Pourquoi les artistes reviennent-ils vers leurs lieux de naissance ? Ont-ils une mémoire d'éléphant qui les conditionne à ce comportement ? » C'est en formulant cette interrogation que monsieur Mostafa Hachlaf s'est adressé ce 24 Novembre 2009 à l'artiste peintre Jdidi ANDRE EL BAZ, lors de la conférence que ce dernier a donnée à la Faculté des lettres d'El-Jadida sous le thème : « DE LA FIGURATION A LA DECHIRURE » , et animée par Pr AZIZ DAKI et Pr Abderrahmane AJBOUR, et à si Mostafa d'ajouter: «Votre discours reflète conformément la plasticité de votre pensée, tellement il est sincère, il traduit ainsi la profondeur de votre blessure . » Cette blessure ou « déchirure » a fait l'objet d'un temps précieux, marqué par une spontanéité du discours ou du récit à travers lequel André El Baz racontait son itinéraire artistique (ou atypique) avec une sensibilité, forgée dans la douceur des origines, bercée dans l'esthétisme des lumières de l'orient avant d'être basculée, démembrée, et déstructurée, au contact d'un monde qui se bâtit sur la base d'épouvantable terreur. André avait débuté sa conférence en déclarant: « Je ne sais pas écrire et je ne sais pas trop parler, mais je suis un peintre ». Il voulait être comédien mais devint peintre, sans maître sans école, sans conseiller! Il découvre Matisse, Dupy, Braque, Picasso, de Staël, au Musée d'art moderne de Paris puis Goya et Vélasquez au Prado à Madrid. Ce fut la période de la structuration des connaissances artistiques. «Comment vais-je faire pour apprendre l'art? Et comment découvrir le monde artistique? » S'interrogeait-il. « Au métro de Paris, j'ai appris l'anatomie, je dessinais avec mes doigts sur mes jambes les figures des passagers ,des contours, des courbes et des diagonales ,les ombres et les lumières ». Ce furent les années 1955 – 1960 à Paris. Mais après le retour de SM Med V de l'exil, et le tremblement de terre survenu à Agadir, une nouvelle page du livre d'André El Baz s'est ouverte. Sa sensibilité aux malheurs humains l'interpelle . La rencontre de rescapé de camps de la mort à Corfou en 1965 fut un déclic. A l'époque de la guerre (2ème guerre mondiale) rappelle-t-il « j'avais 9 ou 10 ans. Il me semblait n'avoir souffert que d'un manque de chocolat (les vichystes, eux, en avaient en abondance !). Les cris de détresse venus des quatre coins de la planète aiguisent sa sensibilité.André se met à peindre la guerre mondiale, Hiroshima, l'inquisition et les massacres du Rwanda. « La Phase » de la figuration a éclaté après 2001 (Avec les évènements du 11 Septembre). La logique a été poussée jusqu'au bout : la déstruction de son propre œuvre. « C'était quelque part en moi. Je suis né un 26 Avril 1934, et le jour de mon troisième anniversaire alors qu'on me faisait souffler les trois bougies de mon gâteau, les avions nazis soufflaient Guernica… !!! Commentant cette « situation existentielle » le critique d'art Aziz Dakki déclarait :« le monde d'André El Baz est-il réellement vaste. De la figuration à la destruction. Comment peut-on agir sur le monde extérieur ? El Baz a décidé de détruire ses œuvres et les placer « in vitro », dans des bocaux pour recréer une autre forme pour une nouvelle œuvre… C'est un processus de destruction vers une nouvelle construction, ou plutôt une reconstruction. C'est une dialectique entre ce qui est mis en morceaux et ce qui est assemblé par la suite. » Une nouvelle œuvre, puissante, bouleversante et esthétique, née sur la cendre, en ressort. Certains la trouvent trop violente, il n'en est rien quand on connaît la personne d'André El Baz ; calme et serein et imaginatif comme il aime à être désigné, mais qui n'arrive pas à s'arrêter. la violence l'a poussé à un retour, un repli . Elle l'a blessé : « Comment traduire une telle violence ? Je n'avais pas à peindre des cadavres (il décrivait la « situation » de ces individus sautant des TWINS qu'il appelait « les ‘Anges' qui me hantent »). La seule façon de l'exprimer continua-t-il « était de détruire moi-même ». C'est un acte violent, mais pas un acte de violence, c'est l'exécution de l'œuvre .Dans un souci pédagogique il présente la démarche de l'artiste dans une série de court-métrages … 1200 peintures, aquarelles, gouaches et dessins, dont des villes orientales, ont été ainsi méthodiquement réduits en lambeaux puis recomposes dans des urnes. D'autre sont déchirés et incorporés dans la fibre de nouvelles œuvres qui jouent sur les perspectives et les effets d'optique. Le cube devient soudain une image tridimensionnelle, une forme avec une autre direction dans l'espace, et après, ça va de plus en plus vite, ça va d'une forme à l'autre, ce mouvement involontaire s'impose, on ne peut plus le contrôler, on se retrouve pris dedans. Il persiste et déclare que « cette destruction ne relève ni de la morbidité ni de l'impasse. Elle produit le terreau fertile d'une autre forme de création ». « Est-ce une résurrection anthologique ? » s'est interroge Abderrahmane Ajbour, voulant pousser encore André El Baz à nous dire plus sur son exécution. « Je refuse le mensonge, je fais (ou j'en fais) ma révolte » avait répondu ce dernier, en ajoutant « je déchire sans colère, sans haine, je m'en exprime, je dessinais et je dessine encore. C'est