La réalisatrice franco-sénégalaise Ramata-Toulaye Sy explore une histoire d'amour triste dans son premier long-métrage « Banel & Adama », offrant une perspective authentique loin des clichés. Dans cette interview, la réalisatrice nous révèle sa vision pour le renouveau du cinéma africain. * Que représente pour vous la projection de votre film au Maroc ? La projection de mon film au Maroc représente pour moi une immense fierté. Voir mon travail projeté dans un Etat africain, en particulier au Maroc, un pays frère avec lequel le Sénégal entretient des liens amicaux et diplomatiques profonds, est une expérience gratifiante. Nous assistons à un renouveau du cinéma africain, et le Royaume, à travers ses diverses initiatives, notamment le Festival International du Film de Marrakech, contribue à faire progresser le 7ème Art et à rendre audibles ces nouvelles voix. Lors de la première projection de mon film au Maroc, qui a eu lieu au Palais des Congrès à Marrakech, j'ai été envahie par une immense émotion en constatant que la salle était quasi-pleine, même un mardi matin. J'ai été étonnée et ravie de voir l'intérêt du peuple marocain, toutes générations confondues, pour le cinéma. Ils m'ont interrogé sur les coulisses de la production de mon film, ce qui m'a rendu extrêmement heureuse. Le fait que le cinéma trouve toujours sa place au Maroc est une réalité incroyable.
* Parlez-nous un peu de l'histoire de votre film... « Banel et Adama » raconte l'histoire de deux jeunes Sénégalais évoluant dans la région de Fouta, située dans la vallée du fleuve Sénégal, à la frontière méridionale de la Mauritanie. L'essence du film réside dans la relation passionnée entre ces deux individus, un amour qui, bien que sincère, provoque le chaos au sein de leur communauté. L'intrigue se déroule dans un cadre pittoresque où les paysages de la vallée du fleuve Sénégal servent de toile de fond à une histoire complexe. Sans dévoiler trop de détails pour préserver l'expérience des spectateurs, le film explore les thèmes universels de l'amour, des conflits culturels et des dynamiques sociales. Les personnages de Banel et Adama sont confrontés à des défis qui mettent à l'épreuve leur relation et révèlent les fissures au sein de la société à laquelle ils appartiennent. * Trouvez-vous des points communs entre le cinéma marocain et sénégalais ? Indubitablement, des points communs existent entre le cinéma marocain et sénégalais. En tant que représentants de traditions musulmanes et citoyens du même continent, il est naturel que nous partagions une logique culturelle commune. Cette proximité culturelle se reflète dans nos films, où des thèmes récurrents émergent. Les préoccupations communes pour les problèmes de société, la place de la femme, la quête de son individualité au sein d'une communauté à laquelle on n'aspire pas à se soustraire, les dynamiques familiales, le mariage, et bien d'autres questions, traversent nos productions cinématographiques respectives. Les films marocains et sénégalais se font l'écho des défis et des réalités auxquels nos sociétés font face, offrant ainsi des perspectives riches et variées sur la vie contemporaine en Afrique. En tant que cinéaste de la nouvelle génération, je perçois notre époque comme offrant une grande liberté créative. Nous avons la possibilité d'explorer une diversité de genres cinématographiques en mêlant le fantastique et le réalisme. Cette approche représente une rupture avec le cinéma naturaliste qui a prévalu pendant de nombreuses années sous l'égide de l'ancienne génération. Cette liberté nous permet d'élargir les frontières de l'expression artistique, d'innover et d'expérimenter.
* Peut-on affirmer que Ramata-Toulaye Sy est une cinéaste qui ne souhaite plus voir de naturalisme dans le paysage cinématographique africain ? Non, pas du tout. J'admire énormément le naturalisme cinématographique, et je pense que c'est une approche valable. Cependant, personnellement, j'ai la conviction que nous pouvons aller au-delà. Il est possible d'explorer une multitude de genres tout en conservant le naturalisme, en le fusionnant avec d'autres visions artistiques. C'est précisément ce que la nouvelle génération, à laquelle j'appartiens, cherche à réaliser.
