La dynamique, le profil et les difficultés de l'intégration de l'économie marocaine dans les Chaînes de valeur mondiales (CVM) sont passés au crible par l'Institut italien d'études politiques internationales (ISPI). Ces dernières années, la résilience des Chaînes de valeur mondiales (CVM) est devenue de plus en plus centrale dans le débat sur l'avenir des politiques industrielles dans les pays de l'Union Européenne.
Le déclenchement de la pandémie de Covid-19 et la crise russo-ukrainienne ont largement contribué à façonner ce débat. Les Etats membres ont commencé à examiner les possibilités de raccourcissement et de régionalisation des Chaînes de valeur par le biais de pratiques de proximité dans les pays voisins « amis » présentant un grand intérêt, en mettant l'accent sur les voisins du Sud et de l'Est.
Dans ce contexte, le Maroc apparaît extrêmement prometteur non seulement pour sa proximité géographique (il ne se trouve qu'à 14 km de l'Europe à son point le plus proche) mais pour sa stabilité politique, le soutien de la monarchie à un développement industriel régulier et l'existence de plans d'infrastructure avancés. C'est ce qui ressort d'un récent Policy paper de l'ISPI (Institut italien d'études politiques internationales) intitulé « Renforcer la résilience dans un monde chaotique : le rôle des infrastructures ».
« Le potentiel stratégique du pays n'est pas seulement intéressant dans une perspective Nord-Sud. Le Maroc est également de la plus haute importance en tant que «porte d'entrée vers l'Afrique» pour le commerce mondial. Rabat a fait des relations avec les pays subsahariens un élément clé de sa politique étrangère, car c'est par sa "profondeur africaine" que le Maroc "respire et brille"», ajoute le Policy Paper signé par Carlo Secchi et Alessandro Gili, chercheurs à l'ISPI.
Pour comprendre le rôle du Maroc comme « porte d'entrée » au commerce mondial, tant pour les pays européens qu'africains, le think tank italien estime donc utile d'examiner la position du pays dans les Chaînes de valeur mondiales.
Rôle du Maroc dans les CVM
L'ISPI souligne ainsi que le taux de participation du Maroc aux CVM a augmenté de 7,6 % sur la période 2005-2018 pour atteindre environ 46,7 %, un taux similaire à celui de pays comme le Mexique, la Roumanie et la Russie.
L'intégration de l'économie marocaine dans les CVM fait face à des défis importants, mais offre également des perspectives importantes pour le développement industriel, les opportunités d'emploi et, plus généralement, pour la résilience du tissu socio-économique du pays, indique le Policy paper.
L'automobile, l'aéronautique et les phosphates sont parmi les secteurs les mieux intégrés, ajoute la même source. « Avec une capacité de production de plus de 700.000 véhicules par an, l'industrie automobile est le premier secteur d'exportation marocain. Le pays est le premier constructeur automobile d'Afrique et le deuxième fournisseur de l'Union Européenne. Le secteur automobile a créé plus de 220.000 emplois entre 2014 et 2021. Le secteur s'appuie sur plus de 250 fournisseurs internationaux et nationaux et s'est développé autour de l'usine de Tanger du groupe Renault et de celle de Stellantis à Kénitra. Les acteurs locaux sont peu représentés et principalement actifs en sous-traitance », fait observer l'ISPI. Néanmoins, pour le think tank italien, il y a des signes d'une transition dans l'industrie automobile marocaine vers un meilleur positionnement au sein de chaînes de valeur plus avancées et complexes.
Les derniers investissements montrent également que la trajectoire de développement du secteur s'aligne progressivement sur les politiques de transition énergétique mises en œuvre par Rabat ces dernières années. Le pays ambitionne de devenir un constructeur leader de véhicules électriques, et une série d'accords signés semblent soutenir cette ambition, indique le Policy paper.
