan personnel, je vise à atteindre d'autres sommets encore plus rares, souvent grimpés en solo ou même rarement, voire jamais, gravis. Ces défis uniques et isolés offrent non seulement des aventures extraordinaires, mais ils permettent aussi de repousser les limites de ce que l'on pense possible en alpinisme.
En parallèle, j'ai un projet qui me tient particulièrement à cœur : développer la pratique de l'alpinisme au Maroc. Mon objectif est de mieux faire connaître cette discipline aux Marocaines et aux Marocains, en mettant en avant les incroyables possibilités qu'offre notre pays en matière d'aventure et de montagne. Le Maroc possède des montagnes magnifiques et des terrains diversifiés qui sont idéaux pour l'alpinisme, et je souhaite encourager plus de personnes à explorer et à apprécier cette richesse naturelle.
Pour réaliser ce projet, je travaille sur plusieurs initiatives, notamment l'organisation de stages et d'ateliers d'alpinisme, la promotion de la sécurité en montagne et la création de partenariats avec des associations locales et internationales. En tant que guide bénévole pour l'association Outwild, je suis convaincu que l'alpinisme peut avoir un impact positif sur les jeunes en leur offrant des opportunités de développement personnel, de dépassement de soi et de connexion avec la nature.


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