* Ne pensez-vous pas que cela pourrait entraîner une certaine confrontation avec l'ancienne génération ? Au contraire, je pense que cela crée plutôt une dynamique de reconnaissance envers l'ancienne génération. Le fait que nous soyons ici aujourd'hui pour présenter nos films est le résultat de leurs sacrifices, une réalité qu'il ne faut pas oublier. Nous leur devons une dette de gratitude pour avoir ouvert la voie et créé les bases sur lesquelles nous construisons aujourd'hui. Plutôt que de voir cela comme une confrontation, je le perçois comme un processus de développement continu dans le cinéma. Nous avons la chance de tirer profit des enseignements des anciens et de les améliorer, de les adapter à la réalité actuelle. C'est un héritage que nous honorons en intégrant davantage d'audace et de créativité dans notre travail, avec l'objectif de prendre la relève et de les rendre fiers.
* Les thèmes de l'immigration et de la colonisation semblent dominer la scène cinématographique africaine, soulignant l'importance de préserver une mémoire collective. Cependant, ne pensez-vous pas qu'il existe également de la place pour d'autres sujets dans la création cinématographique africaine ? Certes, les thèmes de l'immigration et de la colonisation ont indéniablement marqué la scène cinématographique africaine en soulignant l'importance de préserver notre mémoire collective. Cependant, il est crucial de reconnaître qu'il existe également une place pour une diversité de sujets dans la création cinématographique africaine. Il est nécessaire de mettre en lumière les réalités vécues par les peuples africains, mais il est tout aussi essentiel de ne pas limiter notre créativité à un seul ensemble de thèmes. En se concentrant exclusivement sur des sujets sociaux, nous risquons de restreindre la richesse de nos récits et de compromettre notre capacité à explorer de nouvelles perspectives. Aujourd'hui, nous avons l'opportunité de diversifier nos histoires, d'explorer des genres tels que l'amour, l'horreur, et bien d'autres, aux côtés des thèmes sociaux. Il est important de reconnaître que les films sur l'immigration et la colonisation proviennent souvent de la vision de réalisateurs de l'ancienne génération, qui continuent à nous émerveiller. Cependant, la nouvelle génération apporte également une énergie dynamique pour révéler d'autres réalités présentes dans notre société. L'Afrique n'est pas uniquement définie par la misère et les problèmes, mais aussi par l'amour, une facette de notre réalité qu'il est essentiel de promouvoir dans nos films.
Recueillis par Yassine ELALAMI Ramata-Toulaye Sy défonce les portes avec audace et créativité La réalisatrice franco-sénégalaise Ramata-Toulaye Sy a connu une ascension fulgurante dans le monde du cinéma avec son premier long-métrage, « Banel & Adama ». Après son court métrage acclamé « Astel » en 2021, la cinéaste de 36 ans s'est retrouvée en compétition officielle au Festival de Cannes, remportant également le Prix du jury au Festival international du film de Marrakech. « Banel & Adama » est un conte sénégalais tourné en langue peule, déjouant les attentes et offrant une perspective novatrice. Inspirée par des figures tragiques telles que Médée et Phèdre, Ramata-Toulaye Sy crée le personnage de Banel, une jeune femme qui s'oppose à certaines traditions dans un petit village sénégalais, exprimant sa colère de manière de plus en plus dévastatrice. Ramata : « C'est mon amour de la littérature qui m'a donné envie de raconter des histoires »
« C'est mon amour de la littérature qui a suscité en moi le désir de raconter des histoires. Durant mon enfance, avec mes sœurs, nous passions de longues heures à la bibliothèque. J'écrivais des nouvelles et des critiques de films dans des carnets. Lorsque j'ai entamé mes études universitaires, mon intérêt pour le cinéma s'est ajouté à ma passion pour la littérature. J'ai décidé de suivre un cursus cinématographique sans envisager d'en faire mon métier à l'époque », révèle la réalisatrice. « Au fil du temps, ma passion a continué de croître, et mon intérêt pour l'écriture de scénarios s'est développé. J'ai tenté le concours à la Fémis, où j'ai été acceptée en scénario. À la sortie de l'école, j'ai commencé à coscénariser des projets, notamment « Notre-Dame du Nil » et « Sibel ».
Banel & Adama : Un amour confronté aux conventions dans le Nord du Sénégal
Dans le lointain village du Nord du Sénégal, Banel et Adama vivent un amour pur. Le monde extérieur est inexistant pour eux, mais leur connexion profonde va être mise à l'épreuve par les conventions rigides de leur communauté. Dans cet environnement où les passions sont jugées indésirables et le chaos impensable, le couple se retrouve face à des défis déchirants, explorant les limites de leur amour au sein d'une société imprévisible.