Ces deux dernières semaines, les prix des fruits et légumes s'affolent dans les marchés du Royaume. Une énième flambée qui donne un coup de massue au pouvoir d'achat des ménages. Il est 6h du matin, Ismaïl, marchand de fruits et légumes, prépare son triporteur avant de prendre la route pour le marché de gros de fruits et légumes de Casablanca, situé dans l'emblématique quartier de Sidi Othmane. «La semaine dernière, c'était la flambée des prix des légumes, cette semaine, on verra ce qu'il en est», nous souffle ce trentenaire qui surveille les prix des marchés quotidiennement pour décrocher « lhawta » (la bonne affaire). Sauf qu'en arrivant sur place, les premiers prix annoncés ne prêtent pas à l'optimisme. Une caisse de tomates coûte quelque 330 dirhams, soit plus de 10 dirhams le kilogramme au prix de gros. Un prix qui atteint les 15 dirhams aux marchés de proximité. Parallèlement, le coût d'une caisse de pommes de terre a également augmenté à 150 dirhams, soit entre 4 et 5 dirhams le kilogramme, alors que dans les souks les patates coûtent plus de 10 dhs/kg. « Depuis le Ramadan de l'année dernière, les prix sont fluctuants, mais demeurent chers comparés au pouvoir d'achat du Marocain modeste », nous déclare Ismaïl, tout en notant qu'auparavant il prenait jusqu'à cinq caisses de tomates, alors qu'aujourd'hui, il se contente de deux. « Le problème n'est pas d'acheter les caisses, mais de les vendre », nous confie-t-il, expliquant que ses clients achètent ce fruit à l'unité.
Sécheresse, mais pas que... !
« La situation actuelle est préoccupante en raison des pluies tardives, qui s'ajoutent aux températures élevées. Ceci impacte la production de légumes et crée un grand déficit d'offre sur le marché national. D'où la persistance de la hausse des prix », explique Elhoucine Adardour, président de la Fédération interprofessionnelle marocaine de production et d'exportation des fruits et légumes (FIFEL). En effet, outre les quelques gouttes de pluies en novembre et décembre, le Royaume n'a pas connu de précipitations importantes, susceptibles de raviver les cultures. Pis encore, les prévisions météorologiques pour les jours à venir ne prêtent pas à l'optimisme, prévoyant un ciel peu généreux.
En raison du déficit hydrique, de nombreuses exploitations agricoles ont procédé à la réduction de leur production. «On a le choix, soit tout perdre, soit sauver une partie de nos récoltes», nous déclare un fellah dont les terres se trouvent sur les routes des Zaers. Ce dernier nous confie également que le manque de pluie et l'instabilité climatique ont induit vers une baisse de qualité des légumes. « Nous préférons donc produire moins pour avoir une meilleure qualité. Chose qui nous coûte cher », déplore notre agriculteur, notant que ces facteurs se répercutent inévitablement sur le prix final. Dans ce même sillage, la ministre de l'Economie et des Finances, Nadia Fettah, a indiqué, lundi au Parlement, que le gouvernement ne ménage aucun effort pour maintenir les prix à des niveaux modérés, notamment via les subventions destinées aux professionnels des secteurs du transport et de l'agriculture, sans oublier les subventions inscrites dans le cadre de la Caisse de Compensation.
Mais outre les aléas climatiques, les prix des fruits et légumes observés sont également dus à la kilométrique chaîne logistique et commerciale qui, malgré les interventions des différents départements de tutelle, demeure faiblement organisée et dans laquelle les intermédiaires concentrent l'essentiel de la valeur ajoutée, aux dépens des agriculteurs et des consommateurs. Le circuit de commercialisation est bien défini, mais il n'en demeure pas moins que ses maillons sont mal organisés, ce qui induit des hausses de prix démesurées. Le nombre d'intermédiaires par lesquels passent les produits du marché peut aller jusqu'à sept ou huit. A cela s'ajoute le coût du transport des produits agricoles qui a connu une augmentation significative ces derniers temps, passant de 8 dirhams par caisse à 20 dirhams.
Restructuration des marchés
Ceci dit, le gouvernement a lancé un grand chantier de modernisation des marchés de gros, sachant que le Maroc en compte 39 répertoriés au niveau national, répartis sur 32 provinces et préfectures. Une nouvelle génération de marchés qui devrait faciliter le processus d'approvisionnement des vendeurs, tout en réduisant le nombre des intervenants dans la chaîne logistique (producteurs/grossistes). Or, l'influence des intermédiaires-spéculateurs ne semble pas prête à s'estomper, mais surtout ne fait pas l'unanimité selon les acteurs. Dans une précédente sortie médiatique, le ministre de l'Industrie et du Commerce, Ryad Mezzour, a soutenu que le rôle des intermédiaires n'est pas toujours négatif, car ils contribuent à faciliter l'approvisionnement et la disponibilité des produits. Le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) n'est pas du même avis, puisqu'il pointe du doigt « une intermédiation excessive et peu contrôlée, notamment au niveau de l'offre orientée vers les marchés de gros, et qui favorise la spéculation et la multiplication des intervenants ». Une réalité qui, poursuit le CESE, « pénalise le producteur, impacte la qualité des produits en rallongeant les circuits de distribution et, partant, renchérit le prix de vente final au consommateur ».
