Dans le cadre de l'événement culturel « La Nuit des musées », l'écrivain Kebir Mustapha Ammi a présenté son nouveau roman "À la recherche de Glitter Faraday" qui nous mène dans le monde des Black Panthers dans le Sud des Etats-Unis, sur fond de jazz qui semble donner le rythme à son roman. Dans cette interview, il répond à nos questions. - Votre dernier roman «A la recherche de Glitter Faraday» a une résonance particulière dans l'ensemble de cette écriture inspirante à laquelle vous vous livrez, en tissant une toile des Etats-Unis profonds, à la période des Black Panthers. Quel est le thème central de cette saga et où avez-vous puisé pour créer ce personnage ? - Le thème central de ce roman est la lutte contre le temps, une bataille avec la mémoire, avec des éléments qu'on croit insignifiants mais qui sont déterminants, puissants, radicaux.... « À la recherche de Glitter Faraday » est l'Histoire revisitée de l'Afrique et du monde. C'est l'histoire d'un écrivain qui se lance à la recherche d'un manuscrit qui a été confié à Glitter Faraday, il y a très longtemps, à l'époque des Black Panthers. Vieux et abîmé désormais, Glitter vit dans la rue comme de nombreux Noirs à San Francisco. Il ne sait plus ce qu'est devenu ce manuscrit, mais il a gardé des souvenirs précis de son enfance et de sa jeunesse. Son récit traverse l'Histoire et les violences de la ségrégation, l'euphorie des révolutions, avec l'urgence compulsive, heurtée, du souvenir. Il va entraîner le narrateur parmi les destins mêlés d'une galerie de personnages, comme dans une partition de jazz où chacun a son rythme à imposer. C'est cela qui va mettre le narrateur sur les traces du manuscrit. Pour créer ce personnage et tous les autres, j'ai puisé dans la vie de tous les jours, dans mes voyages, mes réflexions... Dans les drames que nous croisons quotidiennement, dans l'injustice qui se commet en permanence à notre insu et sous nos yeux. Le rôle de l'écrivain est de ne pas se taire, refuser de se taire. Et son art est de rendre visible ce qui ne l'est pas. - Vous dressez les contours d'un monde qui foisonne de personnages nourris par la liberté dans une réalité historique des Etats-Unis de la fin des années 60. A vos yeux, le combat contre le racisme est-il toujours de taille, à la mesure de ce qui justifiait les aspirations de nos ancêtres ? - Je décris un monde rongé par les larmes et le sang, par la violence, le racisme, l'exclusion, il y a peu de place pour l'idyllisme dans ce roman, j'aurais bien aimé que les choses soient différentes et plus douces, mais, hélas, notre monde est un monde brutal. Les personnages se battent pour la liberté, ils veulent exercer leurs droits, vivre debout et refusent l'ordre qui désigne des vainqueurs et des vaincus. « A la recherche de Glitter Faraday » commence dans les années cinquante et se poursuit jusqu'à nos jours ; peu de choses ont changé depuis cette période de l'Histoire, mais il y a l'espoir de ceux qui se battent et qui croient qu'on peut transformer le monde et le rendre meilleur. Le racisme est toujours présent dans toutes les sociétés, nul n'en est exempt, mais il faut continuer de se battre pour l'éradiquer, pour apprendre à nos petits que rien ne justifie la discrimination et l'exclusion. - Vous appréhendez énormément les longues descriptions à la manière d'un cadrage dans les mises en scène ; ne pensez-vous pas faire de vos livres des réalisations cinématographiques ? - J'aimerais bien que mes romans soient portés à l'écran, mais cela ne dépend pas de moi. Il y a des scénaristes, des réalisateurs et des producteurs, et c'est à eux de s'emparer de mes livres et d'en faire des films, ça serait magnifique. Je serais très heureux de voir « Mardochée », « Les vertus immorales », « Le ciel sans détours » ou « Ben Aïcha » à l'écran... Ce sont des pages essentielles du Maroc que je décris dans ces romans. Ben Aïcha, qui était l'ambassadeur de Moulay Ismaïl à Versailles, ferait un magnifique film. «Mardochée » qui évoque l'espionnage du Maroc par Charles de Foucauld et son guide, déguisés en rabbins juifs à la veille du protectorat, ferait aussi un très beau film. On peut en dire autant du « Ciel sans détours » qui est une fresque du Maroc de 1912 à l'an 2000. « Les vertus immorales », c'est sur l'histoire d'un Marocain, Mustapha Zemmouri, qui est le premier Arabe et le premier Marocain à être allé en Amérique au 16ème siècle. Ça ferait un film éblouissant avec des paysages sublimes.
