Pour réduire le coût du dessalement de l'eau de mer, la piste d'un usage plus conséquent des énergies renouvelables est envisagée. Une piste que le gouvernement prend au sérieux dans sa volonté de multiplier les stations dans les années à venir. Décryptage. Jeudi, dans le luxueux hôtel d'Anfa au cœur de Casablanca, les experts passionnés de la question de l'eau se sont donné rendez-vous pour prendre part au débat organisé par « Aujourd'hui Le Maroc », en présence du patron de l'ONEE, Abderrahim El Hafidi, et du ministre de tutelle Nizar Baraka qui a fait un état des lieux sur la situation hydrique au Royaume. La situation inédite que traverse le pays est tellement préoccupante qu'elle a désormais des conséquences budgétaires puisqu'elle pèse sur le budget. En témoignent les plans d'urgence et la hausse continuelle des fonds alloués au Programmes nationaux. En témoigne aussi l'intervention urgente du gouvernement, sur Hautes instructions royales, qui a porté le budget du Programme National pour l'Approvisionnement en Eau Potable et l'Irrigation 2020-2027 à 128 MMDH. En plus de la construction des barrages, le Maroc parie fortement sur les eaux non-conventionnelles, en donnant la priorité au dessalement de l'eau de mer, dont l'accélération des projets en cours a été l'un des objectifs majeurs tracés lors de la réunion de travail présidée par SM le Roi, le 9 mai à Rabat. Actuellement, 12 usines sont opérationnelles avec une capacité de 179,3 millions de mètres cubes par an, selon l'exposé de Nizar Baraka. Un potentiel qui reste timide par rapport aux ambitions du gouvernement qui veut passer à la vitesse supérieure en lançant le plus vite possible la grande station de Casablanca. Aujourd'hui, le défi est d'être en capacité de traiter 1,4 milliard de mètres cubes pour pouvoir alimenter le pays en eau potable, selon les estimations de l'Office National de l'Electricité et de l'Eau potable (ONEE).
Le défi de « la facture dessalée » Certes, le Maroc s'est d'ores et déjà lancé dans ce chantier, mais le coût de celui-ci pose plusieurs questions, d'autant que le gouvernement est appelé à multiplier, au maximum possible, le nombre des stations afin de soulager les barrages dont les ressources devraient être plus utilisées dans l'agriculture et l'approvisionnement des villes intérieures. Le coût du mètre cube devient donc un enjeu majeur et reste étroitement lié à celui de l'énergie puisque les stations de dessalement fonctionnent à l'électricité. Selon le Directeur de l'ONEE, Abderrahim El Hafidi, le coût du kilowattheure représente 30% du coût du mètre cube pour une station conventionnelle et peut aller jusqu'à 70% pour une station de dessalement. Par conséquent, le coût du mètre cube est corrélé à celui du kilowattheure dont la facture n'a eu de cesse d'augmenter depuis la flambée des prix de l'énergie sur le marché mondial, exacerbée par la guerre en Ukraine. Force est de constater que le prix du charbon a été multiplié par six (de 69 dollars à 450 dollars). Idem pour celui du gaz qui a augmenté de 23% en 2022. Pour veiller à ce que les prix de l'eau et de l'électricité restent stables au milieu de cette flambée, le gouvernement a dû puiser, deux années de suite, dans des crédits supplémentaires pour trouver de quoi financer l'ONEE de sorte que les prix restent stables. Cette année, 4 milliards de dirhams ont été alloués à cet effet. Ceci dit, au moment où l'on se dirige vers plus de dessalement, il convient de baisser la part du gaz et du charbon dans la production. Raison pour laquelle le paquet est mis sur le couplage des stations de dessalement avec les parcs éoliens et les stations solaires. Cette idée s'impose d'autant plus que cette expérience a bien fonctionné dans les provinces du Sud. « Ceci nous a donné un coup de main pour monter en puissance en matière de capacité de production du mètre cube dessalé », a indiqué Abderrahim El Hafidi, qui a fait savoir que grâce à l'usage de l'énergie propre, le kilowattheure coûte moins cher dans les stations situées dans les provinces du Sud où le prix est de près de 25 centimes. « Il y a dix ans, personne n'imaginait ça », a-t-il rappelé. Là, le défi est de généraliser l'usage des énergies vertes à grande échelle dans les stations de dessalement. Le Maroc peut donc compter sur sa compétitivité et sur son potentiel en énergies renouvelables pour baisser davantage le coût de production du kilowattheure dans les années à venir, surtout au niveau des centrales photovoltaïques. Aujourd'hui, le dessalement