Les ministres de la Pêche de l'Union Européenne (UE) ont débattu, lundi 20 mars à Bruxelles, des perspectives de reconduite de l'accord de pêche entre l'Union Européenne et le Maroc, qui expire en juillet, tout en faisant part de leurs craintes quant à une éventuelle suspension dudit accord qui impacterait négativement les armateurs européens. Ce lundi, le ministre de l'Agriculture et de la Pêche de l'Espagne, Luis Planas, a indiqué que son pays demanderait l'activation des mesures européennes d'aide à la flotte de son pays en cas de suspension de l'accord de pêche avec le Maroc, dont la validité expire le 17 juillet 2023.
L'avenir du protocole a été discuté lundi lors d'un Conseil des ministres européens de l'Agriculture et de la Pêche, à la demande de la Lettonie, de la Lituanie et de la Pologne, pays qui possèdent, au même titre que l'Espagne, une importante flotte pélagique dans les eaux marocaines et qui sont préoccupés par le devenir de cet accord.
""Il s'agit d'un accord européen. Je vais essayer d'activer, comme toujours, les mesures européennes d'abord et ensuite il y aura toujours l'Espagne", a déclaré Planas à son arrivée à la réunion.
"Nous chercherons des mécanismes de soutien applicables à la fois à nos armateurs et à nos pêcheurs", a déclaré le ministre, qui a rappelé sa récente visite au Maroc, marquée par des entretiens avec les autorités marocaines, entre autres, au sujet de cet accord.
L'accord entre l'UE et le Maroc, qui prévoit des licences pour 128 navires (93 espagnols), expire cet été et les négociations en vue de son renouvellement seront conditionnées par un arrêt de la Cour de Justice de l'UE, attendu en septembre.
Planas a déclaré qu'il considérait comme une "bonne question" de demander à la Commission Européenne ce qui se passerait après le 17 juillet, date d'expiration du protocole, qui "offre 138 licences dans le cadre de cet accord, dont 93 en faveur de l'Espagne, en particulier les flottes andalouse, galicienne et canarienne".
En septembre 2021, le Tribunal de l'UE a suscité une polémique en rendant un avis qui est loin aujourd'hui de faire l'unanimité des Etats membres, en considérant que l'accord de pêche signé avec le Maroc pose problème concernant l'intégrité territoriale du Royaume du Maroc. Cependant, tout au long de l'année 2022, plusieurs pays européens ont soutenu l'initiative marocaine d'autonomie comme la base "la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du différend". L'accord de pêche UE-Maroc et le protocole d'application annexe sont entrés en vigueur le 18 juillet 2019 et permettent à 128 navires de l'UE, originaires d'Espagne, du Portugal, de France, d'Allemagne, de Lituanie, de Lettonie, de Pologne, des Pays-Bas, d'Irlande, d'Italie et du Royaume-Uni de pêcher dans les eaux marocaines.
Optimisme des ministres européens de l'Agriculture
Les ministres européens de l'Agriculture et de la Pêche s'attendent à une décision favorable pour la reconduction dudit accord. Planas a déclaré, lundi à Bruxelles, qu'il s'attendait à un arrêt favorable de la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) sur l'accord de pêche entre l'UE et le Maroc, bien que la conclusion du protocole puisse être retardée, ce qui pourrait entraîner une éventuelle suspension de l'activité de la flotte pendant quelques mois.
"Nous espérons que la sentence sera favorable", a déclaré Planas, qui a reconnu que la décision de justice pourrait "retarder un peu la décision sur le protocole". "Il sera complexe que, d'un point de vue technique, des progrès puissent être réalisés dans les négociations sans que cette question ne soit résolue", a-t-il reconnu.
L'inconnue pour les Etats membres a trait au fait de savoir ce qui se passera après le mois de juillet, lorsque le protocole expirera. La Pologne, la Lituanie et la Lettonie, qui ont intérêt à la présence de leur flotte au Maroc, ont soulevé la question lors de la réunion du Conseil de l'UE.
"Nous avons toujours défendu auprès de la Commission et du Conseil la légalité de l'accord et nous espérons que le jugement sera favorable même s'il risque de retarder la conclusion du protocole, a déclaré le ministre qui a expliqué que 93 des 138 licences de pêche dans la zone concernent l'Espagne, en particulier les flottes andalouse, galicienne et canarienne".
Le ministre a également expliqué que la partie marocaine veut avoir des certitudes quant au cadre à venir, c'est pourquoi il a prédit qu'il sera très difficile de progresser dans les négociations sans que la question soit résolue.
