L'alarme de la violence en milieu scolaire n'a jamais sonné aussi fort ! Un groupe de chercheurs et d'experts s'est réuni les 1er et 2 novembre au Conseil Supérieur de l'Education, de la Formation et de la Recherche Scientifique (CSEFRS) à Rabat à l'occasion du colloque international sur la violence en milieu scolaire, en vue d'engager des réflexions sur ce phénomène angoissant. Cette rencontre a été une occasion de présenter les résultats de l'étude sur la violence en milieu scolaire au Maroc, menée par le CSEFRS en partenariat avec l'UNICEF. Une étude qui s'est basée essentiellement sur une approche qui lie l'expérience de victimisation avec le climat scolaire. Etat des lieux
Les chercheurs s'accordent sur le fait que la violence englobe l'intégralité des actions et des comportements qui portent atteinte aux droits ou à la dignité des personnes entraînant une souffrance physique ou psychique ou conduisant à une détérioration des objets à l'intérieur ou autour de l'école. Les différentes formes de violence fréquemment repérées dans les écoles font l'objet de différentes classifications, elles sont également compilées par l'UNESCO sous cinq formes : physique, psychologique, sexuelle, harcèlement et cyberviolence. S'agissant de la violence verbale et symbolique, environ un élève marocain sur dix au primaire a affirmé avoir été « souvent » affublé d'un sobriquet. Ainsi, 11,7% des élèves ont déclaré avoir été « souvent » mis à l'écart ou insultés. Le milieu, qu'il soit rural ou urbain, n'a pas non plus d'impact sur l'exposition des élèves aux violences verbales et symboliques, même si une fréquence légèrement plus faible est relevée dans le milieu rural concernant les sobriquets. En termes de cyberviolence, environ un élève du primaire sur dix déclare avoir reçu des messages désagréables, méchants ou insultants sur internet (10,5%) ou par téléphone (9,6%). Pour ce qui est de l'humiliation, 40,5% des élèves ont affirmé qu'ils s'étaient sentis humiliés au moins une fois dans leur établissement scolaire.
Auteurs de violence : de qui parle-t-on ?
Il ressort de l'étude que les garçons sont souvent les auteurs de violences verbales et physiques, suivis par les filles et les intrus. De plus, 66,3% des élèves ayant déclaré avoir été harcelés ont précisé que l'auteur était un garçon, respectivement 22,1%, 17,2% et 8,6% d'entre eux ont rapporté que l'auteur est respectivement une fille, un intrus ou bien un adulte travaillant à l'école.
Les violences commises par des intrus ou par des jeunes ou des adultes en dehors de l'établissement sont minoritaires. Il est néanmoins important de noter que les élèves vivant en milieu rural rapportent plus fréquemment avoir été victimes de divers types d'agressions, notamment par des inconnus, tant sur le chemin de l'école que dans les zones urbaines.
D'autres constats, parmi les plus alarmants, révèlent que près de 47,8% des élèves ont déclaré avoir été frappé au sein des établissements, affirmant que l'auteur était une maîtresse et/ou un maître et presque 21,5% des élèves voient que leurs relations avec leurs enseignants sont en général soit « pas très bonnes» ou pas bonnes du tout ».
Que faire ?
Plusieurs pays ont intégré la lutte contre la violence dans le cadre de la réforme de l'Education. Dans cette perspective, le Conseil recommande la promotion d'une éducation sécurisante de qualité, l'opérationnalisation des dispositifs institutionnels, tels que le dispositif Marsad, et l'application des mesures sévères contre le harcèlement sexuel. Le Conseil appelle également à la promotion d'un code de conduite au sein des établissements, ainsi qu'à la réactivation des cellules d'écoute.
Trois questions à Rkia Chafaqi : « Il faut lever le tabou sur ce phénomène et y sensibiliser le public » Rkia Chafaqi, spécialiste Enquête et Analyses au sein de l'Instance Nationale d'Evaluation auprès du Conseil Supérieur de l'Education, de la Formation et de la Recherche scientifique, a répondu à nos questions sur la violence en milieu scolaire. - Pourriez-vous nous donner un aperçu général de l'étude, notamment les chiffres clés ? - Notre évaluation a porté sur un échantillon représentatif des établissements nationaux, soit près de 260 établissements cibles avec 13.884 élèves, plus de 1700 enseignants et 260 directeurs d'établissements. Nous avons relevé différents types de violence au sein de nos établissements avec des variantes inquiétantes : un quart des élèves a déclaré avoir subi un châtiment corporel, que ce soit au niveau primaire ou au secondaire. Par ailleurs, 15% des élèves au primaire ont affirmé avoir subi un harcèlement, il en est de même pour près de 29% au secondaire. Parmi les élèves du primaire ayant affirmé avoir été harcelés, 34% ont indiqué que ce harcèlement avait un caractère sexuel, la proportion des garçons est plus importante que celle des filles : 37,9% contre 30,3% respectivement. - Comment les résultats de cette étude pourraient-ils influencer les politiques éducatives au Maroc ? - Notre rapport présente des pistes de réflexion et des recommandations pour orienter la politique publique. Il est essentiel d'investir dans une politique de lutte contre la violence en milieu scolaire, qui soit claire mais surtout cohérente. De même, il est essentiel d'investir dans une éducation de qualité, en créant notamment un environnement sécurisé pour les élèves. Il est impératif également d'assurer une meilleure connaissance du dispositif institutionnel. Malheureusement, 75,9% du personnel enseignant enquêtés ne connaissent pas le dispositif Marsad, qui est une plateforme dédiée exclusivement au personnel administratif et éducatif et à l'élève, pour signaler la situation de violence vécue. - Quel message pourriez-vous adresser aux parents pour combattre ce phénomène ? - Il suffit d'être à l'écoute de leurs enfants tout simplement. La violence doit être signalée, il faut lever le tabou sur ce problème et y sensibiliser le public. Dans la plupart des cas, les établissements scolaires ne dévoilent pas tous les actes de violence et tendent à résoudre les problèmes à l'amiable entre les parties concernées, par peur du scandale. Mais, en fin de compte, c'est l'enfant qui est la victime.