La critique de cinéma est apparue tout naturellement dans les journaux et les revues, à partir du moment où l'on y trouvait déjà une critique des livres, des pièces de théâtre, des concerts... suivie avec passion par les lecteurs et les abonnés. L'écrivain et dramaturge italien Riccioto Canduo fut un de ses fondateurs dans les années 10, affirmant bien haut la spécificité du cinéma et de son autonomie, une autonomie dont beaucoup d'intellectuels et le grand public avaient toute raison de douter, lorsqu'ils voyaient le cinéma adapter à tour de bras théâtre opéra et littérature. A sa suite, Louis Delluc, fondateur de la revue « CINEA » et Léon Moussinac, rallièrent beaucoup de lecteur de journaux, par leur flamme et leur conviction, à un art encore jugé mineur, quand on lui accordait le statut d'un art. Aujourd'hui, en effet, certaines notions telles que « Le septième art », la vision du metteur en scène comme auteur auquel revient le mérite du film, l'appréciation sur la photo et le son, sont tellement entrées dans nos mœurs culturelles, même si elles ne sont pas toujours appliquées avec bonheur, qu'on oublie qu'elles ont été dues pour l'essentiel à des critiques. Mais il est rare que ceux-ci se soient consacrés au cinéma seul. Souvent ces critiques de cinéma ont été par ailleurs des écrivains, des journalistes, des dramatiques, des critiques théâtraux qui n'étaient pas liés au cinéma. On voyait même souvent qu'ils auraient préféré assurer le feuilleton littéraire, voire disposer d'une chronique d'expression libre et qu'ils avaient hérité de la rubrique « cinéma » comme d'une sinécure ou d'un placard. Trop souvent s'est lu entre les lignes leur manque de connaissance des origines du cinéma, leur tendance à n'appréhender que le sujet des films et non leur langage et leur forme et leur ignorance de ce dont ils parlaient. Un certain enthousiasme naturel suppléait parfois, mais pas toujours, à de telles lacunes. Dans d'autres journaux, la critique de cinéma reste l'art de briller journalistiquement aux dépens de son objet. Mais l'âge d'or de la critique de cinéma, c'est-à-dire la période où elle combina une audience assez large avec le plus de conviction et de sérieux, fut peut être la cérémonie des années 50, lorsque, André Bazin, critique au « Parisien », « La revue du cinéma » et « Radio cinéma », mais aussi conférencier et animateur de ciné-clubs, représenta un modèle de rigueur d'esprit et de passion. Beaucoup de ses cadets au mensuel les « Cahiers du cinéma », qu'il cofonda en 1951 avec Jacques Doniol, Valcroze et Lo Duca, le mettaient au-dessus de tous les autres. Mais si ces cadets, à qui l'on doit des textes restés souvent remarquables, ont beaucoup fait parler d'eux depuis, ce n'est pas comme critiques. Ils ont nom en effet Jacques Rivette, François Truffaut, Eric Rohmer, Jean-Luc Godard... Leur exemple a créé en France une tradition de la critique comme marche-pied vers la réalisation. Le seul homme unanimement respecté comme le critique absolu, André Bazin, étant mort prématurément et les autres ne faisaient que passer dans cet emploi, on est fondé de se demander si critique de cinéma est un métier qu'il est possible d'assurer avec la même flamme pendant longtemps et avec le même enthousiasme, la continuité et la foi. La réponse est naturellement dans les mains des jeunes et des nouveaux venus. Mais la plupart de ceux-ci attendent surtout leur tour pour faire de la mise en scène. Pourquoi ne serait-il pas possible de faire parallèlement de la réalisation et de la critique ? C'est moins une question de temps matériel que de disposition d'esprit. Quand on a éprouvé la difficulté de faire tenir un film debout, on a plus de mal à critiquer le travail des autres. Même Truffaut, qui continua à écrire une fois passé à la réalisation, ne le fit plus que pour défendre les films qu'il aimait, et cessa de rédiger des éreintements, se refusant cette liberté de blâmer. En somme, quand le critique acquiert un peu d'expérience et atteint un âge plus avancé, il finit par se lasser d'un statut aussi insignifiant et aussi d'un revenu aussi faible.