La sécurité alimentaire de l'UE est en jeu
Les pays membres de l'UE seraient tous intéressés, comme à l'accoutumée, par le prolongement de l'accord de pêche avec le Maroc, encore plus l'Espagne qui tente de boucler cette phase transitoire de l'accord entre le Maroc et l'UE sans être impactée par une éventuelle suspension entre juillet (la date d'échéance de l'accord actuel) et septembre prochains, date où le verdict de la CJUE est attendu quant à l'inclusion des eaux du Sahara marocain.
L'accord suscite donc une réelle préoccupation pour la majorité des pays de l'UE. Le ministre Luis Planas a exigé, lundi, de la Commission Européenne (CE) de faire en sorte que le secteur de la pêche communautaire assure à l'avenir sa rentabilité, pour qu'il soit capable de poursuivre sa contribution à la sécurité alimentaire des citoyens européens.
Une telle demande a été aussi communiquée au reste des membres du Conseil des ministres de l'Agriculture et de la Pêche de l'UE, réunis à Bruxelles. Luis Planas a fait valoir, qu'à une époque comme celle d'aujourd'hui, où des besoins aussi fondamentaux que la disponibilité de nourriture à des prix raisonnables s'impose comme une priorité, il est essentiel de consolider la souveraineté alimentaire et de défendre le secteur de la pêche qui, dans le cas de l'Espagne, se caractérise par sa durabilité reconnue.
Le ministre a rappelé que les deux tiers des produits de la pêche consommés en Europe proviennent de pays tiers qui produisent selon des critères de durabilité très différents de ceux exigés de la flotte de l'UE. Il a indiqué qu'au cours des dix dernières années, la production européenne a diminué de 4.000 tonnes, tandis que les importations ont augmenté de 10.000 tonnes, sachant que la flotte communautaire a été réduite de plus de 6.000 navires, raison pour laquelle il a souligné la nécessité d'une approche stratégique pour l'avenir de l'activité de pêche. Avis d'un expert sur le jugement de la CJUE « En principe, l'intégration européenne dépend fortement de la possibilité ou non pour la Cour d'exercer ses fonctions à l'abri des pressions, notamment celles provenant de certains Etats membres. En réalité, l'indépendance juridictionnelle, qui est un préalable à l'impartialité du juge, se caractérise par sa grande complexité. Les modalités de nomination des juges et leur statut jouent un rôle non négligeable, à l'aune desquelles on peut apprécier l'évolution de la jurisprudence. En effet, il paraît difficilement envisageable, voire justifiable, d'avoir des jugements en opposition frontale avec la diplomatie d'une majorité d'Etats concernant le soutien à la marocanité du Sahara. Les mêmes contradictions existeront avec la diplomatie européenne à court terme », a précisé le professeur de géopolitique à l'Université américaine des Emirats Arabes Unis à Dubaï, Mohammed Baddine El Yattioui. Accord de pêche Maroc-UE : 208 millions d'euros sur 4 ans Au terme de l'accord de pêche actuel, l'UE apporte une contribution financière totale estimée à 208 M € sur 4 ans (48,1 M € pour la 1ère année, 50,4 M € pour la 2ème et 55,1 M € pour la 3ème et la 4ème année), incluant la compensation pour l'accès à la zone de pêche, l'appui au secteur marocain de la pêche et le paiement des redevances par les armateurs. La mise en œuvre du protocole donne accès aux eaux marocaines à environ 130 navires battant pavillon de 10 Etats membres de l'UE. Les accords entre les deux parties dans le domaine de la pêche ont démarré en 1988, et n'ont cessé d'être renforcés en termes de durabilité des ressources et de retombées socio-économiques. À travers son appui au secteur marocain de la pêche, l'UE contribue, notamment, à la promotion de la recherche scientifique, au développement de l'aquaculture, à la modernisation des infrastructures de la pêche, à la commercialisation des produits de la pêche et au développement économique et social des communautés côtières en vue d'une pêche durable au Maroc. En outre, l'UE soutient des projets aquacoles au profit de jeunes entrepreneurs et de coopératives de pêcheurs, des campagnes scientifiques d'évaluation de certains stocks, des dispositifs de sécurité en mer, et d'amélioration des conditions de travail et de protection des marins. Ces projets contribuent ainsi à la création d'emplois, au renforcement des capacités dans le secteur et à la formation et l'insertion des femmes et de jeunes diplômés dans la vie active.