Autre élément soulevé dans cette analyse : l'aéronautique est un autre secteur émergent dans l'intégration du Maroc dans les CVM. Plus de 140 entreprises aéronautiques opèrent désormais dans le pays, employant environ 20.000 personnes. En 2022, les exportations du secteur ont augmenté de 34,4 % par rapport à l'année précédente.
L'ISPI met l'accent aussi sur le secteur des phosphates, un ingrédient essentiel pour la production d'engrais, environ 70% des réserves mondiales connues sont situées au Maroc. « L'année dernière, en partie grâce aux hausses de prix déclenchées par le conflit en Ukraine, le pays a enregistré une augmentation de 43 % de la valeur de ses exportations de phosphate, pour un total de 11 milliards de dollars. L'Office Chérifien des Phosphates (OCP) est un leader mondial du secteur des phosphates et un instrument clé de la politique africaine du Maroc, grâce à ses usines et filiales dans 16 pays africains. À moyen terme, le pays vise à améliorer la durabilité de la chaîne de valeur des engrais en utilisant de l'ammoniac vert », indique l'ISPI.
Agroalimentaire et textile : des signes de vulnérabilité
Contrairement aux industries de l'automobile et des phosphates, le think tank affirme que l'agroalimentaire et le textile montrent des signes de vulnérabilité en matière de l'intégration aux CVM. « Le secteur agricole risque d'être affecté par les conséquences à long terme du changement climatique et de la pénurie d'eau, ainsi que par la dépendance à un nombre limité de marchés d'exportation (les fruits et légumes marocains sont exportés principalement vers la France et l'Espagne). La vulnérabilité du secteur textile est exacerbée par la dépendance vis-à-vis d'investisseurs internationaux uniques, le groupe espagnol Inditex étant l'acteur dominant », fait savoir l'ISPI.
L'intégration croissante du Maroc dans les CVM a également été soutenue par le développement des ports du pays, estime l'institut italien. « Au cours des quinze dernières années, le Maroc s'est imposé comme un acteur incontournable de la logistique et du transbordement méditerranéen. Depuis son ouverture en 2007, le port de Tanger Med s'est agrandi et dispose désormais de la plus grande capacité de conteneurs de tout le bassin méditerranéen (plus de 7 millions d'EVP par an). Le port se classe désormais au quatrième rang du classement mondial des ports à conteneurs de la Banque Mondiale pour 2022 », explique-t-on.
Obstacles aux ambitions marocaines
Malgré les progrès spectaculaires réalisés au cours des vingt dernières années en termes de participation aux CVM, de développement des infrastructures, l'ISPI estime que des problèmes structurels persistent et pourraient contrecarrer les ambitions du pays. « La participation du Maroc aux CVM se caractérise toujours par une faible valeur ajoutée, ce qui décourage la poursuite du développement d'activités industrielles intégrées. Le pays est actuellement positionné « en amont » dans la plupart des CVM, important des biens étrangers pour produire ses propres exportations mais peinant à s'implanter dans des segments à plus forte valeur ajoutée et à mieux impliquer les industries locales », fait remarquer l'institut italien.
Un autre problème critique découle d'une main-d'œuvre peu qualifiée, d'un manque de capacité d'innovation et de faibles investissements dans la recherche et le développement. Malgré ces obstacles, l'ISPI affirme que le Maroc s'est déjà imposé comme un acteur incontournable du développement des chaînes de valeur intégrées méditerranéennes, en tant que acteur crédible de la transition énergétique, et comme porte d'entrée des échanges entre l'Union Européenne et les pays africains. « Des initiatives comme le Partenariat vert sur l'énergie, le climat et l'environnement, signé par le Maroc et l'UE en octobre dernier, et les investissements massifs dans les infrastructures prévus par le Global Gateway ou imaginés dans le cadre de la candidature conjointe Espagne-Portugal-Maroc pour organiser la Coupe du Monde 2030 ne peut que renforcer cette perspective », est-il souligné.