L'Institut National des Sciences du l'Archéologie et du Patrimoine (INSAP) est en phase de restructuration et prévoit la création de plusieurs laboratoires. Durant cet entretien, Ahmed Bouzougar, directeur dudit établissement, explique les actions entreprises par son institution afin d'assurer le bon fonctionnement de ses laboratoires et organiser la recherche dans le domaine de l'archéologie. * L'INSAP est en cours de restructuration. Quelles sont les principales facettes de cette restructuration et quel est l'objectif final que l'institut cherche à atteindre ?
Dans un effort collectif, avec le ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication et l'accompagnement du ministère de l'Enseignement Supérieur, de la Recherche Scientifique et de l'Innovation, l'INSAP a pu reformer profondément le cycle fondamental. Lequel offre des formations professionnalisantes concernant la muséologie et la médiation culturelle, la gestion des sites et des monuments historiques et, pour la première fois au Maroc, un parcours sur le patrimoine culturel subaquatique. A cet effet, le cycle du Master, à travers deux filières, permet aux étudiantes et aux étudiants de se spécialiser en archéologie, en anthropologie ou plus encore en muséologie et métiers du patrimoine. Dans ce sens, le Maroc regorge de sites archéologiques très riches en expressions du patrimoine culturel immatériel tandis que le secteur des musées est en plein développement grâce à la Fondation Nationale des Musées. L'INSAP, pour sa part, accompagne cette dynamique par une formation de qualité et accorde également une grande importance à la recherche. Nous sommes ravis de voir que le nombre de sites archéologiques fouillés par des équipes marocaines se multiplie. C'est le cas, par exemple, des nouvelles fouilles sur le site de Chellah à l'extérieur de la muraille mérinide, et qui ont mis en évidence de nouvelles parties de la ville maurétano-romaine. L'INSAP a commencé, également, à investir davantage dans les nouvelles technologies afin de mener des recherches avec les moyens modernes et selon les standards internationaux. Une telle expertise est mise à la disposition des jeunes de notre continent. Cette année, l'INSAP a reçu cinq étudiants de Djibouti et de la Guinée Conakry. L'objectif recherché est de devenir un Institut incontournable en Afrique et de mettre son expérience en matière de l'enseignement et de la recherche au service du patrimoine culturel marocain avec une grande ouverture sur notre continent. Le département de tutelle a mis en place les moyens nécessaires pour restructurer l'INSAP, à commencer par le bâtiment, dont l'appel d'offres est ouvert, il y a quelques jours (le 20 février 2024), pour le rénover et construire de nouveaux espaces dont une bibliothèque, une salle de conférences et plusieurs laboratoires. La restructuration a également impliqué les ressources humaines. Encore une fois, le département de tutelle a permis à l'INSAP d'avoir de nouveaux professeurs, jeunes et compétents, du personnel qui sera affecté aux laboratoires ainsi que d'autres qui aident dans l'informatisation de notre administration et dans la gestion des moyens techniques.
* Votre établissement va ainsi se doter de deux laboratoires scientifiques. Quelle est la particularité de ces centres et quelles missions assureront-ils exactement ? L'INSAP va se doter de plusieurs laboratoires dont deux qui concernent les datations et l'ADN fossile. Les trouvailles archéologiques, et parfois ethnographiques, ont besoin d'être placées dans le temps. Ce dernier peut être calculé d'une manière relative en se basant sur l'identification des types ou des formes des trouvailles ou d'une manière plus précise au laboratoire grâce à différentes techniques. Nous sommes dans la phase de créer un laboratoire qui utilise la technique de la luminescence grâce à la collaboration avec l'Université Sidi Mohammed Ben Abdellah à Fès et l'appui technique de la Gendarmerie Royale. Celle-ci a mis à la disposition de l'INSAP un chercheur qui va travailler en étroite collaboration avec deux chercheurs de notre Institut. L'établissement compte également mettre en place un laboratoire de datation par la spectrométrie de masse par accélérateur (carbone 14). Le nouveau bâtiment de l'INSAP va également abriter un laboratoire de biologie moléculaire spécialisé en ADN fossile, car les nouvelles trouvailles de fossiles humains comme ceux de Jbel Irhoud ou de Tafoghalt nécessitent de séquencer leur génome. Il est souvent difficile de le faire pour des fossiles très anciens, mais pour d'autres qui datent de quelques milliers d'années, la technique est maintenant disponible et se développe de plus en plus. Pour ce laboratoire, la Gendarmerie Royale nous accompagne encore une fois en mettant à notre disposition un chercheur généticien.
* L'ouverture de ces laboratoires est prévue pour quand exactement ? Le laboratoire des datations sera mis en place très prochainement, il est question de quelques semaines. En revanche, pour celui de l'ADN fossile, il sera opérationnel dès la fin de la restructuration du bâtiment de l'INSAP. Je rappelle que l'appel d'offres a été publié le 20 février 2024.
* Comment ce projet bénéficiera-t-il aux étudiants et chercheurs qui poursuivent leur formation à l'INSAP ? La particularité des sciences de l'archéologie et du patrimoine, comme d'autres disciplines, c'est que la recherche est également réalisée aux laboratoires. Les chercheurs à l'INSAP auront la possibilité d'effectuer au Maroc des analyses techniques et scientifiques qui nécessitent maintenant des déplacements à l'étranger ou de travailler en collaboration avec des équipes étrangères. Une partie de la formation des étudiants, et surtout des doctorants, se fait par de la recherche et ces laboratoires vont leur permettre de mener des recherches de qualité avec des moyens modernes.
* La création de ces laboratoires intervient dans un contexte où le Maroc assiste à une accumulation importante de découvertes archéologiques. Quel rôle joueront-ils dans l'approfondissement de la recherche archéologique et patrimoniale au Maroc ? Grâce aux dernières découvertes archéologiques, le Maroc cumule les superlatifs. Il est devenu la terre du plus ancien représentant d'Homo sapiens à Jbel Irhoud et daté de 315 mille ans, des plus anciens objets de parure au monde à Essaouira, datés de 150 mille ans, des plus anciennes traces de sédentarisation et du plus ancien ADN fossile en Afrique à Tafoghalt, datés de 15 mille ans. Ce sont quelques exemples et qui prouvent que le Maroc contribue actuellement à mieux connaître une partie de l'Histoire de l'humanité.
* Comment s'articule votre action avec celle des nouveaux laboratoires ?
Le travail mené actuellement par les différentes équipes de l'INSAP va grandement bénéficier de ces laboratoires. Nous voyons ces derniers comme un complément nécessaire et très utile au travail de terrain.
* Quels sont les leviers que vous avez à votre disposition pour soutenir la mise en œuvre des missions desdits laboratoires ?
Il y en a plusieurs et je peux citer trois : une expérience de 38 ans de l'INSAP, l'enthousiasme du personnel et surtout de la nouvelle génération d'archéologues et d'anthropologues ainsi que le grand appui du département de tutelle. Je peux aussi ajouter l'ouverture sur notre continent pour une coopération Afrique-Afrique en matière des sciences de l'archéologie et du patrimoine.
* Qu'en est-il des ressources humaines nécessaires pour ces laboratoires ?
Le département de tutelle, le ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, nous accompagne non seulement en ce qui concerne l'appui matériel, mais aussi en ressources humaines. Pour l'exercice 2023, il nous a permis de recruter de nouveaux jeunes professeurs et du personnel qui va appuyer l'administration et surtout les laboratoires de l'INSAP. La Gendarmerie Royale a également mis à notre disposition deux chercheurs spécialistes des datations et de la génétique pour la mise en place de deux laboratoires dédiés à ces deux disciplines.
* Comment percevez-vous l'évolution de la recherche dans le domaine de l'archéologie et du patrimoine ? La recherche dans le domaine de l'archéologie n'est plus menée exclusivement par l'INSAP. Je constate, avec une grande satisfaction, la mise en place de formations axées sur l'archéologie dans différentes universités du Royaume. Ceci va permettre de mener, par la suite, des recherches qui vont couvrir l'ensemble du territoire national. Actuellement, nous travaillons à l'INSAP pour monter davantage de projets dans des zones qui ne sont que très peu explorées, en s'appuyant sur nos propres moyens mais aussi en collaboration avec les universités marocaines. L'archéologie est l'un des moyens et pas le seul pour travailler sur le patrimoine culturel marocain. La préservation de ce dernier passe nécessairement par la connaissance scientifique, une source génératrice d'emplois.