L'Exécutif mise, par ailleurs, sur la digitalisation des marchés de gros de sorte à améliorer l'efficacité, la transparence et l'interaction entre les acteurs impliqués dans les opérations commerciales. Une expérience pilote a été lancée à Casablanca pour une enveloppe de 4 millions de dirhams, dont la réussite déterminera l'avenir des marchés de gros au Maroc. 3 questions à Elhoucine Adardour " Le coût d'un hectare de tomates s'élève désormais à 70 millions de dirhams " * Comment expliquez-vous la nouvelle hausse des prix des fruits et légumes ? - Le secteur agricole au Maroc fait face à des défis importants, notamment la propagation du virus Tobamovirus, détecté en octobre 2021, causant des problèmes graves, en particulier pour les tomates. Les agriculteurs sont préoccupés par la pourriture qui touche certains produits de base, et la lutte contre ce virus est entravée par des terrains abandonnés depuis plusieurs années. Les températures critiques au début de la saison ajoutent à la difficulté de production, entraînant une accumulation du travail quotidien. La situation actuelle est préoccupante en raison des pluies qui n'arrivent plus à temps, en plus des températures élevées qui impactent la production essentielle de légumes et créent une offre insuffisante sur le marché. Les prêts accordés aux producteurs de légumes de base sont un autre problème, malgré les efforts gouvernementaux, avec seulement environ 10% de soutien spécifique. La crainte est présente parmi les agriculteurs en raison de la propagation du virus, et l'absence de remèdes efficaces suscite des inquiétudes. Bien que des solutions aient été tentées, comme les semences génétiquement modifiées, les défis persistent, mettant en péril la sécurité alimentaire. Les agriculteurs expriment leur inquiétude et appellent à des solutions plus efficaces pour faire face à ces problèmes.
* Comment évaluez-vous les mesures prises par le gouvernement ? - Les efforts déployés par le gouvernement et le ministère de l'Agriculture ont permis d'élaborer une stratégie cette saison en soutenant certaines productions. Il y a un soutien accordé à trois légumes de base, à savoir les tomates, les pommes de terre et les oignons. Cependant, ce soutien représente seulement un pourcentage limité par rapport au coût total d'un hectare de tomates cultivé par un agriculteur, qui s'élève à 70 millions de dirhams. Autrement dit, le soutien ne représente que 10%, équivalant à 7 millions de dirhams. Cette situation crée un risque supplémentaire qui s'ajoute au coût global d'un hectare de tomates en cas de perte. Le montant du soutien actuel, bien qu'appréciable, ne couvre qu'une fraction relativement petite des coûts totaux supportés par les agriculteurs. Cette réalité présente un défi majeur pour ceux qui cultivent des légumes de base, car les risques financiers liés à la production agricole peuvent avoir un impact significatif sur leur rentabilité et leur viabilité à long terme. Il est essentiel de revoir et d'ajuster les niveaux de soutien afin de mieux répondre aux défis économiques auxquels sont confrontés les agriculteurs.
* Votre avis sur l'export de ces produits en ces temps de crise ?
- Nous dominons ce marché et nous devons le maintenir tel qu'il était. Cela nécessite un certain engagement. Ceux qui réussissent le font grâce à leur engagement et non parce qu'ils suivent un programme interne, un programme qui est étranger au marché extérieur et qui représentait initialement 30%, approvisionnant ainsi le marché national. Il y avait des accords avec le ministère de l'Agriculture indiquant qu'il devrait y avoir un équilibre. Cela signifie que les producteurs qui exportent doivent également fournir le marché national. HCP : Une résilience exceptionnelle Malgré des défis persistants, notamment la rareté de l'eau, l'agriculture au Maroc continue de faire preuve d'une résilience exceptionnelle, offrant des perspectives solides pour la saison agricole 2023/2024 et renforçant son rôle crucial dans la croissance économique du pays. Selon le Haut Commissariat au Plan (HCP), ces conditions favorables devraient principalement bénéficier à la production céréalière, estimée à 55,1 millions de quintaux (Mqx), représentant une augmentation significative de 62% par rapport à la campagne précédente. Elles devraient également soutenir le renforcement de la production maraîchère et arboricole, notamment dans les domaines des agrumes, des olives et des dattes. Dans l'ensemble, la valeur ajoutée du secteur agricole devrait connaître une augmentation de 6,7% en 2023, rebondissant après une baisse de 12,9% en 2022. De même, le secteur primaire devrait enregistrer une croissance de 6,6%, se redressant après une contraction notable de 12,7% en 2022, selon les données du HCP. Modernisation des marchés : Un chantier engagé Afin d'améliorer la couverture territoriale et de diminuer l'impact négatif des circuits parallèles sur les prix, le gouvernement a initié le chantier de modernisation des marchés de gros de fruits et légumes. Un projet par lequel l'Exécutif compte remédier à plusieurs problèmes structurels. Actuellement, les 39 marchés existants font face à des défis tels qu'une couverture territoriale déséquilibrée, des infrastructures médiocres, un modèle de gestion obsolète, une hausse des circuits parallèles, et la présence d'acteurs peu bénéfiques à la chaîne de distribution. Le projet, débuté en 2021, vise à réduire le nombre de marchés à 34, tout en améliorant la couverture territoriale, notamment à Tiznit, Laâyoune et Dakhla. Les avantages attendus incluent un accès direct et sécurisé au marché de gros pour les exploitants agricoles, des structures de commercialisation plus attractives pour les vendeurs de gros, et une offre diversifiée avec des conditions financières et sanitaires améliorées pour les consommateurs. Les infrastructures prévues comprennent des chambres froides, des espaces pour l'achèvement de la maturation des fruits, des entrepôts, des stations de lavage et de stockage, ainsi que des ateliers de tri et de conditionnement. En termes d'infrastructures de commercialisation, le projet prévoit des espaces dédiés aux producteurs, des espaces multi-produits, et des plateformes de vente. En résumé, la modernisation vise à créer un environnement plus efficient pour tous les acteurs de la chaîne, de la production à la consommation.