La Coordination Féministe pour la Refonte du Code de la Famille a partagé sa vision de la réforme et a présenté ses recommandations à l'Instance chargée de la révision de la Moudawana. Au cours de cette entrevue, Rhizlaine Benachir, fondatrice de l'association Jossour et membre de la Coordination, a présenté une analyse approfondie des objectifs sous-jacents à cette initiative. - Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste la vision de la Coordination féminine pour une réforme globale et profonde du Code de la famille en ce qui concerne la réforme de la Moudawana ? - Avant de parler de notre vision, je souhaiterais rappeler que la Coordination Féministe pour la Refonte du Code de la Famille a été initiée par plusieurs associations féministes démocratiques et progressistes qui ont cumulé pendant de longues années plusieurs expériences et pratiques dans le domaine de défense des droits des femmes et la lutte contre toutes les formes de discrimination à leur encontre. Elle sont ainsi acquis une expertise dans le plaidoyer et la mobilisation revendicative à travers ses associations respectives et la mise en place de plusieurs Coordinations féministes, et ce, à chaque étape importante concernant la question des droits des femmes, se mobilisant pour se constituer en une force de propositions et de pressions.
Cette Coordination s'est donc constituée au lendemain du discours Royal du 20 Juillet 2022 et a commencé à préparer un mémorandum commun en capitalisant sur ces multiples acquis et sur une connaissance réelle des lacunes et vides du Code de la famille de 2004 et des difficultés rencontrées pour son application. C'est dire que notre mobilisation pour la refonte du Code de la famille a commencé au lendemain de la sortie du Code en 2004. Après la Lettre Royale, vu le délai imparti au gouvernement, nous avons travaillé sur la finalisation de notre mémorandum commun que nous avons présenté le 02 novembre au comité désigné par Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Notre vision est claire. La Coordination s'inscrit dans une approche fondée sur les droits de l'Homme, dans un cadre universel sur la base du principe d'une égalité effective entre les femmes et les hommes, ainsi que sur le principe de justice et d'équité afin de garantir les droits des femmes à tous les niveaux et la protection des enfants par conséquent. - Quels sont les principaux objectifs que vous visez à atteindre avec cette réforme du Code de la famille ? - La Coordination appelle à la refonte du Code de la famille dans son intégralité, en commençant par une révision totale du contenu du Code, au niveau de sa philosophie et de la langue discriminatoire utilisée qui touche la dignité de la femme ( comme Al Moutaa...) puisque le texte garde un référentiel patriarcal considérant la femme inférieure à l'homme. En effet, plusieurs terminologies dans le texte réduisent la femme à une situation d'infériorité par rapport à l'homme. Ainsi, plusieurs expressions doivent changer et rendre à la femme la place qui lui revient en tant que citoyenne à part entière au même titre que l'homme avec une rédaction juridique nette sans ambiguïté, ne laissant place à aucune interprétation. Le texte doit être impérativement basé sur une approche égalitaire avec une terminologie intégrant l'approche genre dans sa globalité.
La Coordination veut dans ce cadre que le texte soit harmonisé avec la Constitution de 2011 et les conventions internationales ratifiées par le Maroc, sachant que dans le préambule de la Constitution, celle-ci dispose d'une égalité effective et de la primauté des conventions internationales devant l'arsenal juridique marocain, sans oublier l'importance de l'article 19 qui énonce une égalité à tous les niveaux aussi bien civile, politique, juridique, économique, culturelle avec la mise en place de l'Autorité pour la Parité et la Lutte contre toutes les formes de discriminations (APALD). Les principaux points revendicatifs de la Coordination sont en premier lieu : l'âge du mariage devant être fixé à 18 ans avec l'abolition des articles 20, 21 et 22 qui permettent l'exception, mariage des enfants, qui devient la règle. La place de l'enfant est à l'école. L'Etat doit lui garantir toute la protection et le droit d'accès à l'éducation, à la santé, etc. La suppression de la polygamie qui nuit à la dignité de la femme, le partage des biens pendant le mariage ( article 49) qui doit être inclus dans le contrat de mariage, l'égalité dans l'héritage et surtout le point concernant Attassib, et la simplification des divorces judiciaires. Il faut aussi permettre un accès à la justice équitable, simple et facile de la femme, et lui accorder la tutelle légale sur l'enfant issu du mariage au même titre que le père, qui suppose la suppression de l'article 400. - Comment envisagez-vous d'établir un équilibre au sein de la famille grâce à ces réformes ? - La femme contribue aujourd'hui au bon fonctionnement de son foyer à tous les niveaux : matériel, financier, l'éducation de ses enfants, leur bien-être, etc., même si son salaire est faible et même si elle travaille dans l'informel. Je ne dis pas que l'homme ne fait pas la même chose mais la femme reste lésée dans ses droits. Cette réforme va apporter un équilibre logique au sein de la famille, ce qui permettra aussi bien au mari qu'à l'épouse de trouver la place qui leur revient avec un partage légal des droits vis à vis de la gestion de leur vie ainsi que celle de leurs enfants. La refonte garantira à la femme son autonomisation économique, le droit à la santé, à l'éducation, à sa participation effective en tant que citoyenne avec des droits et des devoirs. La refonte cherche un équilibre juste entre l'homme, la femme et l'enfant. - Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontés dans la poursuite de cette réforme, et comment comptez-vous les surmonter ? - Les principaux défis que nous rencontrons tiennent à l'esprit patriarcal qui persiste dans notre société, et qui fait que la femme demeure dans une situation de précarité et de vulnérabilité. Il existe également des pratiques politiciennes qui, pour attirer de l'électorat, font du Code de la famille un outil pour cultiver cet esprit patriarcal. Notre combat est d'essayer de supprimer les stéréotypes attribués à la femme et qui l'empêchent de lui permettre d'avoir la place qu'elle mérite dans la société. Ces stéréotypes nuisent également aux jeunes filles, qui ne peuvent ni évoluer ni contribuer de manière effective à l'évolution de notre société. Notre combat vise à lever ces stéréotypes et à expliquer d'une manière franche l'intérêt du Code de la famille, et pourquoi une refonte de ce code est nécessaire : permettre à notre pays d'évoluer et d'être réellement démocratique. - Comment envisagez-vous l'acceptation et la mise en œuvre de ces réformes par la société marocaine ? - La société marocaine ne pourra que bien réagir à un Code qui est équitable et juste, et qui protège le mari, la femme et l'enfant. Nos revendications ne sont pas contre l'homme, elles sont pour l'homme, pour la femme et pour l'enfant. Ceci dit, si nous souhaitons que les mentalités changent et si nous souhaitons que la société accepte ce Code de la famille, il faut une loi qui prône l'égalité entre l'homme et la femme, et qui soit appliquée effectivement en toute impunité.
- Quels sont les prochains pas que la Coordination féminine prévoit de prendre pour faire avancer cette réforme ? - Nous allons continuer notre mobilisation. Nous avons débuté avec la Commission Royale et allons par la suite nous adresser aux responsables concernés au niveau des institutions nationales, des deux Chambres du Parlement, des partis politiques et instaurer des débats et rencontres avec d'autres associations aux niveaux local, régional et national.
Notre démarche s'inscrit dans une perspective de sensibilisation et d'échange avec divers acteurs de la société. Nous sommes déterminés à partager nos convictions, à écouter les différentes opinions et à construire un consensus autour des réformes nécessaires. Nous aspirons également à créer un dialogue inclusif et constructif pour promouvoir une réforme équitable et significative du Code de la famille, impliquant toutes les parties prenantes de la société marocaine.