Réunis à Marrakech, plusieurs Etats du Sahel ont annoncé leur adhésion à l'Initiative Royale concernant l'accès à la façade Atlantique. Prélude d'une relance du commerce intra-africain, qui demeure faible. Décryptage. A Marrakech, à l'hôtel Four Seasons, les ministres des Affaires étrangères du Maroc et des Etats du Sahel se sont donné rendez-vous pour examiner les perspectives de concrétiser l'Initiative Royale destinée à favoriser l'accès des pays du Sahel à l'Océan Atlantique, telle qu'annoncée par le Souverain dans le discours qu'Il a prononcé à l'occasion du 48ème anniversaire de la Marche Verte.
L'enjeu est de taille. D'où l'importance d'une telle réunion qui marque le prélude d'un gigantesque changement géopolitique dans la région. Le Maroc, dans sa volonté de serrer les liens avec son voisinage subsaharien, veut faire de la façade Atlantique, du Sahara aux confins maritimes de l'Afrique de l'Ouest, un espace de prospérité partagée et une zone de négoce florissant.
La réunion n'aurait pu être plus fructueuse ! En témoigne le communiqué final dans lequel des pays importants de la région, à savoir le Mali, le Niger et le Tchad, ont annoncé expressément leur adhésion pleine et entière au projet proposé par le Royaume.
Tout le monde s'estime gagnant
Ces trois pays, des alliés de longue date du Maroc, jugent qu'ils en ont tout à gagner au moment où le Sahel a besoin de regarder vers l'avant et se projeter sur l'avenir pour faire face aux multiples défis sécuritaires et économiques qui s'accumulent au fur et à mesure que le temps passe.
Le texte de la déclaration finale est clair. Les Etats susmentionnés estiment que l'Initiative Royale "offre de grandes opportunités pour la transformation économique de l'ensemble de la région en ce qu'elle contribuera à l'accélération de la connectivité régionale et des flux commerciaux, et à la prospérité partagée dans la région du Sahel".
Pour sa part, le Mali, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, a affirmé "s'y reconnaître parfaitement" et y voit une "manifestation de solidarité" qui va dans le sens de l'intérêt des peuples de la région. "Offrir de l'eau, c'est offrir la vie. Le Maroc a choisi d'offrir la mer à des Etat enclavés. Et pour un Etat comme le Mali, vaste de plus de 1.200.000 km2 et entouré par sept Etats voisins, cette offre représente une opportunité à bien des égards", a-t-il dit éloquemment.
Plus qu'une simple rencontre protocolaire, la réunion de Marrakech a été l'occasion de fixer une sorte de feuille de route en vue d'aboutir à des actions concrètes. A l'issue du Sommet, il a été convenu de créer une Task Force nationale dans chaque pays, à laquelle il incombe de proposer les modalités d'opérationnalisation de l'Initiative Royale. Les propositions devraient être finalisées dans les meilleurs délais pour qu'elles soient soumises ensuite à l'attention des Chefs d'Etat. Booster un commerce interafricain faible
Si le Maroc veut réunir les Etats du Sahel dans une telle initiative si ambitieuse, c'est parce qu'il y voit la réponse adéquate aux défis de la région qui aspire à une intégration tant attendue. Une intégration qui passe, d'abord, par le commerce intra-régional qui demeure très faible. Force est de constater que les échanges intra-africains sont estimés à près de 16% selon les chiffres de la Banque africaine de développement. Idem pour les échanges du Royaume avec le reste des pays africains qui ne dépassent pas 65 milliards de dirhams, d'après les données de 2022 du ministère de l'Industrie et du Commerce, soit une part relativement faible de son commerce extérieur. Il n'en demeure pas moins que le commerce reste en nette évolution puisqu'il est monté en flèche depuis 2001 où il était stagné à 10 milliards de dirhams.
Le Royaume semble accorder une attention particulière à l'Afrique de l'Ouest qui demeure son premier partenaire dans le continent avec une part de 58,2% de ses échanges. Raison pour laquelle on parie sur le commerce maritime pour progresser vers une révolution commerciale. Or, nous ne sommes qu'en début de parcours puisque le Maroc et le reste des pays de la région ont besoin d'une infrastructure maritime digne de ce nom et adaptée pour que le commerce maritime soit fructueux. Le discours Royal à l'occasion de l'anniversaire de la Marche Verte a été clair. Le Souverain a indiqué "qu'il est primordial de mettre à niveau les infrastructures des Etats du Sahel et de les connecter aux réseaux de transport et de communication implantés dans leur environnement régional". Cela dit, il est absolument crucial d'avoir une flotte marchande assez développée pour être en capacité d'établir durablement des routes maritimes. Pour sa part, le Maroc s'est d'ores et déjà lancé dans le défi en envisageant de bâtir une véritable économie de la mer sur la base d'une mise à niveau du littoral du Sahara, dont le port Dakhla Atlantique est le point de départ.
Anass MACHLOUKH
Trois questions à Cheikh Amadou Tidiane Mbaye "Passer par la mer, c'est revenir aux fondamentaux du commerce" * En tant que représentant des milieux d'affaires en Afrique, à quel point l'Initiative Royale vous est bénéfique ? On ne saurait que bien faire. Je pense que l'Initiative Royale est louable. Passer par la mer, à mon avis, c'est revenir aux fondamentaux du commerce, le Maroc est bien placé pour proposer une telle initiative vu le développement extraordinaire des infrastructures portuaires qu'a connu le Royaume ces dernières années et qui se poursuit actuellement. Il est important que tous les pays concernés fassent un effort pour qu'ils soient bien positionnés. Il est impératif d'aller dans ce chemin de développement des infrastructures portuaires parce qu'il s'agit d'un levier majeur pour promouvoir le commerce entre pays africains. * Le commerce intra-africain demeure faible par rapport aux aspirations communes des pays de la région, qu'est-ce qui manque pour déclencher une dynamique irréversible ?
Pour augmenter les échanges, il faut d'abord qu'il y ait une mobilité assez fluide entre les populations et des facteurs de production en général. Là, on se heurte au problème des infrastructures et des corridors. Aussi, les entreprises des pays de la région sont-elles appelées à se doter des moyens de commercer au-delà de leurs frontières avec leur voisinage immédiat. Et là se pose la question du financement. D'où l'urgence d'investir massivement dans les sociétés commerciales. Mais au-delà de ces obstacles, je pense que le fait de développer des zones économiques spéciales, où nos entreprises puissent faire facilement des produits finis, peut aboutir à un commerce plus important.
* Comment l'engagement du Maroc pour l'intégration africaine est-il perçu chez les milieux d'affaires ?
Le Maroc, comme j'ai dit, est bien placé pour plaider pour le développement du commerce maritime en Afrique. Nous avons vu à quel point le Royaume œuvre pour l'intégration africaine. On le voit dans d'autres domaines tels que l'investissement. Le Maroc a fait des efforts remarquables pour investir en Afrique. Je peux en témoigner en tant que Sénégalais, puisqu'on voit comment les banques marocaines ont petit à petit pris la place des banques européennes. Grâce à cette dynamique, il se développe au cœur des marchés africains une nouvelle expertise financière proprement africaine, en l'occurrence marocaine.