La littérature n'est pas un luxe, c'est une denrée essentielle pour nourrir les imaginaires, permettre l'épanouissement des citoyens et disséquer le réel. - Il semble que vous entretenez une relation intime avec le protagoniste-narrateur, avec une empreinte omniprésente. Ce cheminement n'est-il pas une simple retrouvaille avec votre propre enfance ? Quelles sont vos sources d'inspiration ? - Vous savez, rien ne jaillit du néant, tout vient de quelque chose, d'une source. Tous les créateurs s'appuient sur leur propre vécu, pour moi, comme pour les autres. Mais dans un texte, il y a des niveaux de lecture, des registres...Tout cela est étagé et livre un texte pluriel pour qui veut se lancer dans l'analyse de cette écriture. Mes sources d'inspiration, c'est le monde autour de moi, c'est la mémoire collective, ce sont les batailles, les rapports entre les nations et la place de l'individu, c'est l'identité et l'exclusion, c'est le désir de chacun de s'épanouir... - Vous avez qualifié votre nouveau roman comme étant le prolongement d'une quête qui vous implique intimement. Parlez-nous de ce roman. - J'ai écrit ce roman pour mon frère Kamel, qui aimait beaucoup la musique, il passait son temps à faire de la musique. Il était doué et très sensible. Je crois qu'il aurait pu être un grand musicien. Il écoutait le blues et surtout le jazz, il m'a initié à cette musique... il avait deux ans de plus que moi, mais nous étions très liés, comme des jumeaux. J'avais une dette vis à vis de lui, il fallait que j'écrive ce livre. Ça n'a pas été facile, puisqu'il m'a pris des années, mais j'y suis arrivé, et Kamel doit être heureux là où il est. - Selon vous, la littérature ne s'écrit pas avec une langue, elle s'écrit avec des larmes et des rêves pour changer le monde. Comment voyez-vous l'avenir du roman au Maroc ? - Il faut beaucoup de choses pour écrire, la langue toute seule ne suffit pas, il faut surtout des émotions, ce sont elles qui font l'art. Cézanne disait : « L'art est émotion ». La langue ne peut donc créer l'émotion que si elle est portée par quelque chose de puissant et de plus fort qu'elle, une force qui transcende les lettres de l'alphabet. Pour ce qui est de l'avenir du roman au Maroc, il est plein de promesses, il y a de nombreux jeunes écrivains très talentueux et c'est une très bonne chose. Il faudrait seulement qu'on les distribue mieux et qu'on les lise surtout, il faut aussi qu'ils soient présents dans la vie quotidienne. La littérature a besoin d'être présente, ce n'est pas un luxe, mais une denrée essentielle pour nourrir les imaginaires et permettre l'épanouissement des citoyens, donner du corps à leurs espoirs et leurs rêves, disséquer le réel et expliquer le monde. - Pour vous, l'art et la littérature sont une quête de vérité, c'est tenter de construire des passerelles vers les autres, sans rien nier ou renier de soi. Quelles sont donc vos propres pérégrinations à travers cette capacité de narrer des histoires ? - Il ne faut jamais rien renier de soi, il faut être prêt à écouter et accueillir les autres, à suivre leur chemin.... mais il faut rester soi jusqu'au bout des ongles. C'est ainsi que nous participons à la construction d'un monde harmonieux, en paix, en cultivant nos différences dans le strict respect des autres. Il faut se battre pour le droit des autres à être différents de nous ! - Que pensez-vous de la scène de l'édition au regard du nombre d'auteurs qu'il y a ou qui veulent publier ? - Il faut être honnête et dire qu'on peut encore s'améliorer sur ce plan, on peut encore apprendre pour être performants. Il faut que l'édition se professionnalise davantage et que le réseau de distribution se développe pour que la chaîne du livre puisse donner le meilleur d'elle-même. Mais je ne désespère pas, des efforts sont faits dans ce sens et il ne peut en sortir que du bon, pour le bien de tous, écrivains et lecteurs. - Vous évoquez à maintes reprises votre nostalgie de la ville de Taza dans vos écrits, que représentent pour vous vos souvenirs du pays ? - Taza est un lieu essentiel, où tout a commencé, elle représente pour moi la ville des premiers émois, des premières expériences de la vie, de la découverte du monde, de la lecture, puis de l'écriture des premiers textes. Sans Taza, rien de ce que je suis ne peut être. J'ai besoin du Maroc où je viens me ressourcer régulièrement, et de Taza en particulier. Me retrouver dans le berceau natal me fait le plus grand bien, tous les lieux se valent mais il me manque toujours quelque chose quand je suis loin de cette ville. Elle est mes racines et mon vrai visage.