Lorsqu'une nouvelle menace apparaît, c'est le devoir de tous les responsables publics de prendre des mesures, même si rien de raisonnable ne peut être fait. S'ils ne montrent pas qu'ils tentent de résoudre le problème, les médias s'en prennent sévèrement à eux. D'où la réaction vigoureuse du gouvernement américain à la suite de l'arrestation récente du terroriste au «slip-bombe». Umar Farouk Abdulmutallab vient du Nigéria et il est musulman. Le gouvernement américain a donc décrété que tous les passagers arrivant aux États-Unis en provenance du Nigéria, du Pakistan, de la Syrie, de l'Iran, du Soudan, du Yémen et de sept autres pays musulmans, ou partiellement musulmans, seront soumis à des contrôles de sécurité supplémentaires à l'aéroport. Ils seront fouillés manuellement et leurs bagages à main seront ouverts et vérifiés. Voilà qui règle le problème. Il ne devrait plus y avoir de sous-vêtements renfermant des explosifs. Mais voilà: Abdulmutallab portait son «slip-bombe» comme un vêtement. Quel intérêt, par conséquent, de fouiller manuellement les bagages cabine? En outre, même en tâtant l'homme de haut en bas, rien ne dit qu'on aurait trouvé le sous-vêtement incriminé. Par ailleurs, la liste des pays concernés par ces nouvelles mesures est bien curieuse. Si Cuba en fait partie, c'est sans doute par volonté d'inclure au moins un pays non musulman -alors que le gouvernement cubain n'a jamais soutenu le terrorisme anti-américain. (C'était plutôt le contraire, en fait, même si cela s'est produit il y a un certain temps.) Plus frappant encore: l'absence de la Grande-Bretagne, de la France et des Pays-Bas de la liste des pays dont les ressortissants doivent subir des contrôles poussés avant d'entrer aux États-Unis. La Grande-Bretagne, c'est là où vivait Richard Reid, l'homme qui a tenté sans succès de faire sauter un avion qui reliait la France aux États-Unis (avec des explosifs dissimulés dans ses chaussures). Le groupe arrêté par police alors qu'il se préparait à introduire des bombes aérosol contenant des explosifs liquides à bord d'appareils à destination des États-Unis était britannique. Abdulmutallab, quant à lui, est passé par les contrôles de sécurité de l'aéroport de Schiphol (Pays-Bas) pour aller à Detroit. Pourquoi ces pays sont-ils exemptés de ces contrôles? C'est vraisemblablement parce que le nombre de voyageurs en provenance de ces pays est trop important. Ce nombre pourrait baisser drastiquement si on autorisait le «profiling» (établissement de profil psychologique). Car les auteurs d'attentats suicides de pays non musulmans qui attaquent les États-Unis ne sont pas vraiment nombreux. Cependant, même le «profiling» de pays entiers qui entraînerait des fouilles ciblées a suscité les vives protestations de Nawar Shora, membre du Comité arabo-américain anti-discrimination: «C'est [une mesure] extrême et très dangereuse. On colle tout de suite des étiquettes aux gens et on les associe au terrorisme simplement à cause de leur pays d'origine». Quant au profiling individuel, on ne peut absolument pas s'aventurer sur ce terrain-là: il faut aussi fouiller tous les nigérians chrétiens (la moitié de la population du Nigéria). Pour chaque musulman qu'on décide de contrôler plus en profondeur, il faudrait aussi en faire autant avec une vieille dame non musulmane. Je donne sûrement l'impression de me lancer dans une diatribe. En fait, je ne réclame pas des contrôles de sécurité plus rigoureux. Je suis favorable à une «sécurité» moindre dans les aéroports et, en contrepartie, à un contrôle poussé en amont, avant que les terroristes potentiels ne s'enregistrent au comptoir. Mis à part Richard Reid et Umar Farouk Abdulmutallab, la totalité des tentatives d'attentats à la bombe contre des avions de ligne à destination des États-Unis ont été déjouées par les services de renseignement. Pas par les centaines de milliers d'agents de «sécurité» sous-payés, chargés d'effectuer des contrôles devant les portes d'embarquement. Qui plus est, ils n'ont pris ni Reid ni Abdulmutallab. Quelles conclusions pouvons-nous en tirer ? Il faut en conclure que des «renforcements» supplémentaires de la sécurité dans les aéroports sont une perte totale de temps et d'argent. Bien sûr, on doit continuer d'appliquer les contrôles de sécurité de base visant à empêcher les passagers d'emporter des armes dans les avions. Il ne faut pas être reconnaissant envers les politiciens qui se plient aux désidératas ineptes des médias. Et il faut accepter que rien n'est parfait et se rappeler qu'on a toujours cinquante fois plus de risques de mourir dans un accident de la route que dans un accident d'avion qu'il soit dû à une erreur humaine, à une défaillance technique ou à un «slip-bombe». L'autre solution consiste à tenter de combler toutes les lacunes. Or la lacune évidente de la sécurité aéroportuaire est l'absence de détection des bombes anales. Le premier kamikaze portant un explosif dans son rectum a déjà sévi (quoique pas dans un avion). Il y a quatre mois, un militant proche d'Al-Qaïda a réussi à déjouer tous les contrôles et s'est fait exploser en présence du prince Mohammed Ben Nayef, vice-ministre saoudien de l'Intérieur. Le détonateur avait vraisemblablement été activé à distance, mais le passager d'un avion de ligne pourrait simplement aller aux toilettes et se faire exploser. Si Abdulmutallab avait embarqué sur le vol à destination de Detroit avec un engin explosif caché dans son corps et non cousu dans son slip, comment la sécurité aurait-elle pu le détecter? Seule la méthode classique des gardiens de prison, consacrée par le temps, le permettrait: il s'agit de la fouille des cavités corporelles. On pourrait évidemment faire cela dans les aéroports. Il faudrait engager cinq ou six fois plus de vigiles et agrandir considérablement les espaces de fouille pour pouvoir offrir aux passagers un minimum d'intimité. Mais si nous étions vraiment résolus à éliminer toutes les menaces aériennes, nous pourrions faire des recherches dans toutes les cavités suspectes du corps. Madame/Monsieur, voulez-vous vous pencher en avant s'il vous plaît Pourtant, personne ne préconise l'application de cette politique. Et ce n'est pas par crainte d'une pénurie de gants en latex La psychose de la sécurité aéroportuaire est essentiellement symbolique. Si on commençait à vérifier le contenu des cavités du corps humain, cela déstabiliserait davantage les gens au lieu de les rassurer. Dans ce cas, donc, le bon sens l'emporte sur la «sécurité». Cela devrait être le cas plus souvent ! ------------------------- (*) Journaliste indépendant vivant à Londres Le dernier livre de Gwynne Dyer, Alerte changement climatique: la menace de guerre (Climate Wars), est récemment paru en France aux Éditions Robert Laffont.