En Afrique subsaharienne, les erreurs médicales restent impunies faute de lois précises pour les juger, d'où leur multiplication. Pour y remédier, les experts recommandent l'adoption de textes spécifiques sous forme de Code de la santé publique. Ils proposent également un meilleur traitement du personnel soignant et une restructuration des hôpitaux. Grilles de lecture du rapport de Scidev.Net. C'est une enquête qui lève un voile sur les erreurs médicales en Afrique subsaharienne, des pratiques qui affectent notre santé, donc notre vie. L'étude, réalisée par Scidev.Net, dont la vocation est de rapprocher la science et le développement par le biais d'actualités et d'analyses, en association avec d'autres médias, s'intéresse aux causes et propose des voies et des moyens pour y remédier. Menée auprès d'experts de la Santé, ladite enquête dévoile la face cachée des interventions qualifiées d'erreurs médicales. Ce sont les victimes ou leurs parents ou proches qui ont pris la parole pour dénoncer ce mal qui hante nos hôpitaux. C'est le cas de Louis Ephraïm Okou, qui n'oubliera certainement jamais son histoire. Cet artiste ivoirien non-voyant, plus connu sous le nom de Max Melo, n'est pas né avec son handicap... Hospitalisé au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Cocody à Abidjan pour une fièvre, il allait recevoir des doses de médicaments dans les yeux. « On disait à mes parents de ne pas laisser mes yeux à l'air libre parce que le vent souffle sinon le traitement n'allait pas fonctionner », se souvient l'infortuné. Sauf qu'au bout de quelques jours, la maman du jeune garçon, n'y comprenant rien, allait passer outre cette interdiction et retirer la bande pour constater que les yeux de son fils qui n'avait pas de problème, étaient abîmés, faisant de lui désormais un non-voyant. Plus loin au Cameroun, maître Gaston Watou, avocat au barreau du Yaoundé, n'en revient toujours pas de la mésaventure d'un de ses clients il y a quelques années à l'hôpital général de Douala, où ce dernier était arrivé pour être pris en charge. Au cours de l'administration des soins, un mauvais usage du cathéter lui avait causé une thrombose veineuse profonde. Il s'agit d'une maladie qui se caractérise par la formation de caillots de sang dans la veine.
Absence de textes Des interventions mal menées sont observées quotidiennement dans les hôpitaux d'Afrique subsaharienne sans que véritablement les auteurs soient punis ou jugés. D'où l'importance de ce rapport qui s'appesantit sur les causes de la multiplication des erreurs médicales sur le continent. A l'origine de cette impunité, l'absence de texte, lit-on dans ce document. « Il n'existe pas de législation spécifique qui régit les erreurs ou fautes médicales au Cameroun. J'irai plus loin en disant qu'il n'y a pas un droit médical spécifiquement camerounais », indique Me Gaston Watou. Selon l'avocat, il faut recourir à l'article 1382 du code civil (une émanation du droit français datant des années 1800) et le projeter dans le domaine médical. Cet article dispose simplement que : « Tout fait, quelconque de l'Homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ». Situation identique en Côte d'Ivoire où l'universitaire Yanourga Sanogo, chef du département de Droit de l'université Péléforo Gon Coulibaly de Korhogo, affirme que « la législation n'est pas à la pointe et se borne à être une copie du droit français alors que nous avons nos réalités ici ». Ce dernier, qui est spécialiste du droit de la santé et du droit médical poursuit en disant que « dans un contentieux, le juge aura du mal à trancher parce que les procédures sont inexistantes. On préfère régler en famille et beaucoup de choses passent sous silence ». Pourtant, relève l'enquête, la problématique des erreurs médicales préoccupe toutes les institutions de la santé. Ainsi, citant l'Institute of Medicine, un rapport du secrétariat de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) produit en 2002, indique que « les erreurs médicales provoquent entre 44.000 et 98.000 décès annuels dans les seuls hôpitaux des Etats-Unis d'Amérique – c'est-à-dire plus que les accidents de la circulation, le cancer du sein ou le SIDA ». Le même document ajoute que les erreurs médicales concernent 10% des personnes hospitalisées au Royaume-Uni, 16,6% en Australie et 10% en Europe. En Afrique faute de statistiques fiables, les chiffres avoisinent les 40%. L'autre difficulté est comment prouver ces erreurs médicales ? Une anecdote vient d'ailleurs corroborer cette difficulté pour les patients ou leurs ayants-droits à prouver les erreurs médicales dont ils ont été victimes.
Corporatisme protecteur des médecins En 2020, au cœur de la crise de Covid-19, indique l'enquête, l'avocat camerounais Gaston Watou a perdu une de ses clientes de « manière incompréhensible » dans une clinique très réputée de Douala dont les responsables ont « des accointances avec l'Ordre national des médecins du Cameroun ». « Après l'autopsie réalisée par un expert extérieur, la clinique a refusé de mettre à la disposition dudit expert le dossier médical. Les nombreuses injonctions du tribunal n'ont eu aucun effet jusqu'à cette date. Résultat des courses : l'affaire a été classée et la clinique n'a pas du tout été inquiétée », témoigne l'avocat. Ce qui fait dire à Gaston Watou qu'« il y a comme une sorte de corporatisme protecteur des médecins qui étouffe l'éclosion d'un véritable contentieux médical pour construire une jurisprudence constante dans ce domaine ». Pour les experts, il faut changer la donne par la formation des médecins aux nouvelles technologies médicales pour lutter efficacement contre les erreurs médicales. Car beaucoup de médecins ne se recyclent pas et continuent de pratiquer la médecine d'il y a 20, voire 30 ans, oubliant que la médecine est un métier de recherche qui évolue. L'autre solution pourrait, suggèrent-ils, se trouver dans l'amélioration du ratio personnel de santé-population. Pour le cas du Cameroun, par exemple, la Stratégie sectorielle de santé 2016-2027 du ministère de la Santé publique indique que ce ratio est de l'ordre de 1,07 (médecin, sage-femme, infirmier) pour 1000 habitants, là où la norme de l'OMS recommande 2,3 pour 1000 habitants. Pour le reste, les experts pensent que pour sauver la confiance entre le personnel soignant et les patients, les pouvoirs publics devraient aussi restructurer les hôpitaux pour y promouvoir un management consensuel et collaboratif. Sans oublier de renforcer la rigueur dans la formation initiale du personnel de santé et d'améliorer son bien-être pour « récompenser et célébrer ces personnes qui mettent tout le temps leur vie en danger pour sauver celle des autres ». Wolondouka SIDIBE