La région du Nord a fortement été impactée par la concurrence étrangère dans le domaine du textile. Mais sur place, on continue de croire qu'avec le repositionnement dans les chaînes logistiques, l'avenir promet d'être radieux. La proximité avec l'Europe fait l'avantage du Maroc. « Le secteur national du textile est distancé depuis l'entrée de la Chine dans l'OMC. Ce n'est pas forcément un problème logistique, car le Maroc est mieux situé par rapport à ses concurrents asiatiques, mais c'est davantage une question de main d'œuvre et de puissance de frappe de ces concurrents que de logistique ». Cette observation est de l'économiste et professeur à l'Ecole nationale de gestion et de commerce (ENCG) de Tanger, Nabil Jedlane. Même son de cloche chez les industriels du secteur de la région du Nord du Maroc, notamment à la section locale de l'Association marocaine de l'industrie du textile et de l'habillement (AMITH).
Présence espagnole Sur place, on met en avant les efforts entrepris pour faire retrouver des couleurs au textile marocain. En témoigne l'organisation en décembre dernier de la 19ème édition du Salon « Maroc In Mode » (MIM), un événement presque oublié puisqu'il n'avait plus eu lieu depuis 2009. Le réchauffement des relations avec l'Espagne y est également vu comme un facteur positif, afin de jouer en faveur du textile national. Pour la petite anecdote, il faut noter que les maillots du FC Barcelone étaient fabriqués, pendant certaines années, depuis les usines de textile de Tanger. Autre exemple éloquent : un protocole d'accord a été signé, le 18 avril dernier, par Reciclados, filiale du groupe espagnol textile Hallotex, et le ministère marocain de l'Industrie et du Commerce. Il prévoit la création d'une nouvelle unité de fabrication de fils, tissus et vêtements recyclés. Avec un investissement de 695 MDH, ce projet permettra la création, à terme, de plus de 6.245 emplois directs et indirects.
Décarbonation Avec le développement de ses nouvelles zones franches, tournées en priorité vers l'automobile et l'aéronautique, Tanger semble délaisser le textile. « La région du Nord a troqué le textile contre l'automobile et l'aéronautique. Le textile reste malgré tout important, mais son influence a énormément baissé. En un mot, je peux dire que le textile ne fait plus l'identité de Tanger et de sa région », observe l'économiste Nabil Jedlane. « Le textile a certes reçu un coup dur avec la concurrence étrangère, mais il faut se relever et continuer à regagner du terrain », insiste-t-on auprès de l'AMITH-Zone Nord. D'ailleurs, le partenariat signé récemment entre la Société financière internationale (SFI) et les professionnels nationaux du textile devrait également profiter aux industries installées dans la région du Nord, où l'on observe avec intérêt le repositionnement stratégique des donneurs d'ordres européens, suite aux perturbations sur les chaînes logistiques mondiales au lendemain du Covid-19. Désormais, avec l'entrée en vigueur de la taxe carbone dans l'Union Européenne dès octobre prochain, l'accent est mis sur la décarbonation, sachant que si les industries nationales ne sont pas prêtes, elles continueront de perdre des parts de marché auprès de leurs partenaires européens.
20% de l'emploi industriel D'ailleurs, l'ambition clairement affichée est de faire du Maroc une plateforme du textile durable et compétitive à l'horizon 2035. « Le textile a toujours été un secteur de poids et l'un des plus dynamiques de l'économie nationale et il reste le premier employeur industriel avec plus de 200.000 collaborateurs représentant plus de 20% de l'emploi industriel et 1.600 entreprises », se félicitait, récemment à Tanger, Anass Ansari, président de l'AMITH. A ce propos, il faut rappeler que le secteur du textile reste un important contributeur à la balance commerciale du Maroc, enregistrant notamment près de 40 MMDH à l'export, en 2022, une performance extraordinaire, facilitée en partie par la fermeture pendant une longue période du marché chinois, en raison du Covid-19.
Abdellah MOUTAWAKIL
3 questions à Nabil Jedlane « Tanger a troqué le textile contre l'automobile et l'aéronautique » Le secteur national du textile est distancé par la concurrence étrangère, notamment chinoise, indienne et turque. C'est qui se répercute directement sur la région du Nord du Maroc, autrement vitrine de l'industrie nationale du textile. Analyse de Nabil Jedlane, économiste et Professeur à l'ENCG de Tanger.
La région du Nord du Maroc continue-t-elle d'être dynamique dans le secteur du textile ? - Le secteur de l'industrie du textile continue de se développer. Cette industrie continue de jouer un rôle, mais ce n'est plus ce qu'elle était il y a de cela quelques années. La région du Nord a troqué le textile contre l'automobile et l'aéronautique. Le textile reste malgré tout important, mais son influence a énormément baissé. En un mot, je peux dire que le textile ne fait plus l'identité de Tanger et de sa région, en dépit d'une très importante demande, en termes de sous-traitance de la part des donneurs d'ordres espagnols, français ou turcs. Autre caractéristique de cette industrie, c'est qu'elle est très marquée par la présence du secteur informel.
Malgré la concurrence étrangère, est-ce que l'industrie nationale du textile parvient à figurer sur la carte mondiale ? - L'adhésion de la Chine à l'OMC a énormément changé la donne pour l'industrie nationale du textile dans son ensemble. Et la région du Nord, qui en était la zone la plus dynamique, a pris donc un sérieux coup. La concurrence chinoise, turque et asiatique est très importante. L'accord de libre-échange entre le Maroc et la Turquie a également fortement impacté ce secteur à Tanger. C'est dire donc que, globalement, le Maroc n'est plus aussi compétitif qu'auparavant. Actuellement, on voit que le secteur essaie de faire de la résistance pour essayer d'émerger à nouveau, mais il est très distancé.
Sur le plan logistique, le Maroc parvient-il à tirer profit de sa proximité avec les donneurs d'ordres européens ? - Il faut dire que c'est plutôt l'arrivée de nouveaux pays concurrents et très puissants qui a vraiment changé la donne. Ce n'est pas forcément un problème logistique. S'il ne s'agissait que de logistique, le Maroc est mieux situé par rapport à ses concurrents. La proximité avec l'Europe joue en faveur du Maroc, mais c'est davantage une question de main d'œuvre et de puissance de frappe que de logistique. Made in Morocco : Inclure les coopératives Réussir le retour de l'industrie nationale du textile depuis la région du Nord passe par l'émergence d'une industrie puissante. Mais, le savoir-faire des coopératives locales n'est pas à négliger. C'est pour cela que, lors de la 19ème édition du Salon textile MIM en décembre dernier à Tanger, il a été question de créer une plateforme nationale et internationale de promotion de production textile marocaine, mettant en avant des coopératives de la région du Nord. Celles-ci ont pu ainsi exposer leur expertise dans un espace dédié à la présentation des savoir-faire artisanaux et ancestraux de cette région. En outre, un espace des créateurs, designed by CMA (Academy de mode Casablanca) était dédié aux jeunes créateurs de mode marocains, dont quatre sont originaires de la région de Tanger. C'est une très belle manière de lutter contre les fabriques artisanales et le secteur informel qui sont très présents. L'info...Graphie Textile : Un juteux marché espagnol à se partager Entre le Maroc, la Chine, le Bangladesh, l'Inde et la Turquie, la concurrence est rude pour capter des parts de marchés de la part des donneurs d'ordres européens, notamment espagnols. Pour l'heure, la Chine domine les débats, mais le Maroc a tous les atouts pour revenir à la charge, tout en évitant de voir ses parts s'éroder. En effet, entre janvier et mars 2023, les importations espagnoles en produits textiles en provenance du Maroc ont enregistré une chute de 20,5% à 357,7 millions d'euros. Malgré cette baisse, le Royaume reste le sixième fournisseur de l'Espagne. Pendant les trois premiers mois 2023, les importations espagnoles se sont élevées à 3 milliards d'euros. C'est la Chine avec 1 milliard 728 millions d'euros qui occupe le rang de premier fournisseur du royaume ibérique, suivie par le Bangladesh dont les exportations ont atteint, lors des trois premiers mois de l'année, 903,5 millions d'euros. L'objectif est de diversifier les marchés importateurs, notamment ceux d'Europe du Nord et des Etats-Unis, afin de réduire la dépendance vis-à-vis d'un nombre trop restreint de clients, essentiellement l'Espagne et la France, et ouvrir de nouvelles perspectives à ce secteur dans un contexte marqué par un regain de sourcing de proximité, et une forte demande en production textile propre et durable. Globalement, il faut noter que, selon les données de l'AMITH, c'est toujours la confection qui booste les exportations globales du textile depuis le Maroc. Elle a réalisé un chiffre d'affaires de 21,2 MMDH en 2022, marquant ainsi une évolution de 29%. La maille, deuxième filière phare du secteur, a enregistré une croissance de 20% avec un chiffre d'affaires de 6,3 MMDH contre 5,3 MMDH en 2021.