s'impose comme une solution durable puisqu'elle réduit visiblement la dépendance vis-à-vis des ressources de surface et souterraines qui n'ont eu de cesse de se dégrader ces dernières années. Force est de constater que le potentiel d'eau mobilisable à l'échelle nationale a baissé à 14 milliards de mètres cubes, sachant qu'on était à 22 milliards il y a quelques années. Ce à quoi s'ajoute la faible pluviométrie qui s'impacte sur les réserves des barrages. Selon Nizar Baraka, la période 2018-2022 a été caractérisée par une succession d'années de sécheresse avec déficits successifs de 54%, 71%, 59% et 83% par rapport aux apports moyens annuels. Pis encore ! De 2018 à 2022, le Maroc a enregistré les apports les plus faibles observés depuis 1945. Ceci fait que la situation des barrages n'est guère rassurante. L'année dernière fut la moins généreuse en termes d'apport d'eau aux barrages avec un apport de 1989 millions de mètres cubes. De 2021 à 2022, il y a eu un déficit de 83% par rapport à l'apport moyen et de 62% par rapport à l'année précédente. Pour illustrer à quel point le défi est énorme, Nizar Baraka a donné l'exemple du barrage « Al-Massira », qui ne contient maintenant que 100 millions de mètres cubes alors que seule la capitale économique a besoin de 267 millions. Il a fallu recourir à l'interconnexion entre les bassins hydrauliques pour garantir la continuité de l'approvisionnement de la métropole. La situation est d'autant plus difficile que le Maroc a rarement connu une sécheresse aussi dure et longue. « Nous avons vécu cinq années consécutives de sécheresse, même dans les années 80, nous n'avons jamais connu une période aussi longue, sachant que nous avions eu trois années de sécheresse suivies d'une année de pluviométrie correcte et ensuite deux années sèches », a rappelé Nizar Baraka.
Anass MACHLOUKH L'info...Graphie Station de Casablanca : Le processus avance L'eau dessalée arrive bientôt à El Jadida et Safi en attente de la grande station de Casablanca dont le processus d'adjudication avance. Cette question a été au cœur des discussions lors du dernier passage du ministre de l'Equipement et de l'Eau, Nizar Baraka, à la Chambre des Représentants. Le ministre a saisi cette occasion pour annoncer une bonne nouvelle. Bientôt les villes d'El Jadida et de Safi seront alimentées en eau potable par le biais du dessalement des eaux de mer grâce à un projet mené par l'Office Chérifien des Phosphates (OCP). Un projet qui sera opérationnel dès juillet 2023, a fait savoir le ministre en réponse aux questions des députés lors de la séance parlementaire hebdomadaire dédiée aux questions orales. Baraka s'est félicité de ce projet vu que l'alimentation des deux villes permettra de soulager profondément le barrage Al-Massira, dont les réserves ont chuté de façon inquiétante. Cet immense réservoir ne compte plus que 90 millions de mètres cubes d'eaux alors qu'il a une capacité de stockage de 2,7 milliards. C'est dire à quel point la situation est inquiétante pour ce barrage qui n'est rempli actuellement qu'à hauteur de 3,7%. En ce qui concerne la très attendue station de dessalement de Casablanca, il sera bientôt procédé au choix d'une société adjudicataire, sachant qu'il y en a plusieurs qui concourent actuellement pour obtenir ce marché, dont l'identité sera connue au mois d'août prochain.
Histoire : Des décennies d'expériences Le Maroc s'est lancé dans le dessalement de l'eau de mer au niveau des provinces du Sud il y a plusieurs décennies. La première expérience du Royaume dans la région de Laâyoune-Boujdour-Sakia-El Hamra remonte en effet à l'année 1977, lorsque l'ONEP avait réalisé une unité de dessalement avec une capacité de production atteignant 250 m3 par jour en vue d'approvisionner la ville de Boujdour en eau potable. Cette première expérience avait été suivie par la réalisation d'une série de stations de dessalement, avec des opérations d'extension afin d'augmenter la productivité et d'accompagner la demande croissante en cette source vitale. Pour l'approvisionnement de la ville de Laâyoune, l'ONEP avait ainsi réalisé en 1995 une station de dessalement de l'eau de mer avec une capacité de près de 13.000 m3 par jour, une productivité qui s'était doublée après la réalisation d'une nouvelle station en 2010. La ville d'El Marsa, le centre de Foum El Oued et le village de pêcheurs Tarouma dans la province de Laâyoune sont également approvisionnés au moyen de cette technique de dessalement à partir des installations de dessalement à Laâyoune.