mon crayon qui me mène dans une transe, un dialogue s'instaure entre nous.Ma révolte existe et elle me pousse à m'exprimer. Le problème était, Le problème est. J'espère, avec conviction, que la culture fera avancer et changer le monde. L'artiste a fait (et fera encore) son travail. Il s'acquitte honorablement de sa mission. C'est aux autres d'en faire autant et de terminer le reste. » Pour nous, présents dans la salle, se furent des moments arrachés au temps, d'une enfance extraordinaire qu'André El Baz se rappelait, avec sa voix douce et posée, son visage souriant et sa barbe blanchie par sa révolte et son « exécution » : « A El Jadida et à Derb Elhajjar, Rue des menuisiers, j'ai passé mes meilleurs moments, bercé par les muses et la voix du muezzin en haut du minaret de la mosquée à proximité et que je sentais me protéger. Un retour qui valait la peine, et une Ville qui imposait le détour . Le chemin me paraissait long de la Faculté des Lettres de l'Université Chouaib Doukkali vers la cité portugaise. Le temps et les engagements de notre artiste peintre pesaient encore plus. Mais comme nous l'avions annoncé au début, les éléphants retournent toujours vers leurs lieux de naissance. Une délégation attendait le fils d'El-Jadida au sein de la Cité Portugaise , composée de : Mr Med Kouam, Président de l'Université Chouaib Doukali, Mr Hanine Belhaj S.G dudit établissement, Mr Abdelwahed Mabrour, Mr Yahya Boughaleb, Mr Zahidi, respectivement doyen de la faculté des lettres, doyen de la faculté des sciences, directeur de l'ENSA, Mr Azzedine Karra, directeur régional de le Culture, Mr Abdellah Dibaji, artiste peintre jdidi. L'enceinte de la cité abritait une activité de taille : L'exposition nationale des arts plastiques, dont le commissaire est l'artiste peintre Ezzoubir Najeb. Arrivé sur place, un jdidi ,qu'est André El Baz se sentait replongé dans un vrai Univers de souvenirs, bien gardés au fond de sa mémoire ! N'a-t-il pas réclamé, dans un ton humoristique à Azzedine Kara qui lui avait retracé les étapes, ô si longues et lassantes, relatives au processus de la restauration de la cité portugaise : « Rendez moi ma maison !». Il l'avait articulé dans un arabe dialectal très bien pointu !! Devant la porte de la citerne portugaise, Il nous a montré les deux fenêtres se trouvant en haut de la dite citerne et cria « Nous habitions ici ». André (comme il a insisté auprès d'Ajbour d'être appelé) a aussi ajouté, avec respect et reconnaissance, en regardant les plaques commémoratives placées en haut du mur et érigées aux noms de feu Driss Chraïbi et feu Abdelkebir Khatibi : « Ils sont tous les deux grands de cette ville, que de belles choses nous unissent ». Sa femme Françoise avait devant elle, un André, chez lui ! » L'exposition des arts plastiques, œuvres de nationaux, l'a rassuré. Plus de150 œuvres étaient exposées dans un espace de plus de 1000m². Au sein de la galerie Abdelkebir Khatibi (inaugurée à l'occasion de l'exposition), les visiteurs entourant André El Baz, suivaient ses regards attentivement, admiraient ses commentaires artistiques, et parfois humoristiques. Devant l'un de ses tableaux (qu'il redécouvrit par hasard), il m'a semblé entendre sa voix « Mon œuvre n'est pas là pour satisfaire le regard, mais pour nourrir le silence. Je ne passe pas un message particulier. Je témoigne ». Si Mostafa Hachlaf, qui lui avait déclaré « qu'un retour est toujours riche » a saisi l'occasion et a ajouté : Votre témoignage reflète une quête de vérité, de réponses et de solutions. Vous reposez les questions, comme le faisait Feu Abdelkebir Khatibi, pour savoir si elles sont encore valables ! Vous avez repris vos idées en les mettant dans des bocaux ». La visite de l'artiste s'est poursuivie au sein des galeries Chaibia 1 et 2 (cette dernière a été aussi inaugurée à l'occasion de l'exposition). Devant un tableau de A .Jarid, A. El Baz est resté contemplatif et admiratif « J'ai aimé la maîtrise de la technique et le vrai sens de la création, dans ce tableau ». A Abdellah Dibaji, il confia son assurance quant au défi bien mesuré de la nouvelle génération, qui « porte honorablement et avec engagement le flambeau des artistes peintres marocains »a-t-il ajoute. Durant sa récente visite à El-Jadida, André El Baz n'a laissé aucune occasion sans montrer - encore une fois - son amour fort à sa ville natale « Je suis un jdidi doukkali, et je souhaite qu'elle abrite LE MUSEE D'EL JADIDA . Je suis prêt à tout faire pour la réalisation de ce vœux qui m'est si cher et je suis prêt à faire un don de cinquante de mes œuvre pour honorer mon engagement ». Nous conclurons notre reportage avec un témoignage du critique d'art Aziz Daki, à qui revenait l'honneur de ce retour, après celui de 2004. A. Daki avait écrit : « André El Baz a peint des tableaux qui crient l'attachement de leur auteur aux odeurs et aux couleurs de ses terres d'origines ? Dans « El-Jadida ma ville natale », André El Baz proclame la relation possessive qui le lie à sa ville natale. Quelle fierté il y a dans l'usage du pronom possessif MA, Quelle satisfaction éprouve le peintre à designer sienne la ville d'El-Jadida ! ». Cher André, El-Jadida t'appartient et nous ferons ensemble tout ce qui honore